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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

1670, Le loubotier de Ladinhac

 

Amis de linguistiques régionales à vos archives !
Nous allons parler du « loubotier »

Nous sommes en hiver1670 et quand on ne peut plus imaginer le passé on dit « c’est une légende » pourtant je m’en souviens encore …
Une brebis gisait dans la neige, éventrée, déchiquetée, les yeux encore exorbités de terreur. La pauvre bête n’était pas bien grosse et pour tout dire décharnée mais les loups ne sont pas regardant. Celui qui avait sévi n’en n’était pas à son premier coup et on le voyait rôder depuis quelques temps autour des masures de Trémouilles à Ladinhac.
La vie était assez dure pour qu’on accepte en plus de la partager avec les loups, sans compter qu’après les bêtes ça pouvait bien être aussi les enfants. Mis à part qu’un enfant ça braille plus fort quelle différence pour un loup entre un mouton et un marmot ?
Autour du feu quelques voisins du village s’étaient réunis pour délibérer. L’ambiance était lourde. Au travers de la vessie de porc qui fermait les lucarnes de la maison on distinguait à peine la lueur du jour tant le ciel était neigeux, sous la table trois poules picoraient quelques restes sous l’œil faussement fatigué d’un chat frileux.
«    - c’est pas tout dit quelqu’un, qu’est-ce qu’on fait ? J’espérais de cette brebis un agneau
pour le printemps et même si on mangeait le loup ça ne remplacerait pas 
- écoute, répondit un autre, j’en ai une qui attend deux agneaux, si tu veux on partagera »
Une femme lui dit dans un sourire anciennement dentelé :
«  - y a des parents qui sont pis que des loups mais des voisins qui sont aussi bons que des brebis 
- ouais répondit le premier homme trop bourru pour dire merci, mais si on fait rien ton agneau sera dévoré avant d’être né.
- et si on appelait le « loubotier » dit un autre ? »
Un silence se fit et le premier homme chassa les poules d’un coup de pied sous la table. Le chat approuva du regard, le feu s’enfila sous la braise et le vent s’arrêta un instant de souffler
« - va pour le loubotier, ça va coûter mais c’est l’homme qu’il nous faut, on ira le chercher demain avant que les loups nous le mange …»

 

Tous les gens de Ladinhac autant que les loups qui y rodaient connaissaient « le loubotier »
C’était un homme bourru, un peu sauvage et un peu rebouteux aussi. Un jour qu’il rentrait de son travail par les bois il fut pris par la nuit et décida de dormir dehors. Enroulé dans ses vêtements il fut tiré de son sommeil par un souffle chaud et humide sur sa joue. En ouvrant un œil prudent il reconnu un loup. Notre homme poussa un cri qui dévala les sous-bois et il fut impossible de savoir qui des deux eut le plus peur. C’est depuis ce baiser de judas qu’il décida de se consacrer au métier de « lubotier ».
N’importe quel voyageur traversant les bois devait s’attendre à cette mauvaise rencontre et s’il n’était pas armé d’un solide gourdin il ne lui restait plus qu’à appeler à l’aide, ce qui dans ces régions isolées ne manquait pas de produire … aucun effet.
Plutôt que de « crier au loup » certains musiciens qui rentraient un peu tard par les bois se mettaient à jouer un air sautillant. Tandis que les jambes tremblaient dans leur culotte les doigts s’affairaient de leur mieux. Il paraît que les cris de la cabrette tenaient les loups à distance et on dit même que certains de ses animaux moins mélomanes que d’autres s’enfuyaient la queue entre les jambes.
Les loubotiers se débarrassaient des loups en creusant des trappes, des « goufios » de dix pieds de profondeur, en forme d’entonnoir renversé et recouvert de branchages. La neige venait recouvrir le tout et il ne restait plus qu’à y placer dessus quelques bêtes crevées. Quand l’un d’eux tombait dans le piège il s’épuisait à se débattre pendant des heures er s’engluait dans la boue. Il ne restait plus qu’à le cueillir au bout d’un nœud coulant.

Tous les hivers le loubotier capturait, étranglait, écorchait, puis vendait les peaux. Mais chaque année il gardait vivant le plus vigoureux, lui passait une muselière et calmait ses prétentions d’indépendance à coups de trique. La bête devenait son gagne-pain aux beaux jours. Il la promenait de village en village et de foire en foire. Les enfants lui faisaient alors un cortège, effrayés d’abord puis audacieux ensuite ils avançaient la main et lui caressaient le poil et les oreilles. C’était donc ça le monstre dont les mères leur disaient sans cesse : « - mange ta soupe sinon j’appelle le loup qui la mangera et toi avec ! »
A bout de tolérance notre homme criait : «  - c’est assez maintenant, montrez moi votre bourse  et de quelle couleur est votre monnaie »
Comme le loubotier capturait aussi des renards il gagna quelques sous et se maria avec la Marissou, une gaillarde aussi louve que son gibier, ils vivaient ensemble mais n’échangeaient pas dix mots de la journée.
Un soir qu’il contrôlait ses fosses il glissa dans une et se retrouva au fond. Mal lui en prit car le loup s’y trouvait avant lui. Pas de secours à attendre, le combat dura toute la nuit. Pendant des heures ils tournèrent l’un contre l’autre mêlant grognements et jurons dans leurs souffles.Ca dura jusqu’à l’aube tant ils étaient pareils de même sauvagerie et de même endurance. Ils auraient du tomber et mourir ensemble. Partie nulle !
Au matin la Marissou s’inquiéta et lança les villageois à sa recherche. On finit par le retrouver, on lui lança une corde et on le tira très vite. Quand il eut la tête au soleil personne ne le reconnut tant il avait changé : une figure toute blanche, des yeux qui lui sortaient de la tête et des dents cassées qui pendaient de sa bouche desséchée.
«  - eh le loubotier, qu’est ce qui t’arrive ?

    • j’ai passé la nuit en enfer »