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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

L'émigration auvergnate à l'extérieur de la province était quasiment un phénomène officiel et reconnu avec lequel il fallait compter, mais d'autres provinces en connaissaient aussi, donc ce n'est pas un phénomène seulement auvergnat, loin s'en faut. Ainsi, au XVIIème siècle, dans les années 1650, un notaire de Raulhac en Carladès, Pierre Froquière, s'occupait officiellement de la traduction des actes en espagnols et était sollicité devant les tribunaux le cas échéant (Abbé POULHES, l'Ancien Raulhac, 1903).
 A Aurillac, le marchand Jacques Delduc s'était spécialisé dans la traduction des contrats passés en langue espagnole dans les années 1665 (ADC E 353).
Il faut savoir que la Haute-Auvergne n'assurait pas sa subsistance et que chaque année, elle devait acheter du blé en dehors, notamment au moment des soudures. Donc il fallait de l'argent pour acheter le blé et payer les impôts !
Voici ce qu'écrivait M. d'Albeiges, qui était intendant d'Auvergne, au contrôleur général des finances, en 1692 : "La plupart des Auvergnats qui vont en Espagne sont mariés. Ils ont femmes et enfants. Quand les garçons sont assez grands pour travailler, le père les mène avec luy. Tous ces gens-là ont l'esprit de retour. Ils rapportent des pièces de 4 pistoles. C'est par cette voye qu'il en entre en Auvergne et cela sert à payer la taille. Ce qui est à craindre, est qu'en sortant d'Espagne, on ne leur oste l'argent qu'ils avaient en revenant, car il ne faut pas craindre que ces gens là quittent leur pays tout à fait...".
Mais l'intendant était contre cette émigration qui privait la province de ces éléments les plus vigoureux ce qui faisait par contre coup monter le prix de la main d’œuvre. Alors il avait envisagé de prendre des mesures contre l'émigration habituelle, mais des ordres contraires venant de Paris lui furent donnés par la suite et il dut abandonner son projet.

 Ce phénomène saisonnier d'émigration se retrouve dans la plupart des documents concernant la Haute Auvergne (actes notariés et registres paroissiaux).
Avant de partir, les hommes mariés passaient procuration en faveur de leur femmes ce qui donnait à ces dernières par contre coup une importance considérable qu'elles n'avaient pas lorsque le mari était au pays. C'est pour cela que cette émigration n'avait été possible que parce que les femmes restaient au pays pour y gérer les biens des absents.
Le 25 octobre 1601, Nicolas Laboria est chaudronnier, à Aurillac. Il va partir en Espagne et passe procuration à sa femme chez le notaire Navarre, de Yolet :
"de gré par libre volonté...pour aller au Royaume d'espaigne ou il a coustume de fréquenter...a faict et a institué...procuration générale...à Giliberte Carrier, sa femme pour gerer, négocier et administrer ...pendant et durant son absence...les negoces et affaire d'icelluy..." (ADC E 75/51).
Les futurs migrants faisaient aussi leur testament :
- 29 avril 1620 : testament de François Carrier, du lieu d'Yolet., célibataire.
"Lequel...prethendant se absenter...pour quelques tems de la province d'Auvergne pour s'en aller au roiaume d'espaigne afin de gaignier sa vie...et craignant...le voiage...a fait son testament".
Il lègue en tout plus de 300 livres à son père et ses frères et sœurs. C'est beaucoup, c'est environ ce qu'il fallait avoir au XVIIè siècle pour vivre pendant une année.

Jean Bancarel, du village de Boudieu, de Yolet,  fait de même :
- Testament du 14 avril 1641 : "...prethendans s'absenter quelques tems du pays et Royaume de France et aller au roiaume d'Espanhe pour gaigner sa vie et craignant deceder pendant un voiage..." Il laisse à ses frères et sœurs une centaine de livres.

Jean Courbebaissse, teste en 1645 et sa succession s'élève à 450 livres.

On voit d'ailleurs un certain enrichissement d'un voyage à l'autre :
- François Carrier :
1er voyage en Espagne en 1616 : testament d"une valeur de 40 livres environ.
2ème voyage en 1620 : la valeur est de plus de 300 livres...
Il y a  d'autres exemples significatifs.

On trouve également trace de l'émigration dans les registres paroissiaux :
A Cros de Montamat (auj. Cros de ronesque) : 7 avril 1664 : Louis Lafon décéde en revenant d'Espagne "surpris d'un torrant de neige...".
Dans la même paroisse : Le parrain de Catherine Terry est Gabriel Lardou, qui doit cependant se faire représenter car : "qui est a presant au royaume d'espaigne".
idem en 1659 pour Pierre Terrisse.

Mais on pouvait aussi mourir en Espagne...
Dans la même paroisse de Cros de Montamat : le 13 octobre 1750, mariage de Raymond Froquières d'Escoubiac et de Gabrielle Rentière. Cette dernière est veuve de Jean Antoine Combier, décédé : "A Syville en Espagne, le lundi 28 juillet 1749, et fut enterré au sanctuaire de l'église paroissiale de Syville comme il m'a été certifié par Lorens de Andrare, notaire public..." notaire de Séville.

A Labrousse, toujours en Carladès : décès le 31 octobre 1761 de Baptiste Courbebaisse,
30 ans, "le dit baptiste Courbebaisse marié quand il vivoit à Madrid, ville d'Espagne"...enseveli le lendemain."

Mais si l'Espagne reste la grande destination, elle ne fut cependant pas la seule.
Ainsi à Narnhac, en Planèze, le 17 juin 1790 : mariage de Pierre Pons, de Narnhac, avec Jeanne Claverolles, fille de Pierre : "gagne-denier dans la ville de paris" et à feue jeanne Guilhem, du village de Vigouroux, paroisse de Saint-Martin (aujourd’hui. Saint Martin-sous-Vigouroux).
Dans les registres paroissiaux de Saint Cirgues de Jordanne, on trouve peu d' "espagnols" mais beaucoup de migrants dans d'autres régions françaises,

Les femmes retrouvaient une autonomie certaine lorsque les maris étaient morts ou hors de la province. Ainsi au XVIIème siècle, avec la précarité de la vie, les hommes qui avaient quelques biens dans leur testaments, faisaient élection d'héritier avec un  fideicommis. C'est à dire qu'ils nommaient leur femme héritière de leurs biens avec mission de remettre ensuite les dits biens entre les mains d'un de leurs enfants une fois ce dernier majeur ou sur le point de se marier. C'est à dire que la femme devenait chef de famille, pouvait passer des actes devant notaire pour vendre, acheter emprunter etc ... (toutes choses qu'elle ne pouvait faire quand son mari était présent ou alors pour ses biens propres toujours avec sa permission). Puis une fois le fils majeur ou la fille majeure, ou pour leur mariage, elle leur rétrocédait les biens du mari avec les siens en prime. Cette habitude très repérable dans les testaments du XVIè , XVIIé et début XVIIIè a été ensuite à la fin du  XVIIIè interdite par un édit, parcequ'elle était de nature à perturber la suite logique des héritages puisque pour 2 générations, l'héritage avait déjà un destinataire en bout de chaîne. Or les testaments en Haute Auvergne de droit écrit, étaient justement fait pour élire en toute liberté un héritier universel à partir du moment ou les enfants avaient leur part appelé "légitime" qu'on ne pouvait pas leur enlever. Pour le départ des migrants, c'est un peu la même chose. Dans l'exemple Laborie (ci-dessus), on trouve ensuite des actes pris par sa femme. Tout le monde ne faisait pas ainsi  parce qu'il fallait au moins que la femme soit capable de gérer les biens au pays, ce que savait le mari en partance, et puis il fallait aussi prendre en compte certaines dispositions particulières qui pouvaient pousser le mari a ne pas compter sur sa femme (héritage, importance prise par un frère, omniprésence du père qui n'avait pas encore fait son testament et avec lequel il fallait compter etc..)., mais cette possibilité assez étonnante était offerte aux femmes, dans une société qui la mettait en tutelle dès qu'elle se mariait.

 Marie Bardet
(Conservateur du Patrimoine)