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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

Quand les taxis parisiens étaient cantaliens

 

Comme pour tout émigrant le souci premier est de se loger et de trouver du travail le destin décide de la suite.
A propos de nos émigrés cantaliens on a souvent parlé de ces métiers aujourd’hui  disparus : garçon de bain, cireur de parquets, porteur d’eau. Avec le progrès d’autres métiers prirent la relève.
Très parisien il y eut entre autres celui de conducteur de fiacre très prisé par l’émigration des « russes blancs » fuyant leur révolution.
Et bien naturellement celui de chauffeur de taxis prit la relève.
Si l’on accorde volontiers le métier de marchand de charbon à nos émigrés cantaliens du 20ème siècle celui de chauffeur de taxi était aussi très répandu..
Les taxis parisiens étaient pour la plupart géré par la « Compagnie des taxis parisiens » la G7, rue du Chemin vert à Paris. Pour y entrer il suffisait de savoir lire et écrire, quant à savoir compter l’origine auvergnate pouvait servir de diplôme !
Etonnamment il n’était pas nécessaire de savoir conduire, la G7 se chargeait de former les candidats ;
Les chauffeurs étaient payés par un fixe pour une journée de 10h  à quoi s’ajoutait 25% de la recette du compteur ainsi que les pourboires non obligatoires mais énergiquement conseillés ! La nuit était payée au même tarif mais les courses étant plus chères la recette au compteur était d’un meilleur rapport
A raison d’une moyenne de 130 km  par jour le salaire était appréciable et permettait de se constituer un petit capital afin de se mettre un jour à son compte. Mais il fallait aussi défalquer les pourboires aux chasseurs des hôtels  aux rabatteurs des théâtres ainsi que les repas du midi au restaurant. Ces derniers étaient nombreux à Paris et se distinguaient par leur appellation « Au rendez-vous des chauffeurs »
Quant un débutant conduisait fièrement ses premiers clients il lui arrivait de se faire interpeller par un confrère lui criant «  alors, tu ballades à l’œil ? », quand il oubliait de baisser « le drapeau » de son compteur.(c’était une plaque « libre » que l’on abaissait au départ d’une course). Mais les clients étaient souvent des habitués et connaissaient le prix du déplacement, ils payaient sans complications et l’argent non inscrit au compteur tombait dans la poche du chauffeur…
Les chauffeurs vitupéraient contre les « dévorants » en tête de la productivité et obligeaient les autres à « cravacher » ou sauter un repas pour se maintenir. Les moins productifs étaient parfois contraints de rouler à leurs dépens, sans clients, et faire ainsi tourner le compteur pour ne pas être licenciés

Pour être chauffeur de taxi un certificat d’aptitude était nécessaire, il fallait connaître plus de 1600 rues de Paris et de banlieue, mais aussi les lieux de loisirs nocturnes car le client commandait souvent «  - à la Coupole » ou «  - au Flore » plutôt que de donner une adresse..
Il fallait répondre à 6 noms de rue de Paris et 2 de banlieue tirés au sort et donner pour chacun l’itinéraire à partir d’un lieu. A l’examen était adjointe une épreuve de gymkhana entre des quilles et aussi  savoir ranger sa voiture au bord du trottoir
Après la guerre de 14/18 la profession comptait plus de 2000 chauffeurs russes provenant pour la plupart des anciennes armées du Tsar. Le plus célèbre était le général Kolitcheff qui se considérait comme le général en chef  des taxis russes de Paris.
Des auvergnats et des corréziens vinrent ensuite, tous issus de milieux modestes, sans bagages mais travailleurs.
Certains chauffeurs étaient appelés « les galériens » car ils avaient sur leur voiture une galerie pouvant charger jusqu’à 200 kilos. Ils disposaient alors d’un stationnement particulier dans les gares (c’était le temps bien lointain des porteurs de valises qui se proposaient sur les quais de gares)
Les chauffeurs hébergeaient dans leurs taxis les représentants les plus variés de la population parisienne. Ca leur donnait à la longue une psychologie, une diplomatie et une sérénité reconnues
L’académicien Robert Aron disait :
«  J’apprécie leur conversation privilégiée, le taxi est une sorte de salon littéraire ou Société de pensées. C’est dans un taxi que j’ai fait se rencontrer en 1942 à Vichy, le directeur du cabinet de Pierre Laval et un chef de la dissidence en Algérie, à l’abri des tables d’écoute ils s’entendirent pour faciliter le débarquement américain le 8 novembre 1942 »
Bien que la presse les prenait souvent en boucs émissaires responsables des encombrements de Paris, ils avaient l’affection des parisiens. A tel point que sous la pression publique la justice punissait durement leurs agresseurs. Le 23 décembre 1955 trois agresseurs furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité tandis que 13 jours plus tard Louis Mathiau qui assassina un chauffeur pour le voler fut condamné à mort et exécuté. 
La grivèlerie n'était pas rare, chez les femmes surtout. Elles utilisaient un taxi tout un après midi pour faire leurs achats et demandaient ensuite au chauffeur une dernière attente à l'entrée d'un immeuble dans lequel elles s'engouffraient pour ressortir aussitôt par une autre porte, sans payer la course. 
Jusqu’en 1954 on pouvait choisir librement son taxi et les clients occasionnels du samedi soir recherchaient souvent les voitures les plus rutilantes, mais les habitués n’y regardaient pas de si près 
Pour le chauffeur de taxi le travail de nuit était moins sécurisant mais aussi plus rémunérateur, plus pittoresque également et lorsqu’il se retrouvait en famille ou entre amis il les étonnait par des anecdotes rocambolesques. Celle-ci retrouvée dans un rapport de police « : … roulant en maraude le long du cimetière du Père Lachaise il vit une équipe jetant par-dessus le mur, sur le trottoir, les couronnes et gerbes des enterrements du jour. Les voleurs s’étaient laissé enfermer, en planque derrière un mausolée, pour revendre au petit matin, aux Halles ou à des fleuristes peu regardants, le produit de leurs larcins… »
Il arrivait parfois même qu'un taxi soit réquisitionné par un officier de police pour une filature spontanée. Gyrophares et sirènes n'étaient pas de la course.
La filature pouvait être aussi le fait d'une épouse doutant de la fidèlité de son mari.
Les objets oubliés dans les voitures étaient nombreux et hétéroclites, ils étaient scrupuleusement déposés au commissariat mais chez les chauffeurs on ne manquait pas de gants et de parapluies à la maison.
Par un accord tacite le père de l’un d’entre nous amenait chaque matin le directeur du cinéma Dejazet sur son lieu de travail. La course n’était pas souvent payée mais les entrées gratuites compensaient le manque.
Parfois, les soirs d’été, si la recette avait été bonne il emmenait la famille faire un tour dans Paris en taxi et c’était l’émerveillement devant les monuments et les lumières de la ville.
En 20 ans de métier c’était près de 1 500 000 km parcourus sans accidents notoires. Une fois à son compte la voiture était changée tous les trois ans, reprise par la marque contre une voiture neuve et un complément financier. C’était  si possible avant l’été afin de « descendre au pays » avec une voiture à la mode.. C’était alors le succès garanti !
Les voyages en Auvergne se faisaient de nuit, après une journée de travail qu’il ne fallait pas perdre. C’était dix heures de route et il ne fallait pas manquer les rares pompes à essence ouvertes.
Ces voyages au pays étaient d’abord un besoin pesant, puis une habitude, on y allait pour la santé des enfants. Mais la nostalgie s’estompait d’année en année et même s’il participait encore aux travaux des champs, jouait aux quilles et allait aux champignons, il commençait à regarder la société paysanne de l’extérieur et affichait des idées toutes faites sur la vie politique en parlant fort dans les cafés. On pouvait discerner parfois une légère condescendance pour le monde paysan.
Le taxi avait changé la route de son existence …