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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

Un « saigneur » sans château 

 

Comme si vous y étiez, mais âmes sensibles s’abstenir et revenir plus tard pour la consommation…

 

C’est un rituel que l’on rencontre un peu partout dans nos provinces (et ailleurs) mais il fait aussi partie de notre culture car il représentait un élément essentiel de notre nourriture. à quoi bon faire de la généalogie et collectionner des ancêtres si c’est  pour passer à côté de leur vie de tous les jours, du moins ici celle des familles paysannes.

 

Dans toute ferme il y a un cochon qui sommeil… Pas de méprise, si le coq passait à la cuisine pour les repas des battages, le cochon était soigné avec considération jusqu’à l’hiver. Ensuite la tragédie commençait mêlée d’une atmosphère de festivité.

 

«  - Il est temps de tuer le cochon ! L’hiver est là et ce sera pour demain. Le tueur est prêt et la Lune est à sa fin. Si l’on attend les boyaux perceront et la viande se gâtera »

Puis se tournant vers son petit fils Antoine ajouta :

«  - Te voilà sur tes six ans et tu pourras aider ta mère et ta grand-mère. Il faudra se lever tôt demain et tu ferais bien d’aller te coucher sans tarder »

Ce que fit Léon sans discuter mais avec du mal à s’endormir tant il ressentait d’avance tout l’effroi qui l’attendait pour demain.

 

Le lendemain tout le monde s’affairait dans la maison et la grand-mère lui expliqua en se hâtant dans tous les sens :

«  - on mangera dans la grande salle pour libérer la cuisine. Le grand père au bout de la table, ton père à sa droite et le tueur à sa gauche avec le vacher. Nous autres les femmes on aura trop à faire, on verra. Quand ton grand père aura croisé son couteau sur le pain on pourra servir. Si les hommes ne sont pas trop bavards ça ira vite et chacun ira à sa tâche après que le grand père aura refermé le couteau.

Le repas se déroula comme prévu et comme prévu on attendit que le grand père referme son couteau pour sortir gravement et commencer le travail.

On avait préparé sur des tréteaux  les oignons, les épices, le vinaigre, des torchons, le hachoir à saucisses, l’entonnoir à boudin, et les couteaux bien affutés. Les chaudrons avaient été récurés avec du gros sel et du vinaigre et de la paille tordue en tapissait le fond pour que le boudin ne s’y attache pas en cuisant. Une réserve de seaux d’eau attendait près de la cheminée où ronflait un feu d’enfer sous une énorme marmite noire pendue à la crémaillère.

Le grand moment était arrivé et le cœur de Léon commença à s’emballer  Des cris d’égorgé vif jaillirent de la porcherie. Il ébaucha un signe de croix dans le désordre et couru à toutes jambes jusqu’à la porcherie. Deux hommes tirèrent le cochon par les oreilles, un autre le souleva par la queue. Le voila sur les dalles devant le grand portail. Il est frotté à tours de bras puis rincé à grands seaux d’eau dont il ne fut pas le seul à profiter. Bouchonné à la paille le voilà luisant comme un sous neuf. Autant dire qu’il est habillé de « soies ».

A grand peine les hommes hissèrent l’animal sur un trépied. Il en fallut quatre pour le maintenir allongé tandis que les femmes se tenaient à côté pour prêter main forte. On ne pouvait pas l’attacher car il aurait été mal saigné et la viande aurait été gâchée.

Le « saigneur » s’approcha armé d’un grand couteau effilé, comme tout le monde il semblait pressé d’en finir. Léon se cacha les yeux de la main en prenant le soin d’écarter tout de même quelques doigts pour ne rien manquer du spectacle. Devant sa mine effrayée on lui demanda d’aller tenir la queue de l’animal. Des rires fusèrent et il s’aperçu vite que ce n’était ni un honneur ni un service et que ça n’était pas sans présenter quelques risques !

Les grognements se firent effroyables et le village entier en fut ameuté. Puis peu à peu la lente agonie se termina, plus un bruit, l’activité se poursuivit en silence dans une atmosphère lourde de l’odeur du sang chaud.

Le « saigneur » s’épongea le front, but « un coup de rouge », essuya son couteau sur son pantalon et commença à raser les poils du cochon. Pendant ce temps, à l’aide d’un gros bâton, les femmes tournaient le sang dans un grand seau, pour préparer le boudin. Dans leurs tabliers éclaboussés de sang elles paraissaient aux yeux de Léon, comme d’horribles sorcières dont on agrémentait les contes dans les soirées d’hiver.

L’animal ne bougeait plus, la tête pantelante, les jambes flasques, deux hommes suffirent pour le porter sur un brancard. «  - une, deux, trois !» Ils le renversèrent sur la paille et mirent le feu à des brandons qu’ils promenèrent sur la bête. Une odeur écœurante de cochon grillé fit grimacer tout le monde. Puis la peau fut grattée et le porc fut hissé sur la table de la ferme, couché sur le dos et préparé à être ouvert.

D’un seul coup la lame effilée fendit l’abdomen de l’animal sans dévier d’un pouce. L’homme s’arrêta un moment pour juger de l’épaisseur du lard et fit les compliments d’usage aux femmes.

Le « saigneur » aperçut Léon et l’interpela :

«  - alors petit, comment te sens tu ? C’est pas le moment de tourner de l’œil, des fois que tu tomberais sur la table et que fasse pas la différence avec le cochon ! »

Léon détala à toutes jambes mais revint prudemment en prenant soin de ne pas s’approcher de la table.

Content de son effet l’homme poursuivit son ouvrage. Il détacha les jambons qui furent mis à saler. Afin que les vers ne se mettent pas dans la viande on versa un petit verre d’alcool entre l’os et la chaire. A son regard les femmes réalisèrent qu’il ne serait pas contre d’en faire autant pour son gosier. La suite alla très vite, le couteau semblait voler et on ne manquait pas de s’étonner des gestes précis et délicats  qui se dégageaient de cet homme trapu aux membres courts et grossiers. Les épaules, les quartiers de lard, les côtes, l’échine, les filets, tout fut étalé pour être salé ou faire les saucisses.

Léon se hasarda dans la cuisine. S’approchant d’un récipient il plongea ses mains dans les boyaux qui glissaient comme des anguilles, il avait beau les serrer fort ils lui échappaient entre les doigts. Mais un regard de sa mère suffit à le faire décamper. Il ne faisait pas bon de rester dans leurs jupes.car les femmes étaient affairées à vider, retourner, laver et rincer les boyaux, on allait faire le boudin.

Le sang bien assaisonné fut versé dans les boyaux avec un gros entonnoir. Les longs serpents rouges furent ficelés et plongés dans la marmite. De temps à autre la femme du « saigneur » tirait de son lourd chignon une longue aiguille à tricoter afin de piquer le boudin et de juger du moment convenable où il serait cuit.

Puis ce fut le tour des saucisses, viandes, lard et épices sont mêlés dans le hachoir à manivelle. Léon tenta d’y mettre du sien en engouffrant la viande dans la machine.

«  - gare à tes doigts petit, la machine est féroce, elle pourrait bien te mordre « 

Décidemment c’est auprès de sa grand-mère qu’il serait le mieux. Il la rejoignit dans la grande pièce où elle préparait « les politesses » dans les « calottes à fleurs » (assiettes creuses). » - voyons si je n’ai oublié personne. Monsieur le curé, le Maire, le médecin, l’instituteur, les voisins… »

L’offrande du cochon est un rituel et la quantité varie selon le nombre de personnes à qui elle était destinée et parfois le service que l’on attendait d’elles.

 

Au premier coup de l’Angélus tout était terminé, un cousin sortit l’accordéon, un voisin la cabrette, on allait pouvoir passer à la table que l’on quittera tard dans la nuit.