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...La généalogie autrement

 

Le château de Loubarcet et les Rochefort d'Ally

 

 

Le château de Loubarcet, les Rochefort d’Ally et la fondation de la chapelle Ste Anne.

L’histoire du château et de la chapelle Sainte Anne de Loubarcet (ou Laubarsès) est connue par des documents du 13ème siècle, les uns originaux, les autres copiés aux 17e et 18e siècle. Certains ont servi à la famille fondatrice De Beaucastel et à ses successeurs présumés pour prouver que la nomination du chapelain de Sainte Anne leur revenait de par la charte de fondation ; le bénéfice tiré de cette charge était minime, mais aux 17e et 18e siècle les deux ordres privilégiés faisaient feu de tout bois. C’est ce que montre l’article de Louis Lafarge publié dans la Revue de Haute Auvergne de 1911, qui raconte sur la base de documents retrouvés dans un grenier de la famille Grouffal à St Jacques des Blats la rivalité entre le curé de Massiac, un membre de la famille De la Rochette, et Durand, un bourgeois clermontois acquéreur de droits d’une autre branche de cette même famille, dont la fille Agnès avait épousé un sire de Chassignolles établi à Grenier Montgon, au 18ème siècle. Le curé de Massiac François Grouffal avait constitué dans les années 1780 un dossier considérable (mais devenu caduc du fait de la Révolution, et archivé dans un grenier) pour prouver en cour de Rome et devant le Parlement qu’il avait droit au bénéfice (5 sols et un setier de seigle…) versé par le chapelain de Loubarcet au patron de la chapelle, c’est à dire à l’autorité qui l’avait nommé, et dont le curé de Massiac se déclarait le successeur, contre les prétentions des De la Rochette et de la Dame de Chassignolles. Telle est la principale source : le problème est que personne ne sait ce que sont devenus ces documents consultés vers 1910 par Louis Lafarge…. Il semble que ce soit ce dossier impossible à repérer et lui seul qui mentionne l’existence d’une charte de fondation de la chapelle, datée du 6 janvier 1215, par un certain Aubert de Beaucastel, seigneur de Loubarcet, qui stipulait que le patronage qu’il se réservait ne puisse être séparé de sa seigneurie. Mais on n’a aucune trace de l’original de cette charte, ce qui laisse planer un doutes sur l’authenticité de ce document, bien commode pour permettre aux prétendus successeurs d’Aubert de Beaucastel, les De la Rochette (qui avaient repris opportunément le titre de Beaucastel au 18ème siècle, au moment de revendre leurs droits aux Durand), de revendiquer la nomination du chapelain. En outre, on ne sait rien de cet Aubert. Le curé Charbonnel, dans son histoire manuscrite de La Chapelle, rapporte une légende selon laquelle Aubert aurait fondé la chapelle au retour de croisade, et une autre, selon laquelle des moines auraient occupé le château de Loubarcet. On sait que les nobles auvergnats ont joué un grand rôle dans les croisades, et que les ordres des Templiers et des Hospitaliers se sont beaucoup développés dans la région. En outre, 1215 est une date significative : elle marque un pas décisif dans la conquête de l’Occitanie par les rois de France et leurs barons et l’apogée de la croisade contre l’hérésie albigeoise. Quant à Beaucastel (alias Bouschasteil), il est cité par le dictionnaire topographique du Cantal sans qu’on puisse le localiser. Mais comme la source de l’information est le terrier de la commanderie de Montchamp de 1730, qui était une création des Hospitaliers, il est possible que la chapelle castrale de Loubarcet ait été construite à l’initiative d’un chevalier membre de cet Ordre. Néanmoins elle est placée sous le patronage de Sainte Anne (alors que la plupart des créations des Hospitaliers sont sous l’invocation de Saint Jean ou de Marie), ce qui peut laisser supposer que sur cet emplacement existait déjà une chapelle.

En revanche, ce qu’attestent des chartes authentiques à peine plus tardives, c’est que le château de Loubarcet est tenu au 13ème siècle par une branche cadette des Rochefort d’Ally qui avaient succédé aux ducs de Mercoeur comme puissance féodale de la région. L’érudit auvergnat Paul Leblanc a constitué au 19e siècle une vaste collection de documents authentiques concernant la famille Rochefort d’Ally : généalogies, actes divers pour la plupart copiés et attestés au 17e siècle par des notaires royaux. Cette collection conservée à la bibliothèque du Patrimoine de Clermont Ferrand a été en partie exploitée par Paul Pialoux, mais il n’en a pas détaillé tous les renseignements. D’après Paul Pialoux, « les premiers Rochefort habitaient manifestement Loubarcet. Selon Monboisse, il s’agissait du pagus de Loubarcet, allant du fond de l’Allagnonette à La Chapelle Laurent, détenu en fief par les Rochefort en 1258. Selon Boudin et Chassaing, le lieu de Rochefort faisait partie du pagus de Loubarcet, avec Rochette, Beaucastel, Loubaresse, Alleret… ». Dans une lettre par laquelle Hugues Dauphin fait hommage à Alphonse de Poitiers, Comte de Toulouse, le 13 novembre 1262 (in Layettes du Trésor des Chartes tome IV p. 48, reproduit dans Spicilegium Brivatense, document 47, p. 103), il est dit que le château de Loubarcet avec ses dépendances est occupé par le chevalier Ozils (Odilon) de Rochefort et par le domicellius (damoiseau, c’est à dire jeune noble pas encore chevalier) W. (Guillaume) de Rochefort qui le tiennent en fief de Guillaume Comptor (c’est à dire comte) d’Apchon. On retrouve ce Guillaume de Rochefort dans la généalogie de la famille Rochefort d’Ally, et aussi dans le Cartulaire de l’ordre du Temple (E.G. Léonard, Paris, Champion, 1930, repris dans templiers.net) où il est dit qu’il est un chevalier templier, commandeur de La Selve, en Rouergue, et de Jalès, dans les années 1259-1267.  Guillaume de Rochefort a épousé en 1269 Léonore de Fortanier (un hameau de Vèze), dont on a conservé le testament daté de 1278. La même collection Paul Leblanc (folios 181 et 182) inclut la copie de l’hommage daté du 6 août 1316 d’un autre Guillaume dont le titre n’est pas spécifié, ‘garant du lieu de Lobarcès’, à Guigon de Rochefort d’Ally, à Malmenet (le mot signifie cadet en ancien français) seigneur de Roche et au damoiseau Guiot de Lobarcès qui possèdent en indivis le château (pro indivisio communiter castri de Loubarces). Ledit Guillaume exerce pour le compte des trois seigneurs des droits sur le château et la châtellenie de Loubarcet, à l’exception du lieu appelé ‘Le chancer de la Chassaha’ qui touche d’un côté la terre de Guiot de Loubarcet et de l’autre celle de Bertrand de Rochefort.

Des documents ultérieurs concernent la paroisse de La Chapelle sans mentionner Loubarcet : en 1331, Guigon de Rochefort reçoit de Bernard de Roquere l’aveu d’une partie des terres de Loubaresse et La Chapelle Laurent ; le jeudi saint 1349, son fils Odilon, reçoit à son tour l’aveu des terres de Loubaresse et La Chapelle, mouvantes du château de Nonette ; et en 1371, Amédée, fils d’Odilon, seigneur d’Ally, Massiac, Alleret et Le Verdier, reçoit de Pierre Ruol l’aveu de Loubaresse, le dimanche après la St Barthelemy ; par la suite son fils Guigon reçoit l’hommage du chapitre de Massiac, et son petit fils Hugues, chambellan de Louis XI, épouse Isabeau de Bohan, fille d’Antoine de Bohan seigneur de la Rochette.

Les informations les plus précises datent de la fin du 14e siècle. La collection Paul Leblanc contient un document latin de 1383, (transcrit et attesté par un notaire assisté d’un prêtre, trois siècles plus tard, en 1684, et c’est ce document du 17e siècle qui nous est parvenu) donné au château de Nonette, alors occupé par Randon Dumas, lieutenant du duc de Berry, suzerain des Rochefort. Il énumère les droits sur Loubarcet de Philippe de Rochefort, fils de feu Jean de Rochefort ; il semble que ce Philippe soit un mineur dont la tutrice est une Dame Leona (ou Léonore, nom transmis dans la famille de Rochefort), sœur de son père Jean, « fille et héritière d’Odilon de Rochefort alias de Loubarcet, et également héritière de Guinot [sans doute le Guiot de l’hommage de 1316] de Rochefort alias de la sauveté de Loubarcet ». Elle ordonne à son avoué (procurator) et sergent (serviens) « de garder, défendre les terres qui m’appartiennent en propre et ladite tour de tout désordre » (selon la traduction de Pialoux), détaille les limites topographiques de la seigneurie et les conditions dans lesquelles elle lui délègue son autorité sur ce qui est une sauveté sur laquelle elle exerce des droits de haute, moyenne et basse justice.

Selon ce texte, le site de Loubarcet comprenait un vieux château, un château neuf, une chapelle, et un hospice ou maison d’hôtes (hospitium) appelé La Farge. Le château neuf se composait de la cour ou résidence (aula) et de son jardin, d’une grange, d’une étable, d’une cuisine, d’une dépendance pour les hôtes, ainsi que de la chapelle. D’un côté, il jouxtait les pâtures de Guillaume Barge, les champs de Baldo de Calamene (un lieudit de la commune de Marcolès), la maison, le pré et le jardin du damoiseau Etienne Pons Algard. De l’autre côté, il touchait la maison et l’étable du Petit Poteau (la Paliolo) où se trouvait la porte ou barrière d’où partait la route descendant du château et de la chapelle. Il s’étendait jusqu’à l’hospice de La Farge (dont on ne peut repérer l’emplacement exact), et jusqu’à la motte et au fossé de ce qui restait du vieux château. Il incluait dans ses limites les maisonnettes de Guillaume Barbetta, Jean Bon, Martin Boisson et Jacques Marc. Ce domaine était délimité par des bornes, fossés, palissades et barrières. Le sergent  devait s’assurer que les limites de la sauveté (salvegardia) étaient respectées et les défendre. En outre, il servait d’intendant pour la perception des redevances, péages et autres droits féodaux, et organisait la culture des terres environnantes.
La mention de Loubarcet comme « sauveté » est extrêmement intéressante et n’a jamais été soulignée. Les sauvetés sont des villages créés à l’initiative de l’Eglise, très souvent par des Hospitaliers de retour de croisade, entre le 11ème et le 12ème siècle à l’époque des grands défrichements, qui jouissent d’une garantie de non-agression dans le cadre de ce qu’on appelle les « Paix de Dieu », visant à protéger les paysans de l’agressivité des seigneurs, tout spécialement en Auvergne. Les sauvetés ont une fonction colonisatrice et de mise en valeur des terres : véritables villages neufs, elles ont pour objectif d'attirer et de fixer des populations agricoles qui cherchent refuge contre la violence des guerres féodales. Lieu d'asile balisé par des bornes en pierre surmontées de croix dans le sud-ouest, mais ici par de simples pieux, placé sous le contrôle d'une abbaye, d'un monastère ou d'un prieuré, elles deviennent à partir du 11ème  siècle un lieu franc où l'immunité de l'individu est respectée. On peut donc penser que depuis ses origines, la chapelle, fondée sous les auspices des seigneurs de Rochefort,  a joué un rôle aux côtés du château neuf pour attirer et défendre les familles paysannes chargées de mettre en valeur les terres du suc. Il est possible d’après notre texte que la fondation de la sauveté de Loubarcet soit liée à l’hospice. Les travaux de l’Abbé Bouffet (publiés dans la Revue de Haute Auvergne) montrent que les Hospitaliers de St. Jean de Jérusalem étaient très actifs dans la région : leur grand centre était la commanderie de Montchamp, sur l’emplacement d’une sauveté fondée par les Mercoeur, et contrôlée par les seigneurs de Lastic, puis par la famille de Lespinasse. On l’a vu, dans un terrier de Montchamp de 1730, la terre de Beaucastel (orthographiée Bouschasteil), dont il est aussi question dans l’acte de 1383 (aula Castelbelli), est incluse dans les terres de la commanderie de Montchamp.

On pourrait en conclure que la sauveté, l’hospice de La Farge, le château neuf, et la chapelle de Loubarcet ont été fondées à son retour de croisade par Aubert de Beaucastel, chevalier hospitalier, membre de la famille de Rochefort qui contrôlait déjà le vieux château en tant que vassale des Mercoeur. Ce faisant, il aurait transformé un poste fortifié en un véritable village organisé et y aurait attiré une importante population.

Deux siècles plus tard, à la fin du 14e siècle, en pleine guerre de Cent Ans, la Haute Auvergne était ravagée par des bandes de routiers, les grandes compagnies, qui avaient été chassées du château de Nonette peu avant la rédaction de ce texte. On peut penser que la sauveté était plus que jamais un indispensable lieu de refuge pour les paysans, et que le sergent de Loubarcet avait une rude et utile tâche à accomplir pour le compte de la dame Léona.

Une autre information intéressante est que la seigneurie de Loubarcet semble avoir été dédoublée depuis le Moyen Âge, une partie étant seigneurie tout court du château, et l’autre étant seigneurie de la sauveté, et incluant la chapelle. Ce dédoublement sera à l’origine de complications aux siècles suivants, comme ce fut souvent le cas, et fera la fortune des avocats, notaires et autres feudistes.

Au début du 16ème siècle, la seigneurie ou une partie de la seigneurie est aux mains de la famille de Léotoing, alliée aux Rochefort, qui fait refaire les terriers entre 1524 et 1533. Robert de Léotoing a épousé Madeleine de Gibertès en 1560. Après sa mort, sa veuve fait donation de la seigneurie à ses gendres, Louis de la Marche et Claude de la Rochette, en 1591; ce dernier (qui se fait appeler aussi Claude de Gibertès) rachète en 1601 sa part à son beau-frère Louis de la Marche, comprenant Loubarcet, Chausse, St Poncy, Alleret et autres lieux, devant Maître Benezit, notaire à St Ilpize. Un nouveau terrier de Loubarcet est alors rédigé vers 1620, selon Jean Baptiste Charbonnel.  Les De la Rochette, alliés à une branche des Rochefort, ne sont donc attestés à Loubarcet qu’au début du 17ème siècle.

 

La rivalité des De la Rochette et des Chalvet de Rochemonteix au 17ème siècle

Les seigneurs Guigues de La Rochette de Rochegonde succèdent ainsi aux Rochefort d’Ally à Loubarcet. Originaires du Dauphiné, ils se sont établis à St Ilpize au 13ème siècle. Le château de la Rochette est sur le versant qui regarde l’Allier et fait partie de la ceinture fortifiée qui protège le plateau. Par un jeu d’alliances avec les familles seigneuriales locales, ils élargissent leurs domaines entre le 13ème et le 16ème siècle. Succédant à Claude de la Rochette, Jean Baptiste de la Rochette, seigneur de Loubarcet et autres lieux, épouse Charlotte, fille de Jacques Chalvet de Rochemonteix et de Marguerite de Rochefort d’Ally, en 1618, avec un contrat reçu par Dupuy, notaire royal. Il soutient en 1625-26 un procès contre Hugues de Rochemonteix, issu d’une branche cadette de la même famille, à qui il fait défense de s’intituler « seigneur en partie de Loubarcès ». Selon J.B. Charbonnel,  Françoise de Lespinasse avait en effet vendu en 1606 à Hugues de Rochemonteix les droits qu’elle possédait sur Loubarcet, dont on ignore l’origine, mais qui venaient visiblement en concurrence avec ceux des De la Rochette. Les alliances très nombreuses et les rivalités non moins nombreuses entre et à l’intérieur de ces deux familles occupent le début du 17ème siècle. Elles sont sans doute à l’origine de la réfection vers 1620 du terrier de Loubarcet, document cité par J.B. Charbonnel mais dont on n’a pas pu jusqu’à présent retrouver la trace : on ne sait donc pas s’il a été rédigé pour les de la Rochette ou pour les de Rochemonteix.

En 1655, Jean Baptiste de la Rochette laisse un testament partageant sa seigneurie entre son fils aîné Jacques, qui reçoit La Chapelle, Chaliac et La Rochette et qui est à l’origine de la famille de Miramon qui réside au château du Fayet jusqu’à la Révolution, et François, seigneur de Chassignolles et Verneyrolles, qui reprend le nom De Beaucastel tombé en désuétude depuis les origines de la chapelle. Un an plus tard un nouveau terrier de La Chapelle Laurent est élaboré pour Alexandre de Montgon. Ce document est aux archives municipales de Saint Flour. Il concerne fort peu Loubarcet mais pour l’essentiel les terres de la seigneurie du Fayet. Les deux frères nomment conjointement les chapelains de Sainte Anne jusqu’en 1666. A cette date, Jacques cède à François la haute, moyenne et basse justice de la seigneurie de « Loubarcès » avec la rente dudit bien, y compris la nomination du chapelain qu’il exerce jusqu’en 1684. L’original de ce document se trouve dans le fonds Levé Durand aux AD du Puy de Dôme. Mais dès le début du 17e siècle, la branche cadette des Chalvet de Rochemonteix s’était déjà solidement installée au château.

Antoine Chalvet de Rochemonteix (1539-1596), dont on a conservé le testament, daté du 13 août 1596, avait épousé en 1555 (à l’âge de 16 ans) Jeanne de Laubar, fille de Jean de Laubar, écuyer, seigneur du Caire (près de Cheylade). Les Chalvet de Rochemonteix descendaient d’une famille de Cheylade, dans le Haut Cantal, dont une branche aînée a tenu le château de Léotoing et plus généralement les routes stratégiques menant de la Basse à la Haute Auvergne, l’un de ses descendants, Maximilien, atteignant une haute position à la Cour après 1700. La branche cadette qui nous intéresse est beaucoup plus modeste : établie dans la région de Saint Just, qui contrôle l’accès au plateau de La Chapelle depuis Brioude, elle s’est alliée avec des hobereaux de la région, ce qui a été le cas d’Antoine et de ses descendants avec les De la Rochette. Antoine a eu de très nombreux enfants, dont trois retiendront notre attention : Hugues (4e enfant, né en 1563), Henry (5e enfant, né en 1566) et Guyot, 8e enfant. Henry a épousé le 3 mars 1615 Gabrielle de la Rochette, qui se disait descendante des De Beaucastel fondateurs de la chapelle Ste Anne, et en a eu un fils, Jean, qui s’est marié en 1655. Guyot a épousé le 9 février 1600 Jeanne de la Vernède, veuve d’un François de la Rochette. Enfin son frère Hugues, décrit comme écuyer, seigneur de Loubarcet, a épousé à une date indéterminée Michelette Madeleine de La Chapelle (il s’agit sans doute de La Chapelle Laurent), dont on ne connaît pas les origines. Ce couple a résidé au château de Loubarcet dans la première moitié du 17ème siècle, sans pour autant détenir la totalité de la seigneurie puisque les De la Rochette continuaient à nommer le chapelain. Hugues et Michelette (décédée en 1652) ont eu 5 enfants : Jean, marié en 1638 à Loubarcet, dont on ignore le nom de l’épouse, et décédé en 1648 à Esprats-Brunets près d’Apchon à l’occasion d’un duel ; Marguerite, mariée le 24 novembre 1644, à Loubarcet, à Blandin de Bar; Jacqueline, mariée à Du Theil de la Vernède, également décédé en 1648 à Esprats ; et Yves, décédé en même temps que son frère et son beau-frère, en 1648, à l’occasion du même duel. Jean, mort 10 ans après son mariage, a sans doute vécu à Loubarcet, et il est probablement le père de Françoise de Rochemonteix. Mais il peut y avoir confusion avec un autre Jean, fils d’Henry : en effet selon J.B. Charbonnel, Henry aurait été seigneur de Loubarcet à partir de 1628 et jusqu’en 1659, date à laquelle lui aurait succédé son fils Jean. En revanche il est impossible que ce Jean fils d’Henry, qui ne s’est marié qu’en 1655, soit le père de deux filles, Marie Michelle et Françoise de Rochemonteix, née vers 1645, dont on retrouve la présence à Loubarcet où elle est morte le 17 décembre 1725 à l’âge de 80 ans environ. Il est assez clair que ces familles de la petite noblesse auvergnate du début du 17ème siècle passent leur temps à s’allier, à se faire des procès et à s’exterminer. Le récit des Grands Jours d’Auvergne de 1665 nous donne une idée assez juste du caractère belliqueux, indiscipliné et rétif à toute loi de cette classe sociale : le comte d’Apchon est avec D’Espinchal de Massiac l’un des principaux accusés de ces grands procès : ils ont commis leurs méfaits dans notre région.

Entre 1666 et 1684, selon le dossier Grouffal, les De la Rochette étaient « tombés en décadence ». En effet, ils figurent dans le rôle de la revue des nobles d’Auvergne du 30 septembre 1674 (François de la Rochette, seigneur de Verneyrolles, et Jacques de la Rochette, écuyer), mais sont absents de ceux de 1692. Ils s’étaient désintéressés de Sainte Anne, d’autant qu’une catastrophe naturelle (« une grêle ou gelée », selon un témoin paysan non nommé) avait rendu Loubarcet désert durant environ 25 ans. La grêle, amenée par le vent du sud, fera de nouveau des ravages aux siècles suivants : ainsi en juin 1788 dans toute l’Auvergne, selon le voyageur Legrand d’Aussy (« de tous les fléaux, celui que l’Auvergnat craint davantage, c’est la grêle »), puis en 1845 et 1847, selon J.B. Charbonnel. Cet événement de grande importance doit se situer dans le dernier tiers du 17ème siècle, sans doute vers ou avant 1675, ce qui est corroboré par la rareté des actes concernant Loubarcet sur les registres paroissiaux au tout début du 18ème siècle ; il est possible que les paysans aient émigré à La Bastide (le nom désigne un village construit à neuf), fréquemment mentionné comme un village peuplé au début du 18ème siècle, mais ne figurant plus que comme un lieu dit au début du 19ème siècle sur le cadastre, sur le flanc sud du Mirial.

François de la Rochette (1638 - 8 mai 1679 à Mercoeurette), marié à une Anne, fille d’Anne Chalvet de Rochemonteix, avait légué à son fils Jean (1673 - 17 septembre 1753 à Mercoeurette) ses titres de seigneur de Beaucastel, Verneyrolles et Loubarcet. Ce dernier avait finalement vendu ses droits dépendant de la seigneurie de Beaucastel à un bourgeois prenant à ferme les seigneuries d’Auvergne, Nicolas Durand, le 15 janvier 1727. Durand maria sa fille Agnès Durand à un nobliau, l’écuyer Joseph de Chassignolles, peut-être un descendant des De la Rochette, et les installa à Grenier Montgon, dans une propriété qu’il appela somptueusement le château de Florival, où ils vécurent en continuant à faire valoir des droits seigneuriaux et en prêtant de l’argent à leurs voisins (voir le fonds Levée-Durand aux archives départementales du Puy de Dôme). C’est à cette occasion que le curé Grouffal entra en conflit avec eux. En effet, la nomination du chapelain (titre devenu assez fictif) de Sainte Anne avait été récupérée avant le début du 18e siècle par le prieur de Rochefort (lui aussi fictif, car le prieuré étant en ruine, c’était le vicaire général de l’évêché de Saint Flour qui en avait le titre), ce qui peut avoir encouragé le repeuplement du village. Il est instructif que les noms des chapelains successifs de l’époque soient ceux de prêtres issus de familles paysannes « indéracinables » du terroir: Jean Tropenat en 1688, Jacques Chazarent en 1706, Jean Orceyre en 1706.

 On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu de cette branche de la famille Chalvet de Rochemonteix : les fils étant morts en duel, et Loubarcet étant abandonné pour cause de grêle, leur seigneurie devenue fictive a été transmise par les femmes. Françoise de Rochemonteix avait épousé Jacques de Saint Vidal en 1675 et lui avait transmis la seigneurie de sa part de Loubarcet. Pour ce qui est du château, même s’il n’a pas été laissé à l’abandon comme les maisons du village, il a dû souffrir de cette crise, qui, notons le, correspond à la période où le triomphe de l’absolutisme réduisait l’autorité des petits seigneurs de province.

 

Grandeur et décadence des De Saint Vidal du Champ aux 18ème et 19ème siècles.

Cette famille apparaît dans l’Armorial du Velay de Georges Paul, p. 422, où elle est présentée comme une branche bâtarde de l’illustre famille des barons De la Tour de Saint Vidal, issue de la région du Puy en Velay (où subsiste leur château à Saint Vidal), qui s’était tristement illustrée lors des guerres de religion ; l’information est reprise dans le Nobiliaire du Velay et de l’ancien diocèse du Puy, de Gaston de Jourdan de Vaux, tome VI, p. 137.  Ces petits nobles du Velay, seigneurs d’Orceyrolles et du Champ, étaient installés dans la région de La Roche en Regnier, où ils sont attestés au 16ème siècle comme capitaines de châteaux appartenant à des grandes familles. On retrouve le nom « du Champ » dans celui de la localité de Saint Pierre du Champ, au nord du Puy. C’est par erreur que J.Y. Barbier, dans sa généalogie, fait venir les St Vidal de St Priest des Champs (Puy de Dôme). L’Armorial du Velay mentionne Jacques de St Vidal, seigneur du Champ, comme engagé dans un procès contre des membres de sa famille, en 1669, mais il ignore sa présence à Loubarcet. Ce sont les registres paroissiaux du 18ème siècle qui permettent de reconstituer l’histoire de cette famille de petits nobles pauvres, et d’en déceler les relations avec les familles bourgeoises et paysannes du village et des alentours. La seigneurie de Loubarcet dont ils obtiennent une partie en dot, offre peu de ressources, même s’ils se sont efforcés de la repeupler pour en tirer des revenus leur permettant de mener une existence nobiliaire. Leur tentative se solde à la fin du siècle par un échec, scellé par la Révolution, mais qui est déjà largement en germe une génération plus tôt : on voit clairement à l’œuvre dans cette histoire locale le processus inéluctable qui conduit à l’ascension de la bourgeoisie et d’une frange de la paysannerie, avec lesquelles cette famille prétendant à la noblesse a dû faire alliance.

Le premier personnage connu est Jacques de Saint Vidal du Champ (décédé avant 1700), qui figure dans la liste citée par M. de Sartiges d’Angles des gentilhommes d’Auvergne convoqués à Riom pour le ban et l’arrière-ban du 9 mai 1692 (avec un cheval et un valet) et de 1693, mais pas dans celle de 1674. Il a épousé en 1675 (selon J.B. Charbonnel) Françoise de Rochemonteix (vers 1645-1725), et a dû contribuer à reconstruire le château et à repeupler Loubarcet en y attirant des paysans qui l’avaient quitté. Selon le dictionnaire statistique du Cantal (sv La Chapelle Lt), « le castrum de Lobarssès est occupé en 1689 par Jacques de St Vidal, seigneur de Champs et en partie de Loubarcet ». Ce couple a eu 6 enfants repérables, entre 1677 et 1695 environ. L’aîné, Claude (1677-1755), a épousé vers 1705 Marguerite Paulher (vers 1684-1764), issue d’une famille de Massiac (un membre de sa famille, Antoine Paulher, y a été chirurgien). Les autres enfants nés et résidant à Loubarcet étaient Elisabeth (environ 1680-1760), sans doute restée célibataire ; Louis (parrain en 1707) ; Catherine (marraine en 1710, qui a épousé à la chapelle de Loubarcet, le 19 février 1718, ou 1719 selon une autre source, Dominique Cusse ou Cusset de St Flour) ; Marie (marraine en 1713 et 1719, qui a épousé Pierre Souliagon ou Souliagoux de La Pèze ; ce couple s’est installé à Loudeyrette et a eu 4 enfants entre 1722 et 1728, dont l’un est devenu vicaire à La Chapelle) ; et Alix (orthographiée parfois Halips, marraine en 1720 et 1726).

Claude de St Vidal du Champ, qui a hérité de la seigneurie, a eu de Marguerite Paulher dix enfants nés à Loubarcet, dont un seul garçon : Louise (vers 1706-1795) restée célibataire, qui est la dernière De St Vidal mentionnée dans les registres de décès de La Chapelle ; Catherine (1710- ?) ; Simond François (1713-1757) (baptisé selon une autre source le 13 septembre 1712), qui a épousé en 1749  Marie Catherine Viguier, fille de Balthasar Viguier, de Belfort ; Marie (1714- ?) ; Alix (1720- ?) ; Hélène (1722- après 1742) ; Elisabeth ( ?- après 1778), qui a épousé en 1746 Antoine Bouchet et a continué à résider à Loubarcet ; Antoinette (1725- qui était encore célibataire en 1756) ; une seconde Alix (1726- ?) ; et Catherine (1730- ?), filleule de son frère Simond, qui eut une aventure à 14 ou 15 ans avec Pierre Moutet, tisserand à Loudeyrette, d’où naquit une fille enregistrée sous le nom de son père, Anne Moutet, en 1745. Anne Moutet devint une paysanne comme une autre et épousa Bernard Froment, de Loudeyrette, dont elle eut plusieurs enfants. On ignore ce que devint sa mère Catherine (peut-être finit-elle sa vie dans un couvent), mais on sait que Pierre Moutet avait épousé une Marie Froment en 1747 en Ardèche, qui probablement maria sa belle-fille Anne à quelqu’un de sa famille.

Pour loger sa nombreuse famille, filles et sœurs, Claude de St Vidal avait probablement fait agrandir le logis du château ou de ce qu’il en restait : la date de 1739 qui figure sur le linteau de la cave menant en direction des bâtiments à présent démolis du pré, correspond parfaitement au moment où le nombre des occupants du château rendait nécessaire une construction. En tout état de cause, Claude de St Vidal était un seigneur pauvre : dans le rôle de l’impôt du vingtième établi pour la région de Brioude en 1752 (Almanach de Brioude 1955, p. 125), il n’est taxé que de 6 livres alors que la dame de Miremon-Brion (héritière de la branche aînée des De la Rochette, installée au château du Fayet) paye 70 livres et qu’une demoiselle Chambon de la Voûte paye 14 livres pour Loubaresse.

Simond François de St Vidal du Champ, héritier de la seigneurie, filleul de sa grand’mère Françoise de Rochemonteix et du curé de La Chapelle Simond Compaing, seul fils de Claude, a dû être l’objet d’une forte attente de la part de ses parents qui ont voulu faire de lui un vrai noble. Il a dû aussi chercher à quitter Loubarcet où ne résidaient presque que des femmes et faire la preuve de sa virilité. Il est le premier membre de la famille a être entré dans les armées royales, comme lieutenant au régiment de dragons d’Aubigné. Il a donc quitté la région, et a combattu durant la guerre de succession d’Autriche dans les armées de Louis XV. Après la fin de la guerre, il a rencontré alors qu’il était en garnison à Belfort Marie Catherine Viguier, la fille d’un bourgeois (sans doute un pharmacien) de la ville, qu’il a épousée le jour de Noël 1749 (il avait 36 ans, elle n’en avait pas 15…), et qu’il a ramenée dans son château de Loubarcet au début de 1750. Le mariage s’était fait dans la hâte, les bans n’avaient pas été publiés et on avait dû obtenir une dispense spéciale de l’évêque de Besançon : est-ce parce que le bel officier voulait rentrer en hâte à Loubarcet, peut-être blessé ? est-ce parce que Marie Catherine, séduite, craignait d’être abandonnée ? En tout cas, le choc a dû être rude pour cette jeune femme étrangère à la région, arrivant sans doute en plein hiver dans une maison pleine de femmes ne parlant pas sa langue :  une belle-mère, une ou deux tantes paternelles, une demi-douzaine de belles-sœurs. Il faut essayer d’imaginer la vie de ces femmes au château, dans ce village aux ressources limitées. Elle s’était fait accompagner ou rejoindre par sa mère, Marie Magdeleine Meunier, qui fut la marraine de son premier enfant, Marie Magdeleine, baptisée le 4 janvier 1751, mais décédée dans l’année. Marie Catherine connut ensuite bien des épreuves : mort de son beau père Claude en 1755, et surtout mort précoce (à 43 ans) de son mari, Simond François, en 1757, dont on ignore les causes, mais qui est survenue à Loubarcet et non lors d’une campagne militaire ; en revanche, elle avait donné naissance à trois fils, Claude né en 1752, Louis né en 1754 et Martin né en 1756. Après la mort de son mari, il n’y avait plus aucun homme au château, et sa belle-mère était déjà très âgée. Marie Catherine s’est donc résolue à se remarier en 1763 à un bourgeois de Brioude issu d’une famille d’origine wallonne (le nom est attesté dans la région de Liège), Alexandre Mottet  (il accole à son nom celui de Fargeon, qui est attesté dans la région de Langeac et qui est sans doute le nom de sa mère) ; le contrat de mariage a été reçu par Me Grenier à Brioude le 22 janvier 1763. Marie Catherine a continué de résider quelques années à Loubarcet et a eu d’Alexandre Mottet deux enfants, Jeanne Reine née en 1764 et Louis né en 1766, qui ont eu pour parrains leurs demi-frères. Un troisième enfant est né le 17 novembre 1768, Catherine Marianne Mottet (dont la marraine venait du château du Luc à Saint Poncy), mais à cette date le couple avait quitté Loubarcet pour s’installer au bourg de La Chapelle Laurent. Un quatrième, Robert, est né le 30 décembre 1770 (son parrain était le vieux curé de La Chapelle, Robert Brugerolle). La profession d’Alexandre Mottet (qui était déjà celle de son père), qui explique sa présence dans la région, est pleine d’intérêt : il est feudiste ou féodiste, c’est à dire qu’il gagne sa vie en rassemblant, étudiant, interprétant et surtout reconstituant les terriers énumérant les droits féodaux . Cette profession a prospéré durant la seconde moitié du 18ème siècle, durant laquelle s’est produite une « réaction féodale », liée aux besoins croissants d’argent des détenteurs de seigneuries, dont beaucoup avaient été acquises par des bourgeois, comme le montre bien l’article d’Albert Soboul paru dans la revue Annales. On peut imaginer qu’il a exercé ses talents d’érudit et de juriste à La Chapelle, et que les résultats de ses travaux n’ont pas dû lui attirer la sympathie des paysans du village. La Révolution, en abolissant les droits féodaux lors de la nuit du 4 août, puis en confisquant les biens des émigrés, lui a évidemment ôté son moyen d’existence); il est probable que les Mottet Fargeon se sont repliés à Brioude : l’annuaire de la région énumère une dizaine de Mottet en 2011 aux alentours de la ville, mais ils ne sont pas nécessairement issus de cette famille, dont une branche est peut être partie en Provence et qu’on retrouve parfumeurs à Grasse au 19ème siècle. Alexandre Mottet n’est pas le seul à s’être intéressé à Loubarcet : en 1789, J.B. Pierre Cusse, expert feudiste, était notaire pour le compte de la seigneurie de Loubarcet (il était probablement le descendant du mariage de Catherine de St Vidal et de Jacques Dominique Cusse). On voit que l’histoire de Loubarcet se trouve parfaitement insérée dans l’histoire générale de la période pré-révolutionnaire.

Les deux plus jeunes fils du premier lit, Louis et Martin, ont fait des études : dans les années 1770 ils étaient respectivement clerc tonsuré (c’est à dire n’ayant pas encore accédé à la prêtrise) et étudiant (il n’est pas précisé en quoi, mais on peut imaginer que le beau père Mottet a encouragé Martin à faire du droit) ; par la suite Jean de St Vidal, fils de Claude, mentionne qu’un de ses oncles est parti en émigration à Coblence et a été garde du corps de Monsieur, frère de Louis XVIII : il s’agit sans doute de Martin, qui selon les archives d’Aurillac est « présumé émigré ».

L’aîné, Claude, héritier de la seigneurie, a été marié très jeune, à l’âge de 16 ans, en 1768, l’année même du remariage de sa mère: sa famille avait hâte qu’il assure la succession, et lui a laissé le château. Son épouse Jeanne Clavillier ou Clavelier, était la fille d’un bourgeois, Pierre Clavillier, et de Marie Resche, d’une vieille famille paysanne de la région (issue du domaine de Lair à St Poncy, qu’on voit en contrebas de Loubarcet). Ce jeune couple installé au château continue la tradition d’être parrain et marraine des enfants des familles du hameau (Izabel et Troupenat). Après quelques années naissent trois enfants, Louis, né en 1773, Marie, née en 1775, et Catherine, née en 1777 qui a épousé Pierre Morel, aubergiste à St Flour, et est décédée à St Flour le 31 octobre 1856. Entre 1777 et 1779, Claude quitte Loubarcet pour s’installer dans la paroisse de St Poncy, à Lair, dans une propriété venant de sa femme, tandis que d’autres membres de la famille Clavillier originaires de St Poncy, Jean (peut-être le frère de Jeanne) et sa femme Anne Magne, sont installés à Loubarcet où ils sont mentionnés comme métayers du château et où ils ont 5 enfants nés entre 1782 et 1791 : ce sont donc eux qui ont assuré la continuité de l’exploitation, mais des membres de la famille de St Vidal (Elisabeth, Louise, et probablement Louis) continuent à y résider. Claude de St Vidal et Jeanne Clavillier ont deux autres fils nés à St Poncy, Jean, né le 14 novembre 1779, et Guillaume, né le 8 mars 1782. Un De St Vidal, sans doute Claude, est présent à l’assemblée de la noblesse du baillage de St Flour le 28 mars 1789. Claude de St Vidal et sa famille ont bien résisté à la tourmente révolutionnaire : ils ne sont pas partis en émigration ; ils ont dû héberger des prêtres réfractaires dans une cachette située d’après la tradition orale « chez Monier ». Ils ont fait acheter par un prête-nom la chapelle Sainte Anne lorsque celle ci a été mise en vente comme bien national. Le fils aîné, Louis, a épousé (en, ou peu avant 1799) Marie Magdeleine Panaveyre (un Jean de Panavère était cadet de la maison de La Rochette en 1693), et ils ont résidé à Loubarcet jusqu’à 1800. La vieille demoiselle Louise de St Vidal, sœur aînée de Simond François, y est morte en 1795 à près de 90 ans. Cinq ans plus tard, le 8 prairial an VIII (1800), la jeune femme de Louis de St Vidal meurt à son tour, sans doute en couches, à l’âge de 19 ans. Elle est la dernière personne a être enterrée dans la chapelle Sainte Anne. Ce triste épisode met un point final à l’histoire des seigneurs de Loubarcet.

La suite de l’histoire des De St Vidal se déroule à Saint Poncy : même s’ils restent propriétaires du château et de ses terres, ils s’en désintéressent et le laissent tomber en ruines. Claude de St Vidal, propriétaire à Lair (sans doute par sa femme), est devenu maire de Saint Poncy en février 1810 et l’est resté jusqu’à sa mort le 11 août 1825.

De ses trois fils, l’aîné, Louis, après la mort de sa première femme en 1800, a quitté Loubarcet pour s’installer à Lair et s’est remarié vers 1802 à Gilberte Félicité Bru, dont il a eu au moins deux filles, Catherine née le 6 ventôse an 11 (veuve d’un sieur Dalaudes en 1848) et Jeanne, née le 12 pluviôse an 13, et un fils, Guillaume Marie Louis, décédé à l’âge de 12 ans en 1821. Propriétaire cultivateur à Lair, à la suite de son père, Louis est décédé le 28 mars 1848. Sa fille Jeanne a épousé le 23 février 1837 Jean Phelut qui a poursuivi l’exploitation à Lair mais dont elle était veuve en 1848 ; elle est décédée à Lair à l’âge de 90 ans le 1 mai 1895. De cette union sont nés Léon, Félicité, Louis, Zénon, Auguste et Marie Phelut.

Son frère cadet Jean, né et baptisé le 14 novembre 1779 (parrain Jean Clavilier, de St Mary ; marraine Elisabeth de St Vidal, de Loubarcet) est devenu militaire, dans la tradition familiale, mais sans bénéficier du moindre privilège : à partir de 1800 une loi d’amnistie a permis à certains membres des familles d’émigrés de rentrer en France et de rejoindre l’armée, mais il semble bien que son père était resté en France.  Grâce aux archives de l’armée on peut reconstituer son existence. Il est entré au service à 24 ans comme simple soldat, le 31 mars 1803, au 25e régiment d’infanterie légère : après avoir été cantonnée dans des ports (« sur les côtes de l’océan »), son unité a rejoint la Grande Armée et Jean a fait toutes les grandes campagnes napoléoniennes, en Autriche (1805), Pologne (1806-1808), Autriche (1809), Espagne (1810-1811), Russie (1812), et à Dantzig (1813) ; il a été blessé d’un coup de feu à la tête à la bataille de Wagram le 6 juillet 1809 et trois jours plus tard il est devenu caporal, puis sergent le 24 décembre 1809. Fait prisonnier à Dantzig après la retraite de Russie le 1er janvier 1814, il a été libéré le 25 octobre et a rejoint Saint Poncy. Il s’est rengagé comme garde du corps de Monsieur, frère du roi, le 1 mars 1815, et ce corps ayant été supprimé il a rejoint la Légion du Cantal le 1 décembre 1815 ; il y a été nommé sous-lieutenant le 11 juin 1816, porte-drapeau le 30 septembre 1817, et a rejoint en tant que sous-lieutenant le 8e régiment d’infanterie de ligne dans lequel s’est fondue la Légion du Cantal, le 21 novembre 1820. Il a participé à la campagne d’Espagne du 1er avril au 1er décembre 1823, et a été à cette occasion fait chevalier de la Légion d’Honneur le 1er novembre 1823. Il a finalement été nommé lieutenant le 21 avril 1824. Au cours d’une garnison à Marseille, il rencontre la veuve d’un ferblantier d’Aix en Provence âgée de 50 ans, Marie Claire Maire, qu’il épouse le 30 avril 1828. Dès 1830-1831, alors en garnison à Orléans, il demande son congé, qu’il obtient le 6 août 1831 ; il se retire avec sa femme à Aix en Provence, mais doit attendre le 5 avril 1834 pour obtenir enfin sa pension. Il y décède le 11 mai 1847 à l’âge de 68 ans. Il est décrit dans un rapport de moralité de son chef de Légion, le colonel de St Louis, écrit à Aurillac en décembre 1815, comme un homme de bonne moralité, bien fait mais grevé (sans doute au sens de fatigué par le fardeau de ses guerres), fidèle au roi, d’une famille ancienne mais pauvre. Un autre rapport, cette fois de l’adjoint au maire de St Poncy (le maire n’étant autre que son propre père ne peut faire de certificat), le décrit comme « homme d’honneur et de probité appartenant à une honnête famille qui a donné dans toutes les circonstances les preuves non équivoques de son attachement à Sa Majesté Louis XVIII ». Dans un courrier de 1816 (d’une très belle écriture), Jean de St Vidal affirme que sa famille « a perdu sa fortune par suite de l’émigration, et qu’il a eu un oncle maréchal des logis dans les gardes de Monsieur à Coblence, mis à la retraite suite à son grand âge [sans doute Martin, né en 1756]». Peu après, dans un rapport d’avancement de grade, il est dit « cet officier a de l’instruction, de la fermeté, de l’exactitude et il est essentiellement militaire ; il est recommandable, et n’a pas eu de chance jusqu’à présent pour son avancement » «  ses connaissances militaires le mettent bien au-dessus du grade de lieutenant » . Mais en 1830, il est décrit comme « tout à fait usé par ses infirmités et les fatigues de la guerre », et les certificats médicaux de demande de pension mentionnent :  « blessure à la tête, œil gauche affaibli, pneumonie chronique et asthme habituel, douleurs rhumatismales chroniques, hernie à l’aine gauche ». Jean de St Vidal a tout à fait le profil du « vieux briscard ». Il aura au moins eu la chance de finir ses jours au soleil de Provence, en 1847.

Quant au benjamin, Guillaume, il a épousé à St Poncy le 21 juin 1815 Marguerite Julie Doreille (1796 – 1873) et a eu plusieurs enfants : son père, en tant que maire, le décrit lors du mariage et de la naissance de ses enfants comme « sans profession » et il réside au bourg de St Poncy ; mais l’acte de décès de son fils Pierre le mentionne comme ancien aubergiste à St Poncy; parmi ses enfants, Claude (1817-1818), Jeanne Eugénie alias Jenny (1819-1885) restée célibataire, Pierre Claude Emile (1822-1863) également célibataire et sans profession, et Catherine alias Marie (1826- ?), et parmi ses héritiers une Hortense veuve Bouquet, de Montcornet. Guillaume décède le 19 août 1848, la même année que son frère Louis, l’année suivant son frère Jean, et deux jours avant que sa fille Catherine Marie ne donne naissance dans sa maison à un fils illégitime, Baptiste de St Vidal, qui sera déclaré à la mairie par sa sœur Jeanne Eugénie, dont le père n’est pas mentionné, et dont on ne trouve nulle trace par la suite. L’année 1848 est donc dramatique pour la famille – c’est aussi celle de la Révolution de février, et il est probable que les trois veuves de Louis, de Guillaume et de Jean ont vendu ce qui restait du château de Loubarcet à Pierre Monier (dont la femme Antoinette Orceyre était d’ailleurs originaire de St Poncy), peu après 1848. Absentes du recensement de 1856 à Saint Poncy, on retrouve Marguerite et sa fille Jenny dans ceux de 1861 et 1872, et Jenny dans celui de 1876, mais Catherine Marie et son fils Baptiste ne sont plus à Saint Poncy. Selon les données de l’enregistrement, Marguerite serait décédée le 23.11.1873 à Saint Just.

L’affirmation d’une société paysanne entreprenante

L’attention portée aux rivalités des seigneurs de Loubarcet ne doit pas masquer un phénomène essentiel : la permanence des familles paysannes dans la paroissse de La Chapelle Laurent, au moins depuis le 16ème siècle, et par delà les épreuves de la fin du 17ème siècle qui ont dû désorganiser la communauté villageoise. On retrouve dans les registres difficiles à déchiffrer de la fin du 16ème siècle des noms qui se sont perpétués, comme Troupenat, Bouchet ou Izabel. Il semble donc que les paysans soient plus stables que les seigneurs, et finalement ce sont eux qui vont l’emporter à l’issue de la Révolution. On ne sait pas quels étaient les charges qui pesaient sur les familles de Loubarcet avant l’abolition des droits féodaux lors de la nuit du 4 août 1789, il faudrait pour cela retrouver les livres terriers du 17ème siècle. Les Saint Vidal ont visiblement cherché à conserver des bonnes relations avec les paysans, dont ils étaient régulièrement les parrains et marraines (Philibert, Izabel, Chastaing, Monier), et avec lesquels il y a même eu quelques alliances (Bouchet), mais ils cherchaient en même temps à préserver leurs privilèges et leur genre de vie de tout petits nobles, et à se procurer des ressources dans un monde qui changeait et où les bourgeois avaient de plus en plus de moyens comparés aux nobles.

On voit apparaître ces catégories aisées à La Chapelle au cours du 18ème siècle, notamment dans les registres bien tenus du curé Jean Baptiste Marsal. Le bourg se désenclave, et se diversifie, et l’importance relative des hameaux comme Loubarcet diminue ; un notaire royal y exerce, qu’on retrouve ensuite à Massiac : les paysans se marient de plus en plus avec un contrat, ce qui veut dire que certains se constituent un patrimoine. Outre ses meuniers (à eau et à vent), son forgeron de père en fils (famille Roche), ses tisserands (notamment à Loudeyrettes), son curé et son vicaire (qui restent très longtemps en poste), le bourg a désormais son boulanger (Planche), son charpentier, un maçon couvreur spécialisé, des marchands et cabaretiers, un chirurgien (issu de la famille de chirurgiens et d’orfèvres de Brioude, les Nozerine), des sœurs du Tiers Ordre de St Dominique et des ‘béates’, un homme de loi (procureur). Beaucoup de noms de familles d’aujourd’hui sont déjà présents.

Au cours du 19ème siècle, notamment sous Louis Philippe et sous Napoléon III, une fièvre de litiges semble s’être emparée des paysans. L’huissier de justice de Massiac, où siègeait un juge de paix, et le garde-champêtre de La Chapelle, ont connu des années fructueuses. Les paysans se prêtaient des sommes considérables entre eux, soit sur reconnaissances écrites sur des petits bouts de papier,  soit le plus souvent devant notaire et sur papier timbré. Il s’ensuivait des actions en justice qui ont dû en ruiner plus d’un. Les vieilles familles paysannes du village s’y sont cependant maintenues sur plusieurs siècles, souvent en complétant leurs ressources par des activités à l’extérieur (charbonners, ferblantiers, cafetiers,etc. Mais beaucoup de paysans entreprenants des environs ont profité du déclin des grandes familles seigneuriales pour arrondir leurs terres ou pour reprendre à leur compte des domaines abandonnés. Ce fut le cas de la famille Monier, qui racheta entre 1849 et 1851 les terres et l’emplacement de l’ancien château de Loubarcet, cédés par les derniers descendants des De St Vidal, et qui construisit à leur place une ferme en remployant les fondations et les pierres du château.

 

Sources :

Spicilegium Brivatense, recueil de documents relatifs au Brivadois et à l’Auvergne, par Augustin Chassaing. Paris, Imprimerie nationale, 1886 (document 47, p. 103 du 13 novembre 1262)
Registres paroissiaux et d’état civil de La Chapelle Laurent de 1700 à 1800 et de St Poncy de 1779 à 1848.
Registres de l’enregistrement des successions et absences du canton de Massiac
Archives paroissiales de Belfort (1724, 1735 et 1749, n° 349, f°187)                          
Manuscrit n° 1273 (pp 233-235) du fonds Paul Leblanc conservé à la  Bibliothèque du Patrimoine de Clermont (clichés pdf en annexe)                                                                              
Fonds Levé-Durand aux archives du Puy de Dôme à Clermont (cote 168J1) (clichés pdf en annexe)
Terrier de La Chapelle Laurent (1656) aux Archives Municipales de St Flour (folios 81-83)
Archives départementales du Cantal, série 1Q (biens nationaux), n° 550 (chapelle Ste Anne) et 1007 (Martin de Saint Vidal)                                           
Site généalogique de Jean Yves Barbier (sngenealogie.ch et planète généalogie; comporte des erreurs)
Archives de l’armée de terre à Vincennes (Jean de Saint Vidal, dossier 3Yf 74854)                                       
Informations fournies par Monsieur Justin Pradal et son épouse Sylvie Pradal
Note : il manque à ce jour les terriers de Loubarcet du 16ème et 17ème siècle que ni A.D. du Cantal ni les A.M. de St Flour ne possèdent; ils ont été pour la dernière fois consultés par J.B. Charbonnel avant 1912 au domicile de la famille Desjacques Mazein à Loubaresse.
 
Etudes :

  1. « L’élection de Brioude en 1752 », dans l’Almanach de Brioude 1955 p. 93-156 
  2. Emile Amé, Dictionnaire topographique du département du Cantal. (tome 7 du dictionnaire topographique de la France) s.v. Beaucastel, Loubarcet
  3. A. Boudon Lashermes, « La maison de la Rochette de Rochegonde » dans la Nouvelle Revue Héraldique, octobre 1935, p. 97-118 et janvier 1936, p. 1-59.
  4. Abbé Bouffet, « Les Templiers et les Hospitaliers de Saint Jean en Haute Auvergne », Revue de Haute Auvergne, 1914 (p. 112-113)
  5. Abbé Jean Baptiste Charbonnel, Monographie de la paroisse de La Chapelle Laurent. 1912-14 :  manuscrit aux archives diocésaines de St Flour, copie aux archives municipales de St Flour
  6. Deribier du Châtelet, Dictionnaire historique et statistique du département du Cantal, 1852
  7. Frédéric Flatet, La Chapelle Laurent.1986
  8. M. Fougères, « Plans cadastraux d’Ancien Régime », Mélanges d’Histoire Sociale 1943 (3), pp. 50-70 (in Persée)
  9. Charles d’Hozier, Armorial général de la France, volume 2 (Auvergne), 1696
  10. Gaston de Jourda de Vaux,  Le nobiliaire du Velay et de l’ancien diocèse du Puy : noms féodaux.  Le Puy, Perillier, 1931, vol. VI, p. 137.
  11. Louis Lafarge, « Notes et documents sur le chapitre de l’église de Massiac, le prieuré de Rochefort et la chapelle de Loubarcet », dans la Revue de Haute Auvergne 1911, p. 153-176,
  12. Georges Paul, Armorial général du Velay, 1912, sv. De St Vidal d’Orcerolles
  13. Charles Perrin, La Chapelle Laurent, mémoire locale, 2002
  14. Paul Pialoux « Les Rochefort: Ally, La Roche, Aurouze, grands féodaux de l'Auvergne. Essai sur leur origine et leur généalogie ». dans l’Almanach de Brioude 1996 p. 97-155
  15. M. de Sartiges d’Angles, « Notice historique sur les bans et arrière bans de la province d’Auvergne » dans Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Clermont Ferrand, 1865, p. 49-126.
  16. Albert Soboul, « De la pratique des terriers à la veille de la Révolution », Annales ESC, 1964 (6), p. 1049-1065

 

 

Par Eric MEYER pour Cantal-Liens


En droit seigneurial, l'aveu est une déclaration écrite que doit fournir le vassal à son suzerain lorsqu’il entre en possession d’un fief (par achat ou héritage). L’aveu est accompagné d’un dénombrement ou minu décrivant en détail les biens composant le fief.

Un livre terrier, ou terrier, est un registre contenant les lois et usages d'une seigneurie, la description des bien-fonds, les droits et conditions des personnes, ainsi que les redevances et obligations auxquelles elles sont soumises.

Selon l’Encyclopaedia Universalis, un feudiste est un érudit qui, surtout au 18ème siècle, met en ordre et étudie les archives seigneuriales pour préciser les droits et l'extension des fiefs. L'activité des feudistes n'est qu'une partie de celle des historiens formés aux méthodes d'érudition élaborées par quelques savants. Les feudistes connurent leur âge d'or dans les dernières décennies de l'Ancien Régime, alors que, prenant le relais de la recherche généalogique, la réaction seigneuriale conduisait à un réexamen intéressé des titres anciens qui renforçait les conséquences de la vogue des recherches historiques.