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...La généalogie autrement

 

(Louis CARRIER est né à Ladinhac le 24 Juillet 1784. Il se maria avec Brigitte ROBERT le 9 Février 1825, à Thérondels. Tous deux partirent travailler à Paris pour constituer un pécule afin de revenir s’installer au pays. Il exerça le métier de porteur d’eau pendant que sa femme tenait leur petit café-bougnat. Leurs économies constituées, ils revinrent à Ladinhac où Louis mourut en 1853 et Brigitte en 1863)
Porteur d’eau, porteur de peine.
Louis CARRIER remontait péniblement la rue Etienne, les jambes brisées de fatigue, les épaules brûlantes de courbatures, le cou tendu sous la charge du joug et le balancement de ses seaux, crotté, trempé.

C’était un homme plutôt grand, le visage arrondi, le front bombé, le teint basané, sourcils épais et cheveux noirs, les épaules larges et la poitrine développée. Sa force était peu commune. Jamais malade, ce solide gaillard impressionnait par sa résistance au travail.

Sa journée se terminait et il songeait à sa pauvre condition de porteur d’eau, à son pays si lointain, à ses désillusions, à ses rêves de jeunesse et ses espoirs trop grands de faire fortune à Paris.

Vêtu de velours et de gros drap, couvert d’un large chapeau de cuir bouilli, dont les larges bords remplaçaient avantageusement le parasol ou le parapluie, les reins soutenus d’une large ceinture de flanelle, le porteur d’eau déambulait dans les rues de Paris, le cadre de bois pliant l’échine sous le poids

Le métier était rude, le dos et les reins cassés par la charge, les jambes rompues par les escaliers sans cesse grimpés et descendus, par les temps et es hivers les plus éprouvants. Dans les listes d’indigents admis aux secours, les porteurs d’eau figuraient parmi les plus nombreux (Annales d’hygiène pour 1836, tome IV).

Chez les porteurs d’eau cependant, les filières de travail, bien établies, et un encadrement très efficace du débutant par es compatriotes qui l’hébergent, leur évitent bien des tentations. La preuve en est qu’un rapport de la Préfecture de police, insiste sur les qualités morales des porteurs d’eau, malgré les tentations auxquelles ils sont exposés en franchissant quotidiennement le seuil des maisons les plus riches (selon un rapport de la Préfecture de police du 24 thermidor, An X, Charles Alaric Cheynet, 27 ans, est poignardé par un voleur qu’il poursuivait. Il eut droit à un discours du maire et une salve de mousquets sur sa tombe. Voir plus bas).

Ils étaient d’autant plus appréciés que leur métier et leur probité en faisaient une source de renseignements précieuse pour VIDOCQ qui, s’entourant d’anciens forçats indicateurs, s’était fait élever au rang de chef de brigade en 1832.

D’abord modeste détenteurs de deux seaux, le porteur d’eau vient cent fois par jour à la fontaine publique, où il a établi son quartier général, et part de là en décrivant tous les itinéraires possibles, pour aller ravitailler avec une scrupuleuse exactitude, les fontaines privées du sixième étage comme celles du premier, d’un hôtel somptueux aussi bien qu’une modeste mansarde.

Il sait le matin combien de fois dans la journée ses seaux seront remplis et vidés, combien il aura d’étages à monter et redescendre, et il combine ses heures et ses voyages de manière que tous ses services soient assurés.
Personne mieux que lui ne sait à quel moment il vous faudra de l’eau et en quelle quantité. C’est un détail dont il est tout à fait inutile que vous vous occupiez. Il connaît vos jours et vient à vous de lui-même sans que vous l’appeliez : il va tout droit à la cuisine et y entre comme dans son domaine. Vous le laissez faire comme il l’entend, sans méfiance, allant et venant comme cela lui plait, car sa probité et sa discrétion vous sont connues. Si vous ne le payez pas à chaque voyage, son livre de compte est le coin d’un mur avoisinant votre fontaine, sur lequel il trace avec un charbon, autant de seaux qu’il vous a fournis.

Aussitôt que ses économies le lui permettent, il donne un peu plus d’étendue à son petit négoce. Il se procure un tonneau monté sur deux roues, le traîne à bras d’une manière fort pénible, mais c’est pour lui une grande amélioration. Il y trouve une économie de temps considérable et parvient à doubler ou tripler le nombre de ses clients.

Enfin, à force de multiplier ses relations et d’arrondir ses fins de mois, il atteint le sommet de l’échelle : il achète un cheval, puis deux, puis trois, qu’il attèle à autant de tonneaux. Alors il est Maître et prend des subordonnés à son service.

Parfois, derrière cette réputation entretenue de gagne-petit, se dissimulaient et se développaient des réussites les plus brillantes, des négociants aisés organisés en une vaste association commerciale, se répandant dans les départements et à l’étranger. Au XXème siècle, le patron d’une des brasseries les plus renommées de Paris, la brasserie Lipp, la plus courue du monde politique et littéraire, était un auvergnat qui avait débuté à Paris comme porteur d’eau …


La contribution des porteur d’eau à l’hygiène et la lutte contre les incendies , à Paris
En 1832, malgré les fontaines publiques et gratuites, l’hygiène des parisiens et leur consommation d’eau, étaient encore assurées par les porteurs d’eau qui gravissaient péniblement les étages, le seau sur l’épaule. On devine aisément à quels principes élémentaires étaient réduites les notions d’hygiène, et à quel danger s’exposait la santé publique, déjà gravement compromise par des foires permanentes à proximité des puits et puisards. Cependant, cette hygiène élémentaire permit déjà des progrès dans la lutte contre les ravages terrifiants des épidémies.

Cette eau était le plus souvent saumâtre, nauséabonde, chargée de matières organiques, impropre même au savonnage et à la cuisine. Louis CARRIER avait coutume de dire : « l’eau c’est pas comme la terre, ça n’a point participé au péché originel, la preuve c’est que le Bon Dieu s’en est servi pour l’expiation par le déluge … ».

Il y avait des fontaines publiques. Par un décret de 1812, l’eau de ces fontaines fut distribuées gratuitement, mais il était interdit d’en faire le commerce et, de ce fait, les porteurs ne devaient s’approvisionner qu’aux rivières, aux pompes à feu ou aux fontaines marchandes qui étaient payantes. Par mesure d’hygiène il fallut interdire aux blanchisseuses d’y laver le linge, et aux cochers d’y faire boire les chevaux.

On distinguait en fait :
- les porteurs qui portaient l’eau sur leurs épaules.
- les porteurs en tonneaux à bras, qui tiraient leur charrette d’environ 300 litres.
- les porteurs en charrette à cheval, tractant des tonneaux d’environ 800 litres.

Les porteurs d’eau devinrent si nombreux, qu’il fallut réglementer la profession. En 1815 et 1816, des décrets concernant le commerce de l’eau en charrette, imposa une autorisation de la Préfecture de police. Chaque tonneau devait être jaugé par les Poids publics et marqué par un peintre de la Préfecture, d’un numéro, de sa capacité, et du nom de son propriétaire.

Les fontaines publiques étaient payantes, et les porteurs étaient si pressés qu’il y avait parfois des bagarres. Seuls les militaires et les indigents étaient autorisés à se servir gratuitement.

En contrepartie d’une eau fournie gratuitement aux pompes à feu, les porteurs en tonneaux étaient tenus de les garder pleins, la nuit, aux emplacements prévus à cet effet, afin d’assurer des secours les plus prompts en cas d’incendie. Au premier avis d’incendie, ils devaient y conduire leurs tonneaux pleins et les premiers arrivés se voyaient octroyer une prime.


Une fin de journée bien méritée

Malgré la dureté du métier, le porteur d’eau auvergnat trouvait encore des ressources, le soir, pour se retrouver dans les bals qui se multipliaient dans les quartiers de la Bastille, sous le son aigrelet de la cabrette.
Il suffisait que le musicien gonfle son instrument et en route pour la bourrée !

C’était à l’origine une sorte de danse amoureuse où la femme s’avance et minaude devant son cavalier, pour s’enfuir dès qu’il approche. Les danseurs vont, viennent, tournent en dérobées gracieuses, simulacres de tendresse qui s’offre et se refuse, se reprend et s’abandonne. Puis les hommes se prennent au jeu. Leur large feutre enfoncé sur la tête, sous la blouse le pantalon tombant sur les sabots, sautant, glissant, gesticulant dans des transports joyeux de vainqueurs, ils tournent au rythme de la bourrée chantée. Ils poussent des cris gutturaux, claquant des doigts, tapant des pieds en cadence, et se défiant dans un combat pacifique.

Très curieusement, les auvergnats adoptèrent très vite ‘accordéon des émigrés italiens, et cette fusion donna naissance au « bal musette » très vite apprécié par la France populaire.

La plupart des porteurs d’eau après avoir durement travaillé et amassé quelque argent sur plusieurs années, rentraient au pays pour y acheter le lopin de terre qui leur permettait de s’y maintenir.


Marcel ANDRIEU


Rapport de Police repris dans le journal « Le Moniteur » du 24 Thermidor an IX :

Mairie du XI ème arrondissement.
Le 18 de ce mois, après midi, un vol a été commis rue des Fossoyeurs chez la demoiselle Miller, artiste de l’Opéra. Charles ALARIC CHEYRET âgé de 27 ans, porteur d’eau, ayant auparavant fait la dernière guerre d’Allemagne, demeurant même rue au n° 104, s’est élancé sur le voleur pour l’arrêter. Il le saisit au collet et au même instant il reçoit de ce scélérat un coup de poignard dans le cœur et ne tarde pas à expirer.

Cet assassin est arrêté. On a trouvé sur lui une grande partie des effets volés. Mais sa malheureuse victime CHEYRET, estimée de tout le voisinage pour sa bonne conduite et pour sa piété filiale, laisse dans le besoin un père et une mère âgés, dont il était l’unique soutien.

La mairie du XI ème arrondissement et le comité de bienfaisance de la division du Luxembourg, viennent, pour ces infortunés vieillards, de demander du Ministère de l’intérieur, l ‘admission dans les maisons nationales de retraite.

Le maire et ses adjoints, désirant en outre donner un témoignage public de reconnaissance pour cet acte généreux de dévouement, ont rendu le 19 Thermidor au soir, au corps du brave CHEYNET, les honneurs funèbres auxquels ont assisté le Magistrat de Sûreté, le bureau de bienfaisance du Luxembourg, les commissaires de Police, et les fonctionnaires publics de l’arrondissement, accompagnés par le détachement de la Garde Nationale sédentaire, commandé par le chef de bataillon et les adjudants.

Le citoyen Boulard, Vicaire, a prononcé un discours où il a été l’interprète des sentiments de reconnaissance de tous les citoyens pour la courageuse victime.

Les détachements ont fait sur la tombe, des salves de mousquetons.

Le citoyen Depierre curé de la paroisse de St Sulpice, à laquelle le corps a été présenté, y a rappelé aussi ce qu’on devait à la mémoire du brave CHEYNET, et a fait faire dans cette église une quête en faveur de ses père et mère, dont la triste et cruelle position doit intéresser toutes les âmes sensibles et pour lesquels ce secours est malheureusement insuffisant.

Marcel Andrieu

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