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CANTAL-LIENS
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Nous sommes ici dans un témoignage familial, souvenir d’un vécu dans le petit village de Trémoulines de la commune de Prunet.
« - … et l’école c’était comment ?
- l’école ? Oh, en 1910, on allait à l’école à pieds et celle du bourg était trop loin alors il y
avait une école dans presque tous les hameaux. C’était déjà souvent beaucoup de chemin depuis la ferme. J’avais 5 ans quand j’ai commencé la classe et peu importe la taille des jambes, il fallait marcher.
A 12 ans j’ai passé le Certificat d’études à Montsalvy. J’avais de bonnes notes et je
voulais continuer. Le directeur du cours complémentaires avait écrit à mes parents pour
leur demander de me laisser en pension. J’avais eu un prix à l’examen et j’aurais pu
devenir institutrice peut-être mais mes parents n’avaient pas d’argent pour payer ma
pension
- tu n’allais pas en classe toute l’année ?
- non, on allait en classe quand les bêtes étaient rentrées pour l’hiver, de la fin octobre à
début mai environ. L’hiver on partait dans la neige, le jour pas encore levé, une lanterne à la main et le nez lavé à l’eau claire suffisait pour la toilette, une poignée de châtaignes dans chaque poche pour se garder les mains au chaud.
On n’allait à l’école que pour l’hiver mais il m’arrivait de prendre les livres pour étudier en gardant les bêtes.
- les enfants n’étaient pas obligés d’aller à l’école ?
- les cours n’étaient pas obligatoires, quand les parents avaient besoin de nous il fallait
aller travailler, ramasser les châtaignes, garder les bêtes, râteler les foins, ramasser les pommes de terre, faire tout ce qui se présentait. Tout le temps dehors !
- Il n’y avait pas de cantine, comment mangiez-vous le midi ?
- on ne rentrait pas à la maison, on partait le matin avec un seau de soupe qu’on
tenait au chaud sur le poêle de la classe, avec un morceau de pain et du fromage ça faisait l’affaire. Aujourd’hui les enfants appelleraient ça du « j’aime pas ça »
- quand as-tu commencé à laisser le patois pour parler le français ?
- on ne parlait pas le français à la maison, jamais. C’est venu tout seul quand je suis allée à l’école.
- vous parliez la français en classe ?
- j’ai bien été obligée et il le fallait bien pour apprendre les chansons « Sur le pont d’Avignon » n’avait pas de paroles en patois !
Les filles surtout s’y mettaient facilement, les garçons étaient moins dégourdis, mais dans la cour on reparlait patois et sur le chemin de l’école aussi.
- les classes étaient mixtes ?
- ça oui ! et bien avant que ce ne soit pratiqué dans les villes. L’école était trop petite pour faire deux classes, non seulement garçons et filles étaient mélangés mais aussi de tous les âges et l’institutrice s’en débrouillait mieux que maintenant. Aujourd’hui elle ferait la grève !
Il faut dire que ça n’avait pas grande importance, la société était organisée de façon simple à la campagne, avec quelques principes stricts que chacun respectait sans avoir l’idée de s’en plaindre, garçons, filles, hommes, femmes, chacun avait sa place et son rôle à remplir.
- et à la maison, c’était comment ?
- à la ferme le ménage fonctionnait selon une répartition des tâches et des responsabilités qui ne variaient guère. A l’homme revenait les travaux extérieurs dans les champs, les prés et les bois. Il négociait aux foires et chez le notaire. Il avait à charge le gros bétail et l’attelage et il labourait, semait, fauchait, répandait le fumier et coupait les bois. Faute de capitaux et de machines il fallait faire preuve d’une énergie physique et d’une endurance étonnante en regard d’une stature plutôt faible.
La femme régnait à la table, au jardin et à la basse-cour. Elle était chargée de l’entretien de la maison et de ses occupants. C’est elle qui sans arrêt assurait la corvée pénible de l’eau, un homme se serait senti déshonoré s’il avait dû le faire. Elle faisait le beurre et le fromage, filait la laine et … faisait les enfants.
Lui marchandait en foire et concluait au café devant un verre de vin. Elle, écoulait le beurre et quelques volailles au marché. Elle se retrouvait avec d’autres au lavoir ou au four pour bavarder un peu.
- c’était partout comme ça ?
- chaque région avait ses habitudes. Traire les vaches était souvent l’affaire des femmes mais dans le Cantal et l’Aubrac c’était l’affaire des hommes.
Le rôle des femmes était important, elles se levaient les premières et se couchaient tard. Aux heures des repas les hommes arrivaient des champs, ils étaient pressés pour repartir sans tarder et pour gagner du temps les femmes mangeait avant ou après eux et servaient sans passer à table. A ce régime elles perdaient vite leur charme. Peau tannée, mains calleuses, teint de brique et taille voûtée, une dentition qui devenait vite un souvenir, la beauté n’était pas une valeur autant que le courage.
- les femmes ne se plaignaient jamais ?
- il ne faut pas se méprendre, il n’y avait pas là un manque de considération mais seulement un partage convenu des tâches à accomplir. Les rapports à la maison étaient plus équilibrés qu’il n’y paraît, le mari jouait au maître mais la femme régnait dans la maison, elle tenait les cordons de la bourse et gérait le quotidien.Lorsque le bien foncier était transmis à l’enfant héritier, à l’occasion de son mariage, les parents se réservaient de vivre « au même pot et feu » que les jeunes mariés. Ca demandait une collaboration totale au travail.
Il n’y avait pas de conflit de mère à fille car elles étaient habituées à vivre ensemble depuis longtemps, mais le gendre se retrouvait en situation de subordonné et souvent réduit au rôle de valet de ferme. En revanche la situation de la belle-fille était plus difficile, elle se trouvait confinée dans le rôle de servante d’une belle-mère souvent autoritaire, acariâtre et jalouse.
- même chez nous la grand-mère ?
- c’était bien son cas, elle me laissait faire beaucoup de choses à moi sa fille mais elle n’était pas commode avec ses brus. Pendant la guerre, les hommes étaient partis au front et il ne restait que des femmes à la maison. Ta grand-mère gouvernait ses belles filles avec dureté et elles étaient parfois obligées de chaparder de la nourriture quand ta grand-mère avait le dos tourné, avec moi sa fille elle n’avait pas la même attitude.
Bien des drames paysans ont trouvé leurs racines dans l’amertume d’une bru maltraitée …
- et la vie à Teissières les Bouliès, c’était comment ?
Oh, alors là c’était une autre affaire, les gens de Prunet ne se fréquentaient pas beaucoup avec ceux de Teissières, je crois même qu’on ne les aimait pas beaucoup. Va-t-en savoir pourquoi.
On les appelait « les carboniers » Ils ont toujours fait du charbon de bois qu’ils allaient vendre aux aurillacois qui les considéraient souvent avec ironie. Ils faisaient bien 40 kilomètres à pieds aller-retour et il leur fallait en plus vendre la marchandise. Ils partaient vers 9 heures du soir pour être à Aurillac à 9 heures du matin, quand la nuit était claire et le temps sec passe encore, mais à la mauvaise saison quelle corvée !
Il faut dire que le sol était bien pauvre à Teissières, la commune était couverte de bruyères, les terres étaient mauvaises et ne produisaient que du seigle, du blé noir, des châtaignes et du chanvre. La production du tan et du charbon de bois apportait un complément indispensable aux maigres récoltes.
Aujourd’hui on croit qu’à la campagne on ne manquait de rien et que la nourriture était meilleure que maintenant, c’était loin d’être le cas. A Teissières on se nourrissait de blé noir et on faisait le pain tous les quinze jours. Ce jour là c’était la fête et encore, seulement si la cuisson était réussie. Mais au fur et à mesure que les jours passaient le pain était de plus en plus dur et pour le finir il fallait le faire tremper dans la soupe.
Il y avait un four à pain dans chaque ferme et il fallait du bois très sec pour le chauffer car il ne s’agissait pas d’enfumer le pain. C’était le travail des hommes qui devaient aussi pétrir longuement la pâte. C’était pénible et ça brisait les reins. Selon la ferme on y mettait ce qu’on avait mais le plus souvent c’était de la farine de seigle. On ne connaissait pas le pain blanc, aujourd’hui c’est tout à l’envers !
On faisait de l’huile aussi, avec les noix que l’on portait à écraser dans les moulins des rivières de Ladinhac ou de Leucamp. C’était des noix que l’on mettait à sécher un mois dans le grenier. Mais le pire c’est qu’il fallait passer tout l’hiver à les casser, c’était une corvée de plus !
Ca c’était pour l’huile mais il y avait le vinaigre aussi, il se faisait avec du cidre fermenté dans une barrique jusqu’à ce qu’il tourne en vinaigre au printemps.
- et l’eau minérale à Teissières ?
- ah ça c’est une autre histoire, bien belle mais aussi bien trop grande pour la commune, c’est que d’un seul coup, à l’exploitation de la source le nom de Teissières les Bouliès est apparu dans le monde entier sur les étiquettes des bouteilles !
- c’est venu comment ?
- On avait entendu dire par les anciens que la source d’eau piquante « la fontsalade » en patois, avait été trouvée par une vache. Régulièrement la bête quittait le troupeau et s’en allait vers la source pour y boire. Le manège avait intrigué le berger qui la suivit jusqu’à la rivière, il goutta l’eau qu’il trouva bonne et tellement gazeuse que ça lui remontait dans le nez.
Il en parla au docteur Reygasse qui habitait le bourg. Celui-ci prit l’affaire en mains et fit analyser l’eau. Non seulement elle fut déclarée bonne mais on lui reconnut des qualités médicales capables de soigner bien des problèmes digestifs, surtout la diarrhée des petits enfants. On la surnommait « le salut des enfants ».Chargée de bulles d’acide carbonique elle avait un goût aigrelet et légèrement salé, elle faisait penser à l’eau Périer
Mais la source était mal commode, creusée dans un vallon étroit et boisé, on voyait l’eau sortir d’un rocher très dur.
Comprenant le parti qu’on pouvait en tirer on détourna le lit du ruisseau. L’Académie de médecine accorda un avis très favorable. Il parait qu’on en tirait 6 000 bouteilles en 1843 et plus de 15 000 en 1851. Son exploitation dura plus de cent ans et l’eau de Teissières devint célèbre dans le monde entier, on en trouvait jusque dans certaines pharmacies d’Indochine
Au début l’eau était remontée à dos d’ânes, le chemin était long et les bêtes capricieuses. On les remplaça par des bœufs qui remontaient 200 bouteilles par voyage et qui connaissaient si bien le chemin qu’ils auraient bien pu y aller seuls.
Sur l’étiquette était écrit « le salut des enfants, le bonheur des parents »
Malheureusement , dans les années 1920-1925 le dernier fils Reygasse vendit la source à un financier parisien qui voulut augmenter la production en faisant monter l’eau par des tuyaux, avec une pompe. Ce fut le gâchis, les bulles se perdirent dans le trajet, l’eau se dénatura et on finit par n’obtenir que de l’eau plate
Ce fut la faillite et aujourd’hui il ne reste plus qu’un petit bâtiment de pierres sur la source, pour attirer les vacanciers, plus un bâtiment qui servait d’entrepôt, ainsi que sa réplique à la gare d’Arpajon sur Cère où les bouteilles étaient regroupées pour partir en chemin de fer sur Paris.
Pire encore, demande donc lors d’une visite si cette eau est potable et si tu peux y goûter, on ne t’y encouragera pas trop, paraît que les nitrates retourneraient les enfants à leurs maladies intestinales !