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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

Quand s'abattait sur les récoltes le fléau du paysan...

 

Dans les restaurants de campagne, parfois même dans les boulangeries de villages on voit accrochés au mur des manches de bois polis qui n’en finissent pas de longueur et desquels pendouillent des prolongements plus courts reliés avec un crochet. Beaucoup ne sont que de faciles copies, d’autres d’authentiques témoignages. Ces objets sans élégance ont alimenté tant de famille. Le « fléau » avait une autre résonnance que le qualificatif que l’on donne aujourd’hui aux téléphones portables insupportables…
Nous sommes en été 1860 ou une autre année. Dans les villages cantaliens perchés sur des rocs ou dégringolés dans les vallées on vivait au rythme des saisons. Dans ce pays rude l’homme se forge et se trempe aux travaux et cultures qui font place aux travaux et cultures suivants, et extirpe quelques produits d’un sol hostile ;
Au temps venu des battages il y avait dans les plaines d’Arpajon sur Cère un riche propriétaire qui possédait une batteuse à manège qui égrenait les gerbes au rythme lent de deux paires de bœufs tournant inlassablement autour de la machine. Il ne visitait que les fermes les plus importantes du canton. Sa mécanique était si archaïque, si rafistolée et si capricieuse qu’il n’acceptait de la mettre en marche que pour les plus grosses récoltes.
Les fermes les plus pauvres devaient encore battre toute leur récolte à la main, « au fléau ».
Ce battage durait souvent tout l’été. C’était une activité familiale qui faisait parfois appel à quelques parents venus pour la circonstance plutôt qu’aux voisins à qui il fallait rendre alors le soutien.
N’était pas batteur qui voulait, il fallait de solides gaillards qui tout autant que du muscle devaient avoir de l’adresse, de la résistance et surtout de l’oreille. Malheur à celui qui ne pouvant prendre le rythme frappait à contre mesure. Il brisait la cadence, risquant d’assommer son voisin et les quolibets s’abattaient alors sur lui avec la même vigueur que le fléau sur la paille.
Cette année là ça pressait car l’hiver avait été long et les réserves menaçaient de manquer. On avait choisi un temps sec et beau et disposé sur le sol aplani de grandes toiles de chanvre sur lesquelles étaient placées les premières gerbes. On pouvait battre à deux, quatre ou six batteurs. Un garçon du village était là avec sa cabrette pour donner la cadence de sa musique aigrelette.
Le travail était réglé comme un ballet, les hommes se faisaient face en avançant et reculant. Après plusieurs passages, les épis s’épuisant on remettait un nouveau lit de gerbes. Lorsque la couche devenait trop épaisse le grain était grossièrement ratissé et passé au « ventadou » un appareil grossier à manivelle qui nettoyait le grain en le ventilant. Et il fallait aussi ménager la paille trop utile à la confection des toitures.
Les enfants aussi prenaient leur travail au sérieux, il fallait veiller aux plus assoiffés et aller vers eux le verre et la bouteille à la main. Le vin n’était pas bien bon, pas bien clair mais le verre non plus qui se vidait avec un soupir d’aisance, on le secouait alors avec vigueur pour le passer « ainsi lavé » à son voisin.
C’était des journées exténuantes laissant les hommes et les femmes éreintés, le dos cassé, les épaules douloureuses, les mains brûlantes et la tête bourdonnante du tambourinage des masses. 
On ne battait pas du blé bien sûr mais du seigle, du blé noir, du sarrasin et aussi parfois des lentilles. Jamais les femmes ! :-)
Et une fois passée la menace de l’assommoir les poules finissaient longtemps de nettoyer le terrain.

Plus tard les batteuses et leurs longues courroies d’entraînement viendront faire de ces pénibles moments un évènement attendu avec une participation communale festive
Pas de nostalgie, juste un peu de curiosité, le monde évolue, les boulangeries ne sont plus que des réchauffeuses de néons congelés imitant la baguette et le « fléau » accroché au mur semble se demander combien de temps encore va tenir le clou…