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...La généalogie autrement

 

 

1771,  Le déshonneur d’une jeune fille de bonne famille

 

juste cet avant propos pour précéder cette histoire :
la famille De Féliquier est des miennes et ce récit est inspiré de documents retrouvés aux AD15, aux AD63 et d’un petit ouvrage de Deribier titré « avatars d’un magistrat carladésien » Tout y est naturellement authentique
Je dois à cette branche mes remontées dans une noblesse moins discrète et ainsi jusqu’à Clodion roi des Francs. C’est ça aussi les petits bonheurs de la généalogie à l’ancienne !  
Cette histoire va être un peu longue, de trois ou quatre chapitres mais elle est aussi savoureuse et davantage encore relatée par Deribier. Elle témoigne aussi du romantisme vertueux d’une jeune fille de bonne famille au discours inspiré de sa bonne éducation.
J’ajoute qu’en remontant ce nom on rencontre l’orthographe De Filiquier puis De Filipie et FIilipie et que nous touchons certainement à des maîtres verriers venus d’Italie lors des constructions de cathédrales et châteaux.
Jean de Féliquier seigneur de Tombasse  vivait en cultivateur paysan sur ses terres du hameau de Bioude à Teissières les Bouliès
Bien que fort pauvre il tenait beaucoup à sa noblesse. Chaque semaine il partait à Aurillac en char à bœufs avec son domestique, vendre son chargement de bois et avant de rentrer en ville, pour maintenir les apparences de son rang, il changeait sa blouse et ses sabots contre des vêtements propres et des souliers puis passait l’aiguillon à son bouvier. Au retour, dès la sortie des faubourgs de la ville il reprenait sa tenue plus adaptée à la réalité de sa fortune.
 L’origine de sa famille reposait sur des gentilshommes qui habitaient à Laguiole en Aveyron au 16ème siècle et y exerçaient le métier de verriers. Il s’agissait d’une noblesse de métier. Par un décret de janvier 1596 Henri IV avait accordé les privilèges de la noblesse aux « gentilshommes de l’art et de la science de la verrerie » et ceux-ci travaillaient l’épée au côté
Le 4 octobre 1746 Jean De Féliquier avait sorti ses meilleurs habits pour se rendre au château de Baradel près d’Aurillac aux confins de Conros et de Belbex. Son cousin mariait son fils Jean François et le petit château était en fête.
Tous les De Féliquier étaient présents, tous gentilshommes campagnards de bonne noblesse mais fort pauvres, qui n’abandonnaient que très rarement leurs bœufs et leurs charrues et ne portaient l’épée que dans de rares occasions telle cette fête familiale.
De ce mariage naquirent 4 filles. Leur père menait une vie calme et sereine dans son manoir mais très pointilleux sur ses origines. Il s’efforçait de donner à ses filles une éducation digne de leur condition. Bien que le manque de fortune n’autorisait pas les dépenses superflues on ne manquait pas de paraître dans les cérémonies familiales et religieuses afin de leur trouver le meilleur parti possible le moment venu …
C’est ainsi que le 29 novembre 1763 Jean François De Féliquier, sa femme et ses quatre filles, assistèrent à un grand mariage célébré en l’église de Notre Dame des neiges à Aurillac unissant Maître Michel De Sistrières conseiller du roi et lieutenant général civil et criminel, avec Jeanne Serieys orpheline de Jean Joseph avocat au Parlement d’Aurillac.
La jeune mariée était une cousine des De Féliquier et cette alliance avec un magistrat flattait leur amour propre.
Ils ne se doutaient pas que quelques mois plus tard cette alliance allait faire entrer le malheur et le déshonneur dans la famille …
Pour mieux apprécier ce qui va suivre il faut s’attarder sur la présentation du marié.
François Michel De Sistrières était un homme grincheux, autoritaire et dévoré de la même ambition que son père : être noble.
Son père n’y étant pas parvenu laissa en héritage à son fils ce désir inassouvi. Tout était bon pour atteindre son but et son ambition provoquait des incidents avec tous ses collègues des juridictions voisines, allant jusqu’à la violence et aux voies de fait.
Ainsi le 4 juillet 1768 il accourut aux portes de la prison d’Aurillac, l’épée au côté, accompagné de deux acolytes au passé trouble, du geôlier de Vic et d’autres gens peu recommandables avec épées et couteaux de chasse. Il prétendait faire sortir Etienne Gaston, marchand de Ladinhac, prisonnier pour dettes, pour l’enfermer à Vic, disant qu’il relevait de sa compétence. Il s’en prit violemment au geôlier d’Aurillac et à sa femme en tentant de faire enfoncer les portes de la prison.

Un premier rejet de ses prétentions nobiliaires amena la cour de Clermont Ferrand à le condamner à 2000 livres d’amende pour avoir indûment pris la qualité d’écuyer et de chevalier, ordonnant que celles-ci soient rayées de tous les actes par lui passés et ses armes brisées, l’intendant ajoutant «  … je pense que le sieur Sistrières ne mérite aucune attention ».
Plus instruit que son père, François Michel de Sistrières ne se découragea pas, les blessures d’amour propre et les humiliations fortifiant sa décision inébranlable d’arriver coûte que coûte au but que son père lui avait assigné.
Il reprit ses manœuvres quelques années plus tard sous une autre forme et grâce à la collaboration de son frère cadet, officier du Roi, il obtint de Louis XVI un titre de vicomte en Corse, réalisant enfin les ambitions paternelles et provoquant de nombreuses réactions de la noblesse régionale. Cette réussite venait bien mal peu de temps après le scandale qui se produisit et qui nous amène aux De Féliquier.

Le 10 avril 1765, quelques mois après avoir assisté à ses noces, ce fut autour de Jean François De Féliquier de marier sa fille aînée. C’était une jolie jeune fille de 18 ans, fort dévote au point de rallonger son nom de baptême et ne plus signer que « Marie Antoinette des Neiges » par dévotion à l’église d’Aurillac.
Son père s’était saigné aux quatre veines pour lui constituer une dot mais hélas si faible qu’il fallut se contenter comme gendre, d’un gendarme d’Aurillac, Jean Baptiste Grimal fils de marchand. Les choses furent faites cependant aussi bien que possible et l’on pouvait voir dans le cortège sortant de l’église : Jean Pierre D’Escaffre écuyer et seigneur, Jean Jacques Carrier notaire, et biens d’autres voisins et amis. Tous sont à la joie et nul ne peut se douter que la flatteuse parenté avec De Sistrieres allait faire entrer le malheur dans la famille
Il faut à présent laisser la parole à Marianne De Féliquier,  sœur de la mariée et malheureuse victime. Dans son mémoire elle accuse De Sistrières de rapt, séduction et enlèvement, avec la complicité de dame Rives sa sœur (document aux AD15)
«  mon père, très ancien gentilhomme, habite en Auvergne un petit château appelé Baradel. Je suis née dans cette douce retraite le 11 juin 1752. Le voisinage où se trouve ma famille ne fut point un écueil pour mon innocence, des mœurs simples, une fortune assez bornée, formèrent un rempart contre les dangers qui menacent toujours les jeunes personnes de mon sexe.
Les conseils d’une mère vertueuse et les tendres soins du meilleur des pères fortifièrent en moi d’heureuses dispositions quand je fus exposée à perdre le fruit de cette éducation paisible.

 

Le sieur De Sistrières épousa ma cousine au troisième degré il y a environ 20 ans. Mais bientôt ses attentions se portèrent sur moi ; son âge de 30 ans et sa conduite antérieure étaient loin  de donner des inquiétudes à mes parents et les confirmèrent dans l’idée que ma jeunesse trouverait un nouvel appui dans ce magistrat qui connaissait le monde et ses usages.
Les caresses et les jeux du sieur De Sistrières furent d’abord analogues à mon enfance Quand vers 1771 la nature eut développé en moi de frêles agréments  l’intérêt qu’il semblait prendre en ma personne devint plus vif et plus empressé.
Ma sœur aînée fut mariée à cette époque et suivant l’usage mes parents firent en sa faveur un contrat qui me réduisit à une légitimité de droit.
Cette légitimité parut au sieur De Sistrières ce qu’elle était effectivement : un objet médiocre ne me laissant que le sixième d’une fortune d’environ 1500 livres de rente.
De là il prend occasion de m’alarmer sur l’avenir : jamais je ne trouverai à faire un mariage convenable. Il craint même que dans la suite je ne sois exposéeaux horreurs du besoin et il m’assure que ses ressources seront toujours les miennes et que son attachement pour moi n’aura pas d’autre terme que sa vie.
Ainsi le poison se glisse dans mon cœur et le sieur De Sistrières en augmente l’activité par des visites plus fréquentes, des offres toujours nouvelles, un langage très expressif et des entreprises très audacieuses. Après 3 années de résistance j’oublie enfin mes devoirs …
La punition fut prompte à venir et au repentir le plus amer succède un affreux désespoir : un mois est à peine révolu que j’éprouve un changement d’état. Je ne peux plus douter du malheur qui m’accable. Où fuir ? A qui me confesser ? Comment éviterl’ignominie dont je vais être le méprisable objet ?
Le sieur De Sistrières était le seul à être témoin de ma douleur. Il m’assurait de la continuation de ses sentiments. Il veut me soustraire à l’opprobe, à la juste indignation de mes parents, à leur colère, à leur vengeance. Il opère alors à une nouvelle séduction : il médite de me tranférer à Paris et charge la dame Derives sa sœur, de l’éxecution d’un projet qui devait mettre le comble au désastre absolu.
Le jour de mon départ fut fixé au 4 mars 1775. La dame Derives me fournit des chevaux et quelque argent de la part de son frère, ainsi qu’une réservation pour la voiture de Clermont qui partait pour Paris le 11 et devait y arriver le 18. Après avoir traversé 5 ou 6 provinces en 14 jours d’un voyage très pénible en regard de mon état j’arrive dans cette immense capitale.
Je suis descendue à l’hôtel d’Harcourt, rue de la Harpe, où logeait le sieur De Sistrières qui était absent. Il apparaît le lendemain et s’empresse de sécher mes pleurs. Il essaye de calmer ma douleur et le trouble qui m’agite m’assurant que jamais ses sentiments n’ont été si animés car j’allais être mère d’un enfant qui serait l’objet de toute sa tendresse et peut-être de ses préférences.
Mais il fallait cacher le vice de sa naissance et pour ce faire il m’amena dans une maison du Faubourg St Antoine dont il était propriétaire. Au moment de la délivrance ses soins semblent s’accroître et il va lui-même au devant des secours dont j’ai besoin. Le 2 mai 1775 une « personne de l’art » se rend auprès de moi et je goûte le douloureux plaisir de me voir renaître.
Le lendemain mon fils est baptisé à l’église Ste Marguerite et le père le fait nommer Louis Alexandre. En attendant de plus heureuses circonstances pour lui faire connaître ses parents je jouis de la douce satisfaction qu’éprouve une mère auprès de son enfant chéri. Le souvenir de mes malheurs parait s’adoucir.
Mais 15 jours se sont à peine écoulés que tous ces prestiges disparaissent : le sieur De Sistrières veut que je le suive dans une maison de campagne près de Meulin. Comme je résiste ce père barbare me ravit la seule consolation qui me reste : il brave mes pleurs et mon désespoir et porte mon fils dans cet asile que la bienfaisance d’un gouvernement éclairé offre à la misère et dont la plus sordide avarice abuse trop souvent. Un retour sur moi-même ne me fit que trop connaître la profondeur de l’abîme dans lequel je devais terminer ma vie.
Un parent très estimable vient alors à mon secours. Il oublie le chagrin que mes tristes aventures lui ont donné et veut en effacer toutes les traces. Il voit le sieur De Sistrières, le ramène à ses devoirs qu’il n’aurait jamais du perdre de vue et lui fait promettre de payer ma pension au couvent des Religieuses de la Visitation de Montargis.
Je m’y rends le 24, les témoignages de bonté que j’y ai reçus ne s’effaceront jamais de ma mémoire, ils seront toujours précieux  à mon cœur. Mais hélas, je suis obligée d’en sortir un an après parce que le sieur De Sistrières refuse de continuer à payer ma pension. J’allais retomber dans la même détresse qui me fit répandre tant de larmes si abondantes et amères lorsqu’une dame de condition, fort au dessus de mes éloges, eut la charité de me recevoir chez elle, de m’admettre à sa table et de me laisser entrevoir le terme de mes maux qui avaient à présent altéré ma santé et affaibli ma raison.
Mon père voulu entreprendre des poursuites contre lui et rendre plainte auprès des tribunaux contre «  …les auteurs du rapt, de la séduction, de la violence, de l’enlèvement et de la disparition de demoiselle Anne De Féliquier », notamment contre le sieur De Sistrières
Cette requête fut déposée au Parlement le 11 septembre 1777 qui la transmit devant le Bailli du Palais lequel ordonna des informations à Paris et à Aurillac. Sur la vue des charges retenues le sieur De Sistrières et la dame De Rives sa sœur, furent décrétés « d’ajournement personnel ».
Ils firent appel et avançant les fonctions qui lui étaient attribuées le sieur De Sistrières osa répliquer par une autre requête dans laquelle il articule contre mois des faits diffamatoires qui, s’ils étaient confirmés, couvriraient de déshonneur toute ma famille autant que lui-même. J’ai répondu à cette horrible diffamation en demandant des dommages et intérêts pour lesquels la Chambre portant intérêt à mon malheur conclut à la réussite de ma demande.

On ne sait pas ce que sont devenus Marianne De Féliquier et son fils illégitime. De Sistrières fut suspendu de ses fonctions de magistrat pour 3 années et condamné à 3000 livres de dommages et intérêts.
Cette peine ne parait pas avoir diminué De Sistrières car au début de la Révolution il réclame l’envoi d’un député du Carladez aux Etats généraux, se faisant élire à ce titre par la noblesse. Mais n’étant pas reconnu par le Roi il fut rejeté par l’Assemblée et du rentrer tout penaud à Vic d’où il était parti triomphant.
Curieusement la famille De Féliquier semblait avoir vite oublié cette mésaventure car le 6 août 1789, ne pouvant se rendre à Vic pour cette élection ils se firent représenter par Jean Baptiste De Boissieux pour approuver le choix de François Michel De Sistrières.

Quant aux parents de la malheureuse victime, une fois leur chagrin atténué et leur honte dissipée, en bons auvergnats au jugement sain et pratique, ils prirent conseil auprès de Maître Busche procureur parisien et parvinrent à faire accepter un arrangement amiable par lequel ils s’engagèrent contre la somme de 900 livres à renoncer à toute action contre les coupables.
Ils se crurent ainsi justement défendus et le temps finit de tout apaiser …