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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

Un bagnard de Saint Etienne de Capels (aujourd’hui Saint Etienne de Carlat)
(par notre adhérent Jean Troupel)

 

Toujours à mes recherches généalogiques, j'ai trouvé l'acte de décès d'un homonyme qui a attiré ma curiosité. Chance inouïe, une personne des Archive d'Aix en Provence me mail pour me prévenir qu'elle venait de mettre en ligne des documents qui pourraient m'intéresser (ceux-ci n’ont rien a voir avec la généalogie). En retour je la remercie de l'information et lui explique en deux mots mes recherches actuelles, et surprise, quelques jours plus tard je reçois copie complète du dossier de Jean Troupel.

 

La descente aux enfers.

Qu'est ce qui pouvait laisser à penser en ce jour du 5 février de l'année 1835, jour du mariage de Jacques Guinot Troupel  et d'Agathe Chaunac, propriétaire cultivateur à Escazeau, commune de Saint Etienne de Capels (Saint Etienne de Carlat maintenant) que le destin tragique viendrait bouleverser leur vie et celle de leurs enfants.

Les parents du marié sont propriétaires cultivateurs à Froquière, commune de Badailhac,
les parents de la mariée son propriétaires à Escazeau, commune de Saint Etienne de Capels.

En fait, ils régularisent la "situation" car ils ont déjà  fils.
Le couple est prolifique, ils auront sept enfants :
Jean Antoine, l'aîné 7 décembre 1834, décédé le 27 décembre1834 dans la maison familiale.
Bernard, le cadet, né le 6 novembre 1835
Elyse, la troisième, née le 9 janvier 1837
Marie, la quatrième, née le 10 mars 1838
Marie, la cinquième, née le 15 août 1839
Jean Baptiste, le sixième, né le 29 mai 1840
Jean, le septième, né 12 mars 1844.

Tout semble se passer normalement dans ce petit bourg de moins 400 habitants jusqu'à cette année de 1865.

Jean, le dernier, de la classe 1864, inscrit comme appelé sous le N° 302 de la liste du contingent du département du Cantal, doit se présenter le 23 août 1865 au 8ème régiment d'infanterie de ligne (à Aurillac, je pense). Il arrive au corps le 28 août 1865.
La durée du  service militaire à cette époque est de sept ans d'active.

Ces premiers mois de  service ne doivent pas convenir à notre jeune conscrit car Le 26 février 1866, il manque à l'appel. Il est déclaré déserteur le 5 mars 1866 et son escapade dure presque un an.
Le 18 février 1867, il est ramené au corps du régiment. Le 28 mars 1867, il est condamné par le 2ème Conseil de Guerre de la 8ème division à 3 ans de prison pour désertion à l'intérieur avec emport d'effets.

Il sort de détention le 28 mars 1870 et passe cette journée au 1er Bataillon d'infanterie légère d'Afrique, le 10 avril 1870 il arrive au corps du 1er Bataillon d'infanterie légère d'Afrique en garnison à Mascara en Algérie.

Ces bataillons, s'ils n'ont jamais été une formation disciplinaire, ont été créés pour incorporer les jeunes gens en âge d'effectuer leur service militaire et condamnés à plus d'un an d'emprisonnement par la justice civile ou militaire. Il est clair qu'il y régnait une discipline bien plus forte que dans les autres unités de l'armée. La « spécificité » de son recrutement, qui y réunit un bon nombre de voyous, fait des bataillons d'Afrique un endroit privilégié pour forger les réseaux du milieu criminel.

Cet environnement n'arrange pas ses affaires, le 14 novembre 1870, il est condamné par la Cour Martiale de la subdivision de Mascara à un an de prison  pour vente d'effets et de petit équipement.

Il sort de détention 14 novembre 1871 et est incorporé ce même jour comme Chasseur au 2ème Bataillon d'infanterie légère d'Afrique à Médéah (Algérie).

Un relevé des punitions établi le 10 décembre 1872 est éloquent, il stipule, en plus des condamnations prononcées par la Justice militaire :

 

Consigne
(jours)

Salle de police
(jours)

Prison
(jours)

 

Peines antérieures à 1872

20

60

23

Absences illégales et manquement pendant le service.

 

 

 

 

 

1er janvier 1872

 

2

 

Est venu à la revue sans bretelles.

janvier

 

4

 

S'est fait porter malade et n'a pas été reconnu tel par le médecin.

27 janvier

 

 

8

A détérioré une paire de souliers neufs.

20 février

 

4

 

S'est fait porter malade et n'a pas été reconnu tel par le médecin.

23 février

 

4

 

S'est présenté au défilé de la garde sans être rasé.

8 avril

 

 

8

A essayé de voler une pelle à un arabe.

9 avril

 

 

7

En augmentation , décision du Commandant de bataillon.

29 avril

 

 

8

A échangé une bonne blouse contre une mauvaise.

29 avril

 

4

 

Extrême négligence dans l'entretien de son arme.

15 septembre

 

2

 

Malpropreté de son arme

19 novembre

 

2

 

S'est présenté à l'inspection de la garde dans une tenue défectueuse.

10 décembre

 

Passible du Conseil de Guerre

 

Essai de fabrication de fausse monnaie et vol avec effraction , la nuit, dans une maison habitée.

Les calculs de l'administration, au 19 décembre 1872, le donne libérable, dans le meilleur des cas, le 2 février 1876.

Seulement, c'est compter sans ses derniers exploits. Le 22 février 1873, le 2ème Conseil de Guerre permanent d'Algérie, séant à Blidah le reconnaît coupable de vol qualifié au préjudice d'un indigène et le condamne à la peine de 10 ans de travaux forcés et à la dégradation militaire.
Le jugement a commencé à recevoir son exécution le 27 février1873, jour ou le condamné a subi la dégradation militaire à la parade.

Il fera, probablement, partie du 6ème convoi de déportés embarqués à bord du Calvados, navire trois-mâts à voile et vapeur. Ils seront 660 déportés  et transportés à partager son voyage, une majorité de "communards" (déportés, insurgés de la commune de Paris).

Le 18 mai 1873, à 16h30 le Calvados lève l'ancre de l île d'Aix vers le bagne de l'île de Nou en Nouvelle Calédonie. Le voyage dure 132 jours, le 28 septembre 1873 à 13h00, le vigie repère la terre, à 19h00 le Calvados mouille entre Nouméa et l'île de Nou.

Les "communards" sont transférés au pénitencier de l'île des pins, parmi eux des « célébrités » comme Louise Michel ou Henry Rochefort. Ils obtiennent l'amnistie en 1880.

Les transportés sont conduits au bagne de l'île de Nou. Une nouvelle tranche de vie de labeur, il est utilisé, lui et ses codétenus à l'édification des routes et bâtiments de la colonie, le bagne n'est ouvert que depuis 1871..

Le 23 novembre 1881, une "bonne nouvelle" toute relative, par décret "il est accordé  à Troupel jean, ex-militaire, remise du restant de sa peine, sous réserve de l'obligation de la résidence perpétuelle à la Nouvelle Calédonie".

Décidément, notre homme est toujours insoumis, nous le retrouvons devant le 1er Conseil de guerre permanent de Nouvelle Calédonie qui le condamne le 17 avril 1883 a vingt ans de travaux forcés, vingt ans de surveillance et aux frais envers l'Etat, pour rupture de ban et vol avec effractions extérieures.
(Rupture de ban: crime commis par celui qui rentre dans le territoire interdit avant expiration de sa peine).

La délivrance viendra 10 ans plus tard, il décède au bagne de l'Ile de Nou le 1er février 1893.

En 1883 ses parents étaient décédés à Paris ou ils avaient élus domicile. Raisons économiques, à cause du quand dira ton?

Que conclure de cette triste histoire ?
Que ce Jean Troupel était foncièrement mauvais ?
Qu'il n'a pas supporté ses premiers mois de service et qui, tombé dans l'engrenage, a été broyé ?

Je vous laisse à vos réflexions.

 

A lire:

Le rôle des bagnards dans la colonisation pénale en Nouvelle-Calédonie.

http://www.ac-noumea.nc/histoire-geo/spip/spip.php?article164&artpage=2-2