Document sans titre

CANTAL-LIENS

 

- reproduction textes et photos soumis à l'accord de Cantal-Liens-

 

association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

RECHERCHES SUR

LES PROPRIETÉS CHIMIQUES ET MÉDICALES

DES EAUX MINÉRALES DE TEISSIÈRES-LES-BOULIÈS

(CANTAL),

PAR LE Dr REYGASSE,

Membre de la Société médicale du Cantal.

 

Les eaux minérales ont pris dans ces derniers temps une exten­sion si considérable, soit comme boisson hygiénique, soit comme moyen curatif, qu'il n'est plus permis à un médecin désireux de s'oc­cuper sérieusement de son art, de négliger cette partie si importante de la thérapeutique. Ce n'est pas que ce soit d'aujourd'hui seulement que leurs propriétés sont reconnues; car s'il est une croyance com­mune à tous les temps et à tous les peuples, c'est celle qui consiste à reconnaître la vertu curative des eaux minérales. En consultant les ouvrages d'Aristote, on y trouve un traité complet sur ce sujet, et, du temps d'Hyppocrate, elles étaient employées avec succès dans un grand nombre de maladies.

Les Grecs, ayant pour elles un véritable culte, leur élevaient des temples comme à des divinités protectrices, et les Romains, ce grand peuple civilisateur, avaient construit près des sources de magnifiques monuments thermaux, dont il reste encore des vestiges remarqua­bles. Mais c'est surtout de nos jours que l'usage des eaux minérales a pris un grand développement, à tel point que les sources sont fré­quentées par plus de deux cent mille personnes, tandis que les bou­teilles exportées se comptent par un grand nombre de millions (1). Cet accroissement si considérable de clientèle tient à plusieurs causes, parmi lesquelles je citerai la facilité de communications produite par les chemins de fer et surtout cette activité fiévreuse de notre siècle qui, surexcitant outre mesure toutes les facultés, ne tarde pas à pro­duire leur précoce épuisement et à amener un état de langueur qui nous fait éprouver le besoin d'aller nous retremper dans ces sources bienfaisantes. La nature nous y offre un remède salutaire, toujours prêt, où nous ne tardons pas à retrouver les forces, le ton et l'énergie que nous avions perdus.
Cependant, quelques médecins spécialistes, éblouis par les cures merveilleuses qu'ils avaient obtenues dans des maladies très ­diverses, et poussés peut-être un peu aussi par un esprit excessif de localité, ont cherché dans leurs écrits à préconiser les sources auxquelles ils étaient attachés comme une panacée universelle pouvant guérir tous les maux dont est affligée l'humanité. Cette exagération, amenant du désordre et de la confusion dans l'em­ploi thérapeutique des eaux minérales, n'a pas tardé à les discré­diter, à tel point que quelques personnes, ne pouvant du reste contester les guérisons obtenues, les ont presque entièrement attri­buées aux voyages, aux récréations, aux changements de climat, de régime, d'habitude auxquels sont soumis les buveurs. Mais tout en blâmant ce fanatisme hydrologique, tous les esprits éclairés n'ont pas tardé à revenir de cette injuste prévention. En se plaçant, en effet, dans cette dernière hypothèse, comment se rendre compte de la guérison de paralysies rebelles, de dartres invétérées, de notables engorgements viscéraux et de tant d'autres maladies graves pour la cure desquelles on avait épuisé en vain toutes les ressources de l'art pharmaceutique ? Comment expliquer la guérison d'animaux malades qui sont envoyés tous les ans avec succès à un certain nombre d'établissements thermaux.

  1. L'eau de Seltz naturelle, qui n'a point de buveurs sur place, atteint à elle seule le chiffre de trois millions de litres pour son exportation.

 

D'un autre côté, les travaux importants faits récemment par les hommes les plus considérables et les plus autorisés, ainsi que les innombrables observations de guérisons obtenues par des hommes dignes de toute confiance, ont convaincu les plus incrédules de l'efficacité réelle des eaux minérales, et tout le monde médical s'accorde aujourd'hui à les regarder comme une des ressources les plus précieuses de l'art de guérir.
Après ces quelques considérations préliminaires, je vais m'occuper spécialement de l'étude des eaux minérales de Teissières, qui font l'objet de ce petit travail.
En considérant la vogue toujours croissante que tendent à prendre ces eaux non seulement dans le département, mais même dans les départements circonvoisins (1); en considérant en outre qu'à part les diverses analyses qui en ont été faites et qui sont très peu con­nues, il n'a été à peu près rien écrit pour éclairer les médecins et les malades sur leurs propriétés; il était grandement à désirer qu'une lacune aussi regrettable fût remplie. Aussi, ai-je cru faire une chose utile à mes confrères, en leur faisant connaître, outre les diverses analyses qui ont été faites, le fruit d'une expérience de 22 ans acquise sur les lieux. De cette manière, mieux édifiés sur leurs propriétés, ils pourront les employer désormais en plus parfaite connaissance dans tous les cas où ils les jugeront utiles.
Pour mettre un peu d'ordre dans ce petit travail, je commencerai à m'occuper de l'histoire, de la topographie et des propriétés phy­siques des eaux de Teissières ; je continuerai en faisant connaître leurs propriétés chimiques par l'étude des diverses analyses qui en ont été faites; je parlerai ensuite de leurs propriétés médicales et de leur mode d'administration, et je terminerai enfin par quelques considé­rations sur les avantages des eaux minérales naturelles sur les eaux minérales artificielles et par quelques mots SUI' l'aménagement et l'exploitation de la source.

  1. Pour se faire une idée de ce développement, il me suffira de dire que ces eaux, complètement inconnues en 1821, avaient, pour l'année 1843, et pour la seule ville d'Aurillac, un débit de 6230 bouteilles, et que ce débit a dépassé, l'année dernière, le chiffre de 50,000 litres.

 

1° Histoire, Topographie, Propriétés physiques.

Le bourg de Teissières, situé au sud-est d'Aurillac et à 16 kilo­mètres environ de cette ville, se trouve placé sur un plateau élevé, un peu abrité par quelques mamelons des vents du nord et de l'ouest, mais d'où l'on découvre dans toutes les autres directions, et à perte de vue, un panorama magnifique qui n'a pour limites que les montagnes les plus élevées du Cantal, de la Lozère et de l'Aveyron.
La fontaine minérale, appelée dans le pays Fons-Salado (fontaine salée), est située à l'est et à environ 2 kilomètres du bourg, au fond d'une gorge profonde et boisée, creusée aux dépens des terrains pri­mitifs et couronnée par des crêtes bizarres de rochers abruptes qui lui donnent l'aspect des sites pittoresques des Alpes et des Pyrénées. Exploitée seulement depuis 45 ans, elle était avant cette époque recou­verte par un ruisseau rapide qui coule aujourd'hui à ses côtés et auquel elle a donné son nom. La tradition veut que ce soit une vache qui la découvrit. Le fait est qu'encore aujourd'hui l'on voit les animaux accourir de très loin pour se désaltérer à l'eau qui sort de ses con­duits et lécher même avec délices les roches d'où jaillissent les sources. Ce ne fut qu'en 1821 que l'on détourna, à grands frais, le lit du ruisseau, et que l'on put obtenir ainsi de l'eau minérale parfaitement pure.
La source principale, qui est la seule exploitée, s'échappe avec un léger bruissement de la fente horizontale d'un rocher très dur, que ne parviennent à entamer qu'avec les plus grandes difficultés les ins­truments les mieux acérés. Ce rocher, rougeâtre à sa surface, présente intérieurement un aspect blanchâtre, tacheté de petits points noirs et parsemé d'une foule de cristaux de sulfure de fer brillants comme de l'argent. Quoique le jet de cette source soit continu, il présente cependant cela de remarquable, qu'il offre par intervalles très rapprochés des secousses intermittentes pendant lesquelles l'eau semble couler plus fort. Autour de cette source principale et à peu de distance, on voit sourdre, sous forme de filets artésiens, un assez grand nombre de petites sources complètement intermittentes et offrant cela de particulier que lorsque les unes jaillissent, les autres cessent de couler et réciproquement. Ces sources, qui n'ont point été analysées ni captées, paraissent extrêmement gazeuses et ne sont probablement qu'autant de branches profondes de la source princi­pale, d'autant plus que leur intermittence n'est pas sans quelque rap­port avec les secousses de la grande source. Quoi qu'il en soit, c'est ­de celle-ci seulement que nous allons nous occuper.
Les eaux qui en découlent sont froides, très gazeuses et d'une lim­pidité remarquable, qui rappelle la transparence du cristal. Elles sont sans odeur, ont une saveur aigrelette, piquante, très agréable, et sont pétillantes comme les vins mousseux. Dans le verre où elles coulent, on voit se développer une foule de petites bulles qui lui communiquent une espèce de bouillonnement et dont les unes se déposent sur les parois du cristal sous la forme de perles innombrables, tandis que les autres montent en courant s'évanouir à la surface en faisant entendre un pétillement incessant. Si l'on laisse le verre sous la canule quel­ques instants encore lorsqu'il est plein, l'on voit ces petites perles augmenter en nombre si considérable, que ses parois en sont littéra­lement couvertes, et l'eau présente alors une saveur tellement piquante, que ce n'est pas sans quelque difficulté qu'on parvient à la boire. Cette accumulation de gaz dans un verre tout ouvert, fait que je n'ai vu relater nulle part, m'a paru digne de remarque. Pendant les grandes chaleurs et surtout à l'approche des orages, le gaz paraît se dégager avec beaucoup plus d'abondance, à tel point qu'on le voit sortir du griffon de la source sous la forme d'une vapeur bleuâtre très appa­rente. Cette augmentation de gaz, commune dans ces circonstances à presque toutes les sources gazeuses, a été attribuée uniquement par beaucoup d'auteurs, et entre autres par le docteur Constantin James, à une diminution dans la pression barométrique. Je ne saurais partager ici complètement l'opinion de cet éminent hydrologiste, car si cette cause peut expliquer ce phénomène dans les temps d'orages, il n'en est pas de même dans les temps secs, où il y a élévation barométrique. Je crois donc qu'une plus grande fermentation terrestre, et surtout l'électricité et le magnétisme, ces puissants agents, dont si souvent l'influence nous échappe, jouent ici un rôle considérable.
L'eau de Teissières, reçue dans les bassins et exposée à l'air, se couvre au bout d'un certain temps d'une légère pellicule irisée (matière organique combinée avec un principe ferrugineux), sous laquelle elle conserve la transparence la plus parfaite; elle dépose en outre sur les parois de ces bassins et dans les conduits où elle cir­cule, une matière rouge ocracée.
La source dont nous nous occupons est assez abondante, car elle donne 3 litres par minute, soit 180 litres par heure, et 4,320 litres par 24 heures (1). Sa température est de 11° centigrades, celle de l'at­mosphère étant à 25° centigrades.

2° Propriétés chimiques, Analyses.

Les eaux de Teissières, par leurs principes minéralisateurs, se ran­gent naturellement dans la classe mixte des eaux minérales acidules bicarbonatées et ferrugineuses. Elles ont été analysées pour la pre­mière fois, d'après l'ordre du Conseil général, par M. Lapeyre, pharmacien-chimiste à Aurillac. Cette analyse fut faite à la source même, en présence du docteur Séguiniol père, inspecteur des eaux de l'ar­rondissement d'Aurillac. Elle se rapproche beaucoup de celle qui fut faite plus tard par M. Henry Ossians, membre de l'académie de médecine de Paris, d'après la demande du Ministre des travaux publics; mais elle en diffère cependant en ce qu'elle constate une plus forte proportion des principes qui la minéralisent, et entre autres du bicarbonate de fer et de l'acide carbonique libre, que M. Lapeyre évalua à 2 gram. 76 centigr. par litre. Cette différence s'explique aisément quand on se rappelle que cette première analyse a été faite à la source même, tandis que celle de Paris opéra sur de simples échantillons envoyés dans cette ville. L'eau minérale, en effet, tant qu'elle est enfermée dans les canaux des roches primitives où elle est soumise à un certain degré de pression, conserve intégralement tous ses principes. Mais quand elle a dépassé son point d'émergence et est exposée à l'action de l'air, elle perd une partie de son acide carbo­nique libre. Par suite, une portion du bicarbonate de fer et des bicar­bonates alcalins que cet excès d'acide tenait en dissolution, passe à l'état de proto-carbonate insoluble qui se précipite, ainsi qu'une partie de l'oxyde ferreux transformée elle-même en péroxyde également inso­luble par l'absorption de l'oxygène de l’air. C'est ce qui explique ces dépôts ocracés que nous avons constatés et qui ne sont autre chose qu'un mélange de proto-carbonate et de péroxyde de fer hydraté. Aussi c'est ce qui a fait dire au célèbre Chaptal que lorsqu'on  analyse une eau minérale loin de sa source, l'on n'opère plus que sur un cadavre.
La seconde analyse, confiée à la commission des eaux minérales de l'académie de médecine, fut faite par M. O. Henry; et son remarquable rapport fut lu et adopté en séance le 21 mai 1839.

  1. Ce débit ne varie pas et n'est pas sensiblement influencé par les pluies ou la sécheresse.

 

L'habileté bien connue de ce chimiste et la juste réputation qu'il s'est acquise dans l'analyse des eaux minérales, m'engagent à donner ici la copie de ce rapport:
« L’eau de Teissières, dont l’usage est aujourd’hui très recherché à Aurillac, est froide et très gazeuse. Elle dégage à sa source une très grande quantité de gaz formé principalement d'acide carbonique. Sa saveur est aigrelette, fort agréable et légèrement alcaline. Elle n'est nullement sulfureuse; elle ne contient aucune trace de bromure, d'iodure, de nitrate et de fluate. D'après les essais où l'on a mis en usage les modes les plus usités, l'analyse de cette eau a donné pour 1 litre ou 1,000 grammes, savoir:

Acide carbonique libre

2 gram.

294 millig.

Bicarbonate de chaux
Id.  de magnésie

0

402

Id.  de soude anhydre

0

471

Id.  de protoxyde de fer

0

010

Chlorure de magnésium

0

055

Sulfate de magnésie
Id.  de soude anhydre

0

187

Silice, alumine
Phosphate

0

031

Matière organique brute non azotée

0

060

TOTAL

3

508

Eau pure

996

492

                
 « Les sels qui y dominent sont les bicarbonates de chaux, de magnésie et de soude: les deux premiers pour 8 grains par litre, le second pour 9 1/2. Les autres substances sont moins importantes et renferment des sulfates purgatifs, de la silice et du chlorure de magnésium.
Cette eau minérale, que, dans le pays, on assimile à l’eau de Seltz, s'en rapproche, en effet, par la présence de l'acide carboni­que libre en excès qu'elle contient et par celle de bicarbonates terreux et alcalins qui s'y trouvent.
Quoi qu'il en soit, en s'appuyant sur les propriétés médicales bien reconnues aux eaux alcalines gazeuses de Seltz, et en considérant aussi la très grande quantité d'acide carbonique qu'elle renferme, même expédiée en bouteilles, et par suite sensiblement évaporée, on ne saurait se refuser à en admettre d'analogues dans l'eau de Teissières-les-Bouliès. »l
Ce rapport, très favorable d'un homme si compétent, présage aux eaux de Teissières un brillant avenir. Quand on compare, en effet, leur composition chimique avec celle des eaux avec lesquelles elles ont le plus d'analogie, l'on remarque qu'elles tiennent en dissolution les mêmes principes que les eaux si renommées de Seltz, de Spa, de Pouguis, de St-Galmier et de Châteldon, et, qu'en outre, elles occu­pent, sous le rapport de l'acide carbonique libre qu'elles contiennent, le premier rang parmi les eaux gazeuses les plus connues, ainsi qu'il est facile de s'en convaincre par le tableau ci-dessous:

Poids de l’acide carbonique libre par litre :
 
Eau minérale de Teissières….. 2 g. 29
Eaux de Seltz………………….. 2 g. 27
Eaux de St-Galmier…………… 2 g. 20
Eaux de Spa ……………...……1 g. 64
Eaux de Pouguis………………. 0 g. 92
Eaux de Vic-sur-Cère…………. 0 g. 87
Eaux de Châteldon …………… 0 g. 65

Si l'on réfléchit que cette quantité d'acide carbonique libre est constatée, quant aux eaux de Teissières, par une analyse faite loin de la source, tandis qu'elle se rapporte, pour presqu'à toutes les autres, à des analyses faites sur place, on comprendra facilement que la supériorité gazeuse des eaux de Teissières est encore bien plus marquée qu'elle ne le paraît dans le tableau ci-dessus, et que M. Lapeyre était plus dans le vrai quand il fixait cette quantité à la proportion considérable de 2 g 76 par litre.

3° Propriétés médicales. - Mode d'administration.

Les eaux de Teissières sont rafraîchissantes, toniques, apéritives et éminemment diurétiques. Quelques personnes ignorant sans doute leur composition chimique, et les voyant journellement remplacer sur nos tables les eaux de Seltz artificielles qui ne contiennent qu'une grande quantité d'acide carbonique sans aucun sel, ont pensé qu'elles devaient avoir une faible efficacité médicale. C'est une grave erreur, ainsi qu'il me sera facile de le démontrer.
D'abord, il y a un très grand nombre d'eaux minérales dont la vertu curative est parfaitement établie et qui sont employées tous les jours, non seulement sans inconvénient, mais même avec avantage, comme eaux de table. Je ne citerai que les eaux de Spa, de St­-Ga!mier, de Châteldon et de Seltz naturelles. D'un autre coté, d'après l'analyse de M. O. Henry, quoique faite dans de mauvaises conditions, les eaux de Teissières contiennent 3 g. 508 de principes fixes ou gazeux, quantité supérieure à celle de beaucoup d'eaux minérales justement célèbres et dont l'efficacité médicale est cepen­dant bien reconnue. Qu'il me suffise de citer parmi ces dernières les eaux suivantes:
Proportion des principes fixes ou gazeux.

Eaux de Spa ………………..........          2 g. 52
Eaux du Mont-Dore ………………          2 g. 08
Eaux de Châteldon ……………….         1 g. 47
Eaux de Néris. ……………………          1 g. 64

D'ailleurs, il est parfaitement établi par l'expérience de tous les hydrologistes que l'efficacité des eaux minérales est loin d'être en rapport avec la proportion de leurs principes chimiques, et, d'un autre côté, l'on se tromperait étrangement si l'on voulait calculer les effets produits par elles en les comparant à ceux que nous obte­nons journellement par nos moyens pharmaceutiques. En effet, telle eau minérale tenant seulement en dissolution 2 ou 3 grammes par litre d'un sel purgatif, purgera tout aussi bien que 30 grammes et plus de ce même sel administré par nos moyens ordinaires; et telle eau ferrugineuse, contenant à  peine 2 ou 3 centigr. par litre d'un sel ferrugineux. produira des effets aussi marqués que la même prépa­ration martiale administrée à doses dix et quinze fois plus fortes.
En outre, nous voyons se produire par l'emploi des mêmes eaux des guérisons de maladies multiples et tout-à-fait diverses, et nous nous rendons souvent difficilement compte d'une efficacité aussi variée. C'est qu'à côté des principaux agents minéralisateurs, il existe dans les eaux minérales un grand nombre de principes secon­daires appelés concomitants, dont l'association intime, et probablement aussi le grand état de division que j'appellerai, pour ainsi dire, homéopathique, augmentent sans doute ou modifient beaucoup les vertus médicales des premiers. Ajoutons à cela cette matière orga­nique dont la combinaison secrète avec tous ces éléments leur donne aussi une puissance inconnue, en tendant à former ce que quelques hydrologistes ont appelé une sorte de vie des eaux qui leur assure une frappante analogie avec les corps organisés de la nature.
Les éléments divers dont se composent les eaux de Teissières sont combinés d'une façon si heureuse que la saveur de ces éléments est complètement masquée par la présence de l'acide carbonique; aussi est-ce un remède que les malades prendront toujours avec plaisir, ce qui n'est pas à dédaigner. D'un autre côté, la grande quantité de cet acide même les rend en outre si légères, qu'elles sont supportées en général par les estomacs les plus délicats. Quoique ces eaux ne soient connues que depuis environ 45 ans, déjà, en 1830, des mé­decins très recommandables d'Aurillac, parmi lesquels je citerai : Cruège, Lagiraldie, Séguiniol père, Aliès , Dangény, Miquel et de Marsillac, adressaient à l'autorité un rapport remarquable dans lequel ils proclamaient leur efficacité dans l'atonie de l'estomac, les fièvres bilieuses, la leucorrhée, la chlorose, les engorgements des viscères abdominaux et les coliques néphrétiques. Depuis, l'expérience est venue confirmer les résultats obtenus par ces honorables praticiens; et ce que je vais en dire ne fera que venir à l'appui de ce qu'ils avaient déjà constaté.
Les eaux de Teissières facilitent singulièrement les digestions, aug­mentent beaucoup l'appétit et impriment à tout l'organisme un carac­tère de force et de bien-être. Elles agissent comme un modificateur puissant de l'estomac qu'elles fortifient sans irriter et conviennent en général dans toutes les maladies chroniques du tube digestif, telles que gastralgie, gastrite et gastro-antérite chroniques. On les emploie avec avantage dans les vomissements nerveux, où elles remplacent très bien la potion anti-émétique de Rivière. Toutes les fois qu'il y a un état saburral, que la langue est blanche, pâteuse, qu'il y a enfin réunion des symptômes qu'on est convenu d'appeler embarras gas­trique, elles sont prescrites arec le plus grand succès en leur asso­ciant quelquefois un léger minératif.
Elles ont une action bien marquée sur l'appareil biliaire, et détrui­sent souvent, avec une promptitude remarquable, les désordres qui s'y manifestent. C'est ainsi qu'elles sont utiles dans l'hépatite chronique et notamment dans l'ictire où, prises en grande quantité, elles tendent, par leurs propriétés alcalines et diurétiques, à enlever au sang une partie du principe colorant qui se dépose dans les tissus. Elles sont aussi employées avec efficacité dans les fièvres bilieuses, les fièvres dites putrides, en les coupant avec du petit­lait ou de l'eau d'orge; on peut même les prescrire pures quand la fièvre n'est pas ardente.
L'heureuse association d'un principe ferrugineux avec l’acide carbonique, ce passeport du fer, rend les eaux de Teissières pré­cieuses dans la chlorose. Elles jouent ici un double rôle, car au prin­cipe reconstituant qu'elles déposent dans le sang se joint leur action spéciale sur l'estomac, dont les fonctions, comme on sait, sont dans ce cas si souvent troublées. Elles ont pour effet d'y rétablir l'ordre et l'harmonie, bien différentes en cela de nos préparations martiales ordinaires, que nous sommes obligés souvent de suspendre à cause de la fatigue stomacale qu'elles occasionnent. Néanmoins, dans les chloroses rebelles, il est bon de donner en même temps quelque sel martial qui, par cette association, est mieux supporté.
Ce que je viens de dire de l'utilité des eaux de Teissières dans les pâles couleurs s'applique parfaitement à l'anémie, à l'état adynami­que qui accompagne les longues convalescences, et à l'état de lan­gueur et de débilité résultant de fatigues ou d'excès de tout genre. Elles agissent dans ces cas divers en rétablissant la synergie vitale, et en tendant à produire dans tout l'organisme ce que Bordou appe­lait un remontement qénéral. Leur tonicité les rend encore utiles dans certaines maladies qu'on pourrait appeler par relâchement, telles que les hémorrhagies passives, les flueurs blanches et les pertes séminales involontaires. J'ajouterai enfin que, par une influence séda­tive qu'elles doivent sans doute à la grande quantité d'acide carboni­que qu'elles contiennent, elles ne sont pas sans efficacité dans cer­taines névroses, telles que l'hystérie et l'hypocondrie, maladies qui du l'este, se lient presque toujours à une lésion stomacale ou intes­tinale.
J'ai dit que les eaux de Teissières étaient très diurétiques. Il n'est pas rare, en effet, de voir des buveurs uriner jusqu'à huit et dix fois dans la matinée, de manière que les dernières urines sont aussi clai­res que l'eau minérale ingérée. On conçoit qu'une pareille irrigation continue ne soit pas sans influence sur la membrane muqueuse qui tapisse l'intérieur de l'appareil urinaire, ainsi que sur les produits de sécrétion qui peuvent se trouver à sa surface. Cette influence paraîtra encore plus évidente quand on saura que l'urine des malades contient une grande partie des principes constitutifs de l'eau miné­rale qu'ils ont bue D'après cela on s'explique leur efficacité notoire dans les coliques néfrétiques, dans le catarrhe chronique vésical, dans la gravelle et les anciennes gonorrhées. Je terminerai en parlant de leur utilité dans une maladie bien cruelle: je veux dire la goutte. Je comprends toute la réserve que commande un sujet aussi délicat et aussi controversé quand il s'agit d'une maladie si rebelle à nos moyens thérapeutiques. Je dois dire cependant que je possède quel­ques cas bien constatés où l'usage longtemps continué des eaux de Teissières a éloigné beaucoup les accès et a même complètement fait disparaître leur retour. Il est probable qu'elles agissent ici par leurs propriétés alcalines et diurétiques en tendant à dissoudre et à élimi­ner par les urines le principe morbifique que nous voyons se déposer dans les articulations sous la forme de concrétions topacées. Mais, j'ajouterai que, pour être réellement efficaces dans cette maladie, elles doivent être continuées pendant des mois et même des années entières si l'on veut éviter les récidives.
En résumé, l'on voit que les eaux de Teissières jouissent d'une véritable spécialité curative dans quelques maladies, telles que l'atonie de l'estomac, la gastralgie, la gastrite chronique, les maladies légères de l'appareil biliaire, et que, dans un plus grand nombre, elles cons­tituent un adjuvant puissant qu'on aurait grand tort de négliger. J'ajouterai, en terminant cet aperçu thérapeutique, que ces eaux ne conviennent guère dans les maladies de poitrine et qu'on doit les employer avec réserve chez les personnes atteintes d'anévrismes ou prédisposées aux congestions cérébrales ou viscérales.
Les eaux de Teissières, employées seulement en boisson, se pren­nent pures le matin à jeûn, en trois reprises différentes, en ayant soin de mettre une demi-heure d'intervalle entre chaque prise, et de faire pendant ce temps un exercice modéré. On commence par prendre deux à trois verres le premier jour, et on augmente graduellement jusqu'à dix à douze verres par jour. On peut en prendre une plus grande quantité sans inconvénient; c'est du reste au médecin à en dé­terminer la dose, suivant la nature de la maladie et une foule d'autres circonstances qu'il est seul appelé à apprécier. Le buveur d'eau ne doit prendre son premier repas que deux heures environ après l'ingestion de la dernière prise; il doit faire un bon régime et éviter, autant que possible, une trop grande fatigue de corps ou d'esprit. La durée du traitement varie de 20 à 25 jours, mais très souvent il con­vient d'en continuer l'usage comme boisson beaucoup plus longtemps. Quelques malades n'en éprouvant pas un soulagement prompt et immédiat, s'en dégoûtent et les abandonnent. C'est un tort.. Quand on réfléchit que ces eaux ont une action lente, graduée, et qu'elles s'adres­sent fréquemment à des maladies anciennes et opiniâtres, il est facile de se convaincre que ce n'est qu'après un temps plus ou moins long qu'on peut en attendre les heureux effets. Quelques médecins se trouvent très bien de les donner comme tisane, édulcorée avec un sirop approprié à la maladie. La saison la plus favorable pour prendre les eaux sont les mois de juin, de juillet, d'août ou de septembre.
Outre leur emploi thérapeutique, les eaux de Teissières sont prises tous les jours aux repas comme boisson agréable et hygiénique, soit pures, soit mêlées avec du vin. Elles ne le décomposent point ins­tantanément comme le font presque toutes les eaux minérales; mais elles le rendent mousseux, pétillant, et en font une boisson des plus rafraîchissantes et des plus salutaires. On les prend aussi dans la journée, soit pures, soit mêlées avec du sirop de groseilles, de fram­boises ou de limons, avec lequel elles forment une limonade gazeuse naturelle. Prises ainsi, outre qu'elles sont une boisson délicieuse, elles facilitent la digestion, augmentent l'appétit et conviennent beau­coup aux estomacs paresseux. Les personnes qui sont dans ce cas, se trouvent très bien d'en prendre un ou deux verres le soir avant de se coucher.

4° Des Eaux minérales artificielles. ­Exploitation de la source.

Tout le monde ayant compris l'agrément et l'efficacité des eaux minérales gazeuses, mais beaucoup de pays en étant dépourvus et leur transport forcé en bouteilles les rendant coûteuses, on a cherché à les remplacer par des eaux artificielles. Tout en rendant justice aux travaux considérables accomplis par la chimie moderne, il faut reconnaître que si elle a fait des pas de géant comme science d'ana­lyse ou de décomposition, il est loin d'en être de même quand on la considère comme moyen de synthèse ou de recomposition. Aussi, les eaux minérales artificielles ne sont et ne peuvent être qu'une imita­tion très grossière des eaux minérales naturelles. Car, outre qu'elles ne contiennent qu'une très faible partie de leurs principes minéralisateurs, il est démontré que ces divers principes sont loin d'y être associés de la même manière que dans ces dernières. La nature possède, en effet, pour former ses combinaisons, des moyens qu'il nous est impossible d'obtenir dans nos laboratoires, et l'on peut dire que la science chimique ne connaît pas même le mode intime de ces combinaisons.
Pour passer de la théorie à la pratique, citons un fait pris dans une eau similaire de celle qui nous occupe. Si l'on débouche une bouteille d'eau de Seltz artificielle, le gaz s'échappe brusquement, et si la bou­teille reste un instant ouverte, au bout de peu de temps tout le gaz a disparu et l'eau n'a plus qu'une saveur fade. Si, au contraire, on laisse débouchée une bouteille d'eau de Teissières, même des heures entiè­res, pourvu que la bouteille ne soit pas agitée, elle conserve encore une très notable proportion de gaz. Aussi l'eau de Seltz artificielle, ingérée dans l'estomac, y occasionne souvent une distension plus ou moins brusque, accompagnée d'éructations incommodes et parfois même douloureuses. Dans l'eau de Teissières, rien de semblable; le dégagement du gaz s'opérant avec beaucoup de lenteur, son action devient plus douce, plus permanente, et par suite son absorption par les tubes capillaires plus facile.
Je vais plus loin et je dirai que nous ne sommes pas certain que le gaz acide carbonique produit dans nos laboratoires ait toutes les qualités de celui des eaux minérales naturelles. Pourquoi, en effet, celui qui est le produit de l'art, bien qu'il soit lavé, lessivé, donne toujours aux eaux artificielles un goût plus ou moins crayeux qui ne s'observe jamais dans celles qui s'obtiennent à Saint-Albans avec le gaz naturel ? D'un autre côté, comment la chimie parviendra­-t-elle jamais à remplacer cette matière organique qui joue un rôle si important dans les eaux minérales et qui tend à en faire des corps organisés ? Pourra-t-elle dire pourquoi les eaux de quelques sources thermales, comme celles de Wiesbaden, mettent huit jours à se refroi­dir, pendant que l'eau ordinaire, chauffée au même degré, y mettra à peine quelques heures ? Par quel effet chimique ou géologique pourra-t-elle expliquer que les mêmes sources coulent depuis des siè­cles contenant en dissolution et en proportions à peu prés identiques, les mêmes principes minéralisateurs, et que de tant de substances qu'elles rencontrent dans leur trajet souterrain, elles ne dissolvent guère que celles qui sont salutaires au corps de l'homme ? Tant il est vrai qu'il nous faut reconnaître, qu'ici comme dans tout ce qui se passe dans la nature, une main tutélaire préside à toutes ces combi­naisons mystérieuses dont il nous est donné de voir les effets, mais dont les secrets nous échappent et nous échapperont probablement toujours. Concluons donc que les eaux minérales artificielles ne peu­vent jamais remplacer que très imparfaitement les eaux minérales naturelles, et qu'on aurait grand tort d'employer les premières quand on a les dernières à sa portée.
Les eaux de Teissières, se trouvant dans un pays dénué de res­sources et où les buveurs trouvent difficilement toutes les commodités de la vie, ont été en général jusqu'à ce jour des eaux d'exportation. Ainsi transportées, même fort loin, elles ne s'altèrent nullement et gardent fort longtemps toutes leurs propriétés. Il est important pour les bien conserver de les boucher avec soin et de les tenir, autant que possible, dans un endroit frais, les bouteilles couchées. Il faut avoir soin également de bien laver ces dernières, car si elles conservaient dans leur intérieur quelques débris organiques, comme par exemple quelques brins de foin ou de paille, il pourrait arriver qu'à la longue la présence de ces corps organisés déterminât sur les sul­fates de l'eau minérale, une action chimique qui, en transformant le soufre qu'ils contiennent en gaz hydrogène sulfuré, leur communique­rait cette odeur d'œufs pourris, caractéristique des eaux sulfureuses des Pyrénées. Ce fait, du reste assez rare, avait besoin d'être expliqué afin que s'il venait jamais à se produire, il ne fût point attribué à l'action putrescible de l'eau minérale, mais à sa véritable cause, qui n'est qu'une nouvelle combinaison chimique.
Les eaux de Teissières sont si gazeuses qu'on se sert pour leur transport de bouteilles en verre double, ce qui ne les empêche pas quelquefois d'éclater. Aussi, ce n'est qu'avec les plus grandes diffi­cultés qu'on parvient à éviter leur débouchage. Pour cela on les fait voyager, autant que possible, avec la fraîcheur et couvertes de lin­ges mouillés. Pour celles qui sont expédiées au loin, il est indis­pensable de les ficeler, de les goudronner ou de les capsuler.
La ville d'Aurillac, où elles arrivent fraîches tous les matins, en possède un grand nombre de dépôts, d'où elles sont expédiées dans toutes les directions. Mais si l'on considère la facilité de communications qui va résulter de l'ouverture du chemin de fer qui traverse le département, il est aisé de prévoir que les eaux de Teissières sont appelées à étendre beaucoup encore le cercle de leur réputation. D'un autre côté, la construction d'un bâtiment con­venable, qui vient d'être élevé cette année sur la fontaine, jointe à quelques autres réparations, permettra d'apporter à leur embouteil­lage et à leur bouchage toutes les améliorations reconnues désirables, malgré le prix tout-à-fait modique auquel elles sont livrées à Aurillac (15 centimes la bouteille), eu égard à leur difficulté d'exploitation.
L'abondance de la source principale (3 litres par minute), jointe à la circonstance heureuse qu'elle coule du rocher horizontalement et à une certaine élévation, permet de remplir directement toutes les bouteilles à l'émergence même de la source, de façon qu'il n'y a point de déperdition de gaz; aussi l'eau des divers bassins qui sont remplis par un trop-plein, n'est-elle utilisée que pour le nettoyage des bouteilles ou autres usages accessoires de l'exploitation. Sous ce rapport, les eaux de Teissières sont privilégiées, car la plupart des sources gazeuses, étant artésiennes, sont forcément recueillies dans des bassins qui servent au remplissage, quoique l'eau s'y altère ou s'y décompose toujours plus ou moins.

(Extrait du Bulletin de la Société médicale du Cantal.- janvier 1867.)

Pour éviter toute falsification, le cachet de la fontaine, dont le modèle est ci-dessous, est imprimé sur la bouteille, sur le goudron ou la capsule placés sur  le bouchon.

 

  
Aurillac, Imp. BONNET-PICUT.