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CANTAL-LIENS

 

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...La généalogie autrement

 

 

L’affaire du corset de la Reine 

 

Bonjour,

« L’affaire du corset de la Reine … » n’est pas une référence d’Alexandre Dumas et elle fut déjà évoquée ici dans une de nos chroniques passées. Mais puisque le Duc De La Salle de Rochemaure s’y est lui-même attardé nous ne pouvons résister à vous transmettre ce nouvel éclairage. Pas étonnant qu’il fut préfacé par Alexandre Vermenouze Nous devons la trouvaille et la recopie de ce texte à notre ami Jacques Godefroy qui n’a pas été insensible au charme de l’évènement.

Le corset de la Reine.

Si, étranger à L'Auvergne, il vous est arrivé d'excursionner en Carladez, d'assister à la grand' messe à Vic, Polminhac, St-Clément, Yolet ou Vézac, ou encore de courir les foires des environs, vous aurez été, sans doute, surpris et charmé de l'ajustement spécial du corsage de nos paysannes, de la coupe particulière de leurs robes qui baillent, en s'évasant sur la poitrine et ont mérité, par cette forme typique, le nom de « robes à bavettes ou à gorgerin ». A grand renfort de baleines, de tissus raides et empesés, d'une profusion de laine piquée, tel un couvre pied, la bavette, naissant à la taille, va, s'évasant toujours, et laisse sur la poitrine une place plus que suffisante pour contenir …. Les plus plantureux appas gonflés à rassasier le nourrisson le plus goulu. Nos femmes d'Auvergne, ne sont en général, ni minces, ni grêles, mais l'ampleur du gorgerin est telle qu'on peut y faire encore une véritable resserre, de taille à contenir plus d'une poignée de pistoles. Aussi, les garçons, ne se font pas faute d'y plonger la main, pour y palper, je veux le croire, le moelleux du fichu de soie qui recouvre les épaules, et dont les deux pointes viennent s'y réunir, laissant à découvert la blancheur de neige de la guimpe. Je vais vous conter, tel que je l'ai appris jadis, comment naquit, en Carladez, la mode du gorgerin, vous dire qui l'inaugura, fort à son insu et sans aucune préméditation.

Aux jours où la jeunesse « vire bourrée sur bourrée », à en faire infléchir les travées et perdre haleine au « cabretaïre », tandis que les vieux vident bouteille sur bouteille, que les femmes elles-mêmes acceptent, en minaudant, de s'humecter les lèvres à un verre de liqueur douce : eau de noix ou de coings, en croquant une languette de tarte, quand tous sont en liesse et font bombance, au sortir de Vêpres, le jour de la fête du village, on entend dire volontiers en Carladez : « On se croirait au temps où la Reine était à Carlat ! » Le souvenir s'est conservé vivace du séjour de dix-huit mois que fit en notre pays la femme d'Henri IV et quand on parle d'elle, ce ne sont que louanges en son honneur. On affirme unanimement qu'admirablement jolie, charitable à tous, bonne et bienveillante à chacun, « elle ne sut jamais rien refuser à personne ». N'allez pas, au moins, prendre mal la chose, l'interpréter malignement, découvrir un sous-entendu égrillard dans cette expression ! On a tant et tant calomnié cette pauvre Reine que j'ai grand peine à ajouter foi au quart des médisances qui ont couru sur elle. Il faut convenir pourtant qu'elle était de complexion trop ardente ! Le Roi prétendait bien courir à sa guise, lui, ne se gênait guère pour satisfaire ses fantaisies, mais il n'entendait pas que sa femme en fît autant ! Il est vrai qu'il y avait entre Marguerite et lui, incompatibilité d'humeur complète, et que bien rarement le lit conjugal les réunit ! Henri IV profitant de ce qu'il n'avait pas d'enfants, prit prétexte de la stérilité de la Reine, pour obtenir du Pape la cassation du mariage. L'épreuve fut rude, à la malheureuse femme, elle dut cependant s'incliner devant la volonté royale, accepter avec grande amertume la nouvelle vie qui lui était imposée. Le divorce prononcé, le Roi ordonne au Gouverneur de Haute-Auvergne d'aller quérir Marguerite à Agen où elle s'était retirée, pour la conduire au château de Carlat, dont la Vicomté faisait partie de son douaire. Il est peu probable, malgré la tradition, que le marquis de Pleaux, François de Lignerac, lui ait fait faire ce long voyage en trousse sur son propre cheval. Tout porte à croire qu'il l'escorta, au contraire, avec déférent respect, et l'on sait qu'une centaine de gentilshommes des plus qualifiés du Haut-Pays, ayant à leur tête Gilbert de Lignerac, marquis de Marzes, allèrent l'attendre aux limites de la Province. Ce Seigneur de Marzes, cadet du Gouverneur, était Capitaine du châyeau de Carlat, avec son gendre, le Comte de La Salle pour lieutenant. Il installa du mieux qu'il put la Reine, dans la rude forteresse. Suivant ses ordres, de grandes réparations, des aménagements nouveaux avaient été effectué au Palais Bridoré, la plus vaste construction de Carlat, l'ancienne résidence du « pauvre Jacques ». Confortablement installée, entourée de respects unanimes, des attentions empressées de tous, « Margot », puisque tel était le surnom que les Rois, ses frères, aimaient à donner à Marguerite de Valois, languissait pourtant désespérément dans sa nouvelle résidence, y dépérissait d'ennui. Une seule chose lui manquait ! A Paris, avant son mariage, dans la Midi même, où elle ne faisait pourtant que de courts séjours, elle était habituée à voir évoluer autour d'elle tout un sémillant escadron de jeunes gentilshommes délicats et raffinés, qui, sans cesse, lui faisaient la cour. Brillants cavaliers, vêtus de soie et de velours, ils savaient disserter d'amour de façon experte, raisonner du cœur en séduisants propos, grands discoureurs de tendres choses, n'ayant en tête d'autre préoccupation que de madrigaliser en l'honneur de la dame de leurs pensées. Les seigneurs d'Auvergne, plus rudes, moins faits aux mœurs de la Cour, absorbés par leurs affaires, n'avaient ni ce beau langage complexe et fleuri, ni ces voluptueuses façons. Ils étaient en revanche plus aptes peut-être aux prouesses amoureuses, avaient sur la conscience tout autant de galantes aventures, mais plus simplement conduites, plus lestement expédiées ! Allant vite en besogne, abordant directement le but, lorsqu'une fillette leur plaisait et qu'elle ne restait pas insensible à leurs hommages, ils ne gaspillaient pas leur temps en d'inutiles verbiages, et leur admiration, pour être moins chantante, n'en était peut-être que plus démonstrative ! La Reine, chaque jour un peu plus, se mourait d'ennui dans la solitude de Carlat. Un jour, au cours d'une de ses quotidiennes promenades, elle aperçut un jeune homme qui gardait son troupeau sur les landes. Grand, fort, bien découplé, les traits néanmoins fins et délicats, le regard très doux, il attirait, d'instinct, la sympathie. Le beau pâtre se découvrit respectueusement devant la Reine en formulant des souhaits de bonheur. Marguerite examinait le jeune homme qu'elle trouvait fort avenant, de mine éveillée, l'air intelligent : elle s'attarda à causer avec lui. L'adolescent répondit correctement à ses questions, sans hardiesse déplacée, mais sans gêne, ni timidité exagérées. Il lui dit sans embarras qu'il s'appelait Jean de Résigade, et que malgré son accoutrement grossier il était de bonne et ancienne maison, voire même de haute noblesse. Son oncle et parrain, autre Jean de Résigade était encore, quinze ans auparavant, Capitaine du château de Carlat, charge dans laquelle il avait succédé à son père Christophe, qui longtemps avait rempli le même office. Son propre père, qui n'était qu'un cadet de famille, s'étant marié contre le gré de ses ascendants, avait été déshérité, puis avait péri tout jeune encore, tué par les Protestants, dans cette compagnie du Comte de Valois, dont le châtelain du Doux était Capitaine. Sa mère était morte en lui donnant la vie, lui laissant pour unique héritage une méchante cabane à mi-coteau, au bord du chemin de Vézac à Carlat, et une lande inculte et stérile où il récoltait à grand'peine de quoi se nourrie, menait paccager au printemps quelques brebis et une couple de chèvres. « Margot », tout en écoutant ce récit détaillé, admirait fort le jeune homme : et il est à croire que cet examen lui fut favorable, puisque le lendemain et les jours suivants, la Reine s'en revint causer avec le pâtre. Ce qui est certain, c'est qu'elle trouvait maintenant délicieux le séjour à Carlat ; presque tous les jours, Jean montait au château, si Marguerite ne franchissait pas le ruisselet de St-Etienne pour se rendre à la pauvre chaumine. Un mois plus tard, maçons, charpentiers et couvreurs survinrent en foule, qui, en quelques semaines, transformèrent la pauvre masure en ce castelet de Cabannes qui subsiste encore de nos jours. Tout y fut confortablement organisé, créé de toutes pièces ; de la cabane misérable ne subsista que le nom ancien conservé au château nouveau. Grasses terres, prairies plantureuses acquises à grands frais des voisins eurent vite constitué autour du logis, un beau et riche domaine. Un auteur assure, dans un livre d'où j'ai tiré cette anecdote, que Margot et Jean, y buvaient chaque jour ensemble une liqueur des plus douces et des plus rares, qui ne se vend ni ne s'achète, et qu'on appelle le « Parfait Amour ».

Vous supposez peut-être, qu'à vous narrer le bonheur intime de Jean de Résigade, j'en ai oublié les origines du gorgerin. N'ayez crainte, nous y voici ! Admirez même la précision de mes renseignements, je vais jusqu'à vous donner la date exacte de l'évènement. Le 19 juillet de l'année 1586, la chaleur fut accablante. Les troupeaux couchés à l'ombre des haies, haletaient suffocants ; faucheurs et faneuses faisaient la méridienne ; les sauterelles elles-mêmes se taisaient dans cette intolérable fournaise. Vers quelle heure la Reine s'était-elle rendue à Cabannes : je l'ignore. ̶ mais après un repas en tête à tête, Margot et Jean imitaient travailleurs et troupeaux ; ils reposaient ̶ : pour être plus à l'aise, chercher un souffle de brise dans l'air embrasé, la Reine avait quitté sa robe, son corsage, enlevé son corset. Cet ajustement intime, que les femmes apprécient tant pour se faire une taille de guêpe, était à cette époque, beaucoup plus volumineux, taillé dans un tissu de crin, monté sur une véritable armature de fer. Il épousait la forme du corps, soutenait la poitrine et, dessinant la taille, s'allongeait en s'évasant sur le ventre et les hanches, comme des portraits du temps en font foi. Déjà le soleil descendait sur l'horizon, une légère fraîcheur montait des gouffres de Celles. La Reine, auprès d'une fenêtre entr'ouverte au Nord, en profitait d'autant mieux qu'elle était délivrée de son corset, attendant le soir, pour regagner Carlat. Elle restait là, savourant délicieusement le crépuscule, sans nulle envie de s'en aller, quand sur le chemin de la Ganne, un bruit de chevaux se fit entendre. Au tournant de la route apparut une troupe de cavaliers, allant dans la direction de Carlat. C'était le Gouverneur, toute l'aristocratie d'Aurillac, les seigneurs des environs, châtelains et châtelaines, précédés de musiciens qui venaient souhaiter la fête à la Reine : la Ste-Marguerite qu'on célébrait le lendemain. Apprenant sa présence à Cabannes, ils firent halte, mirent pied à terre. Musettes et trompettes firent résonner les échos, et la cavalcade entière sollicita l'honneur de saluer la Reine. La pauvre Marguerite, surprise par ses visiteurs inattendus, qui réclamaient sa présence, se serait fort bien passée de leurs compliments, eût souhaité, tout au moins, qu'ils allassent l'attendre à Carlat. En attendant sonner sur les marches de l'escalier, les éperons de Ligner ac, elle se décida à se revêtir en hâte. Jean, lui, pour n'être pas surpris auprès de la reine, avait lestement disparu par une porte dérobée. Et, Margot, habituée à avoir un service de trois ou quatre femmes de chambre, ne savait comment arriver à rajuster ses atours. Le temps pressait, il fallait s'ingénier, châtelaines et seigneurs causaient dans la salle voisine. Sans y prendre garde, saisissant son corset et l'agraffant en hâte, elle le retourna en sens inverse, si bien que le bas qui modelait les formes du ventre, soutenait maintenant la poitrine. Elle ne s'aperçut de sa mégarde qu'après avoir rajusté ses jupes ; vraiment le temps manquait pour réparer la méprise. Le miroir lui renvoya l'image de ce corset bombant sur la poitrine, laissant une place suffisante à un jeune enfant pour dormir dans ce berceau improvisé ; la Reine ne put retenir un éclat de rire. On affirme avec raison, que n'eût-elle à sa disposition qu'un « méchant torchon à vaisselle », pour s'en faire une coiffure, la femme la moins coquette saurait s'en parer, l'utiliser avec goût. Ainsi Marguerite tira parti de son étourderie. Laissant le corsage déboutonné dans sa partie supérieure, et le rejetant en décolletage, de façon à laisser apparaître la fine chemise brodée, elle agraffa la robe, sur le bouffant du corset ; puis, dans le berceau improvisé plaça un gros bouquet de roses, que Jean lui avait offert, et qui était resté sur la table. Un livre à la main, comme interrompue dans sa lecture, souverainement gracieuse, la taille droite et souple avec ce grand air de reine que nulle ne posséda à un plus haut degré, avec, aux lèvres, ce sourire qui charmait et captivait petits et grands, elle pénétra dans la salle où la noble compagnie l'attendait. Chacun en lui présentant ses hommages admira ce délicieux nid odorant et embaumé, qui accentuait encore le dessin ferme de sa poitrine divine. Tous furent convaincus que c'était là une nouvelle et élégante mode, œuvre de quelque ingénieuse couturière, que la reine avait acceptée pour moins souffrir de l'ardente chaleur ; et les compliments partirent en foule. A chaque Seigneur qui lui baisait la main, marguerite offrit une rose prise à son corsage, aussitôt passée aux ganses des chapeaux. Groupée autour de la Reine, la noble escorte prit le chemin de Carlat, où, après un somptueux souper, l'aube matinale vit encore les joyeuses danses, continuer et mourir. Rentrées à Aurillac, toutes les femmes qui avaient pris part à la fête, allèrent harceler les couturières de la ville, pour se commander des robes à gorgerin, à la mode de la Reine ! Ainsi, en ces jours passés, naquit au chaud soleil de juillet, notre robe à bavette, encore en usage dans notre province d'Auvergne.

(ce texte est tiré du livre intitulé "Récits Cardaléziens"  dialecte du Caladez. Auteur : Duc De La Salle de Rochemaure, préfacé par A. Vermenouze (Capiscol de l'école auvergnate. Imprimé  à Aurillac par l'Imprimerie moderne, 6 rue Guy de Veyre, en 1906.)