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CANTAL-LIENS
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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal...La généalogie autrement |
Soyez larges dans vos recherches, les cas extrêmes ça existe. La preuve …
Marguerite Delmas est née à Teissières les Bouliès le 21 mars 1681 et elle y décéda le 7 mars 1784. Dans son registre le curé nota :
« a été enterré dans le cimetière de cette paroisse le corps de Marguerite Delmas née le 21 mars 1681, munie des sacrements de l’Eglise, âgée par conséquent de 103 ans moins 21 jours. Ayant l’usage de ses sens, parfaite mémoire et entendement et ayant régulièrement assisté aux offices quoique éloignée d’une bonne demi lieue de l’Eglise »
Vingt ans de plus encore et on aurait pu faire ce dernier portrait. Comme un air tiède de nostalgie et d’affection pour nous éloigner des turpitudes de tous les jours. Un peu de douceur dans un monde de brutes fussent-elles parfois généalogiques pour ceux qui se prennent au sérieux
C’est toujours de la « généalogie autrement »
Bonne lecture
La centenaire :
La vieille Marguerite Delmas a plus de cent ans et habite à Bioude dans la commune de Teissières.
Cet âge n’est pas si rare dans nos campagnes et on peut voir des centenaires dans les villages assis hiver comme été dans la cheminée qu’ils semblent porter sur leurs épaules tels des cariatides décharnées, ou bien immobiles sur un banc sur le seuil de la maison. Parfois on les trouve confondus dans la pierre sous le porche d’une église ou devant un bénitier ou bien cheminant dans un sentier, les pieds estropiés d’avoir foulé le siècle. Ils ne savent plus d’où ils viennent et ne savent plus où ils vont. Survivants oubliés par la mort contre les murailles ou debout dans un champ après la moisson la peau rêche et fendillée comme une écorce.
Cette vieille était une vieille à part. Son pittoresque était nature et sa mise n’était pas composée pour des photos d’Albert Monier ou de Pierre Soisson. Sa coiffe pendante était celle que portait les femmes de jadis et les pointes de son fichu tombaient en se croisant sur le « barbaret » C’était une sorte de corsage formant soufflet et dans lequel se fourraient mouchoirs, porte-monnaie ou livre de messe. Dans son rude costume, si vieille et si vigoureuse encore elle ressemblait à l’Auvergne.
Mais elle ne parlait guère le français et c’est en patois qu’il fallait s’adresser à elle. Venu la voir dans son village Antoine avait aperçu une ombre accotée au puits et bien incapable de tirer de l’eau.
Madame Delmas ?
Non, et on lui montre la maison voisine où une vieille femme se tient à sa porte
Madame veuve Delmas ?
Non, je suis sa fille, on vit vieux dans le village ! La voilà répondit elle. montrant la cheminée du doigt
Deux lits occupaient le fond de la pièce rehaussés d’un tissu qui avait du être rouge. Sur un bas fauteuil de paille la centenaire était penchée vers le feu où chauffait une marmite A l’odeur aigre qui flottait dans la pièce on devinait la soupe aux choux.
Antoine s’approcha en lui disant bonjour en français. La bonne femme ne bougea pas. Sourde ? Aveugle ? Antoine lui dit en patois cette fois ci :
bonjour, on m’a dit que vous aviez passé cent ans ?
Oh alors elle n’était plus sourde !
cent ans, cent ans, mais j’en ai bien plus !
Elle se démène sur son fauteuil, secouée d’indignation.
Que non, elle n’était pas sourde ni muette.
elle n’aime pas qu’on la chicane sur son âge dit sa fille, elle n’a pas les cents ans mais n’en n’est pas loin. A l’entendre elle en aurait bien plus si elle avait vu tout ce qu’elle raconte…
mais que dit l’acte de naissance, hasarda Antoine, elle a bien été enregistrée ?
enregistrée ? se rebelle encore la grand-mère, non je n’ai pas été enregistrée. Dans ce temps là on n’était pas si fin ni si avancé, dit elle avec ironie. Que n’ai-je pas vu, les capelots (les curés) et les moussurs (les messieurs) qu’on allait leur couper la tête ! Et les cloches que l’on jetait à la rivière ! Et les messes qu’on disait dans les bois, les caves et les greniers !
mère, vous n’avez pas vu tout ça, ça vous ferait au moins 120 ans, on vous l’a raconté insinua sa fille
Cette fois la vieille trépigne et ricane :
j’ai bien vu Monsieur de Niocelles à la ville !
vous n’avez rien vu du tout.
Comme pour ne plus rien entendre elle cacha son visage dans ses mains tremblantes.
Monsieur de Niocelles c’était une journée sanglante de la Révolution et tous les arpajonnais en parlent comme si ils y avaient assisté.
Un voisin entra qui expliqua :
- Monsieur de Niocelles était un grand, un maître dans la vallée. Ah, il en avait fait aux petites gens…Je me rappelle pas ce qu’il était au juste mais il s’était caché dans son grenier. On l’a découvert et fait descendre les escaliers en le tirant par les jambes, sa tête sonnait à toutes les marches. En bas il y avait le forgeron, il lui trancha la gorge avec une hache et promena sa tête dans tout Arpajon. Même qu’il y avait Milhaud dans la bande, le fils du menuisier qui devint général.
A force d’avoir entendu dire la centenaire finissait par croire qu’elle avait tout connu, mais, tout de même, que de choses qu’elle avait pu voir et qu’elle ne disait pas.
- bien de la misère, bien de la misère je vous dis, mes huit garçons sont allés à la guerre et le service durait sept ans …
- Ils sont morts ?
- Eh, pas tous !
Mais tout ce qu’elle avait pu voir ne l’avait pas assombri, simplement détachée, elle ne demandait qu’à durer, ses quatre sous de café le matin et la soupe le soir. Elle se plaignait seulement de ne pas dormir la nuit. Antoine lui cite alors ce proverbe patois : « jeune qui veille et vieux qui dort sont signe de mort »
je sais bien… Ah toi au moins tu es gentil, tu me parles, ce n’est pas comme l’autre qui ne disait rien.
L’autre dit sa fille c’est un homme de la ville qui est venu pour l’interroger, mais comme il ne savait pas le patois ils ne se sont rien dit et il est reparti convaincu qu’elle était sourde tandis qu’elle était convaincue qu’il était muet !
Comme la vieille voulût remercier Antoine elle agrippa sa main qu’elle ne relâcha plus. Au bout d’un instant il voulut la retirer, elle se ressaisit :
tu sais, je ne te transmettrai rien, la misère ne s’attrape pas…
Dehors le soir était tombé, les ombres avaient envahi le hameau et tandis que les vieilles Delmas refermaient leur porte comme une boîte à marionnettes, Antoine repartit tout songeur sous la pluie