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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

Chronique nostalgique : le colporteur

 

A propos des vieux métiers en voici un dont on ne parle jamais : les colporteurs. Qui étaient-ils, d’où venaient-ils ? Le seul fait de « venir d’ailleurs » les faisaient parfois regarder d’un œil méfiant, pour les hommes du moins car les femmes étaient vite emportées par les promesses de leur chargement.
Qui penserait aujourd’hui à faire le lien avec ces lourds camions/boutiques qui s’ouvrent régulièrement
sur les places des villages dégorgeant d’outillages prometteurs…
Les colporteurs dont je me souviens passaient déjà parfois en voiture mais celui-ci est pourtant un souvenir un peu flou de mes premières années passées dans le Cantal.

Seul sur le chemin qui menait à sa ferme Pierre maugréait dans son épaisse moustache ; n’y tenant plus il se lança à lui-même un vieux dicton du pays : «  t’as une bonne chèvre, t’as une bonne mule, t’as une bonne femme, et bien t’as trois méchante bêtes ! »
Il était très en colère contre Marie sa femme qui pourtant si économe pour les affaires du ménage s’était laisser embobiner par le colporteur à lui acheter des chiffons et des rubans dont il ne voyait pas ce qu’elle aurait à en faire.
«  c’est’y que tu aurais l’intention d’habiller les poules en dimanche lui avait-il lancé. Ca f ‘ra jamais que quelques volailles de plus à la messe ! »
Sa femme furieuse se hâta de faire son signe de croix pour conjurer la colère de Dieu sur ce blasphème.
Il faut dire que lorsque le colporteur arrive dans un village, entouré d’une nuée d’enfants, les femmes ouvrent leurs maisons tandis que les hommes rentrent en fronçant les sourcils.

L’homme portait un baluchon noir et une caisse tenue sur les épaules par des sangles de cuir qui le faisait ressembler à un Atlas portant le monde sur son dos. Il déboula sur la place escorté d’une nuée de gamins qui tels une bande de moineaux s’égaillaient dans les fermes pour porter la bonne nouvelle.
Le colporteur se présenta au portail et demanda à être reçu. On le fit asseoir dans la grande cuisine. Il posa sur la table sa lourde caisse à tiroirs que les femmes ne quittaient pas des yeux. Pour faire monter l’impatience et la curiosité il accepta un frugal repas, puis la tourte de seigle et le fromage regagnèrent le garde manger et un enfant fut invité à ouvrir les tiroirs.
C’était d’abord de la mercerie : les aiguilles de toutes tailles dans leur étui noir, les épingles à têtes vertes ou multicolores, les dès en acier à l’effigie de la Vierge, les bobines, les fusettes, les laines à repriser du « Bon Pasteur », les lacets.
Puis un autre tiroir : tout ce qu’il fallait pour écrire, encres en poudre, crayons, plumes, papier à grosses rayures ou feuilles ourlées de dentelles.et d’emblèmes (colombes roucoulantes, mains entrelacées, souhaits en tous genres) Dans un plumier en bois un porte plume en os offrait dans son centre un petit disque de verre au travers duquel on pouvait voir la Vierge de Lourdes ou Notre Dame de Paris.
Les femmes restaient intimidées mais attentives.
Un nouveau tiroir fut ouvert proposant tout ce qu’il fallait lire : « la clé des songes », « la bête du Gévaudan », « les plantes qui guérissent », « l’auberge sanglante de Peyrebelle », mais aussi des cartes postales glacées, pailletées, aux couleurs de bonbons fondants. La Ginette qui avait un amoureux au régiment prit une série dite « parlante » : un beau militaire moustachu y côtoie une brunette aux yeux emplis d’amour. Tout y est écrit, il n’y a plus qu’à ajouter l’adresse.
Un autre tiroir se libéra offrant pèle mêle cigares d’Espagne, allumettes, tabac de contrebande.
Dans un autre encore : serrés les uns contre les autres les rubans, les dentelles, les faveurs, les pommades odorantes pour lisser les cheveux, les parfums vaporeux, les savonnettes emmaillotées dans du papier fin à l’effigie de grandes dames, sans oublier le dentifrice dans sa boîte en métal.
La pharmacie était là aussi, dans le 6ème tiroir, avec les feuilles de saule pour les coupures, les cataplasmes « Rigolo » pour les coups de froid, les pommades pour les verrues ou pour les corps aux pieds, qui soignent tout pour les hommes ou pour les bêtes !
La boîte ayant livré tous ses secrets ce fut alors le baluchon qui s’ouvrit lentement sur d’autres trésors, des draps de toile, des soieries, des coupons de satin ou d’alpaga, que les femmes déployèrent pour s’en draper timidement avec des airs maladroits de grandes dames.
La table de la ferme n’était plus assez grande quand, se frappant la tête, le colporteur fit mine de se rappeler qu’il restait encore un dernier tiroir. Il l’ouvrit lentement, avec malice, dégageant un délicieux mélange de parfums sucrés. Sous les yeux émerveillés des enfants, leur bouche arrondie et la salive aux lèvres, s’offrirent les sucres d’orge, les bonbons mous, les caramels et les dragées que l’on ressortait de la bouche pour voir si elles changeaient de couleur, la réglisse des montagnes et les pastilles des Vosges. Ce fut comme un bouquet final de feu d’artifice.

Plus tard, après qu’on eut tout palpé, estimé, soupesé, le colporteur tira un carnet de sa poche, suça avec application la mine de son crayon, et aligna des chiffres comptés et recomptés. Marie chaussa ses lunettes pour vérifier. Le chiffre était d’importance, aussi valut-il une prime de six mouchoirs de coton et une image de l’enfant Jésus dans un berceau de fleurs.
Tard dans la nuit, alors que le colporteur était reparti par d’autres chemins, la colère de Pierre s’apaisant on parla encore de toutes ces merveilles et l’on commentait ses achats avec un pointe de regret pour ce qu’on n’avait pas pu acheter
C’était tout de même autre chose que le catalogue de La Redoute …