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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

Le dernier siège de Clavières 

 

Lorsqu'on parcourt nos montagnes d'Auvergne, soit la région de Murat et de Saint-Flour, soit les plateaux qui dominent MAURIAC vers Salers, ou bien encore la Châtaigneraie, en descendant vers Maurs, on aperçoit, de ci, de là, au sommet d'un roc, ou à la cime d'un mamelon, des pans de vieux murs démolis, des amas de pierres effondrées, des tours en ruine, qui semblent ne tenir encore que par le lierre qui les enserre. Si vous demandez aux paysans, qui a détruit ce château, ils vous répondent, neuf fois sur dix : « Il le fut au temps des Anglais. »

         Il est vrai que les Anglais, ou plus exactement ces bandes de pillards vagabonds et indisciplinés qu'ils soldaient pour continuer la lutte, et qu'on appelait des Routiers, parce qu'ils ne cessaient de courir les chemins en quête d'aventures, ont commis plus d'un méfait dans notre pays. Mais, depuis cinq cents ans qu'ils ont disparu, les manoirs qu'ils avaient démantelés ont été réparés, ou ont fini de s'écrouler sans laisser de trace. Les ruines de forteresses que l'on voit encore en Auvergne, sont surtout l'œuvre des Protestants qui en pourchassaient les Catholiques, ou bien de ces derniers qui assiégeaient les réformés.

         Rien n'est pire que les haines de famille. Quand un procès commence entre frères, la fin en est souvent lointaine. Entre étrangers, un accord se négociera plus vite, une entente interviendra plus facilement. Il fut un temps, (Dieu nous garde de le revoir !) où il en était de même, et pis encore, des luttes religieuses. Les gens d'alors, plus dévots que nos générations, n'admettaient pas que leur voisin ou même l'un de leurs parents, priât Dieu d'une manière différente de la leur et autrement qu'ils en avaient coutume. Les autres d'ailleurs, aussi intransigeants dans leurs convictions, vous pourfendaient un homme, rien que pour l'empêcher d'égrener son chapelet. La politique bientôt s'était mise de la partie ; chacun, comme aujourd'hui, cherchait son intérêt, soutenait ses coreligionnaires, n'admettant pas que ses adversaires valussent même un regard de dédain. Dieu sait combien de château, de maisons de paysans, de chaumières elles-mêmes, souffrirent de ces dissensions. C'est à cette époque troublée qu'un des plus beaux castels des environs d'Aurillac fut en partie détruit et que de tous ses bâtiments il faillit ne pas rester de quoi abriter même un chat-huant !

         Le château de Clavières-Ayrens dont on aperçoit de si loin les tours, soit qu'on pénètre dans le Limousin, ou qu'on descende de Salers, remonte à une lointaine antiquité. Son premier seigneur connu, saint Géraud, le fondateur de la ville d'Aurillac, l'avait donné avec la terre qui en dépend, au Monastère qu'il avait créé. Mais, bientôt, le seigneur d'Albars de Saint-Illide, qui du seuil de sa porte pouvait l'apercevoir à l'horizon, en eut convoitise. Il était beau-frère de l'Abbé du Monastère ; ce dernier et la dame d'Albars appartenaient à la maison de Saint-Christophe. Il sut si bien faire, fut si persuasif et enjôleur, qu'il décida son beau-frère à lui céder Clavières, à titre gratuit, à seule charge par lui, de défendre l'Abbaye des empiètements des voisins, d'arrêter leurs déprédations. Cette race des sires d'Albars, qui devinrent ainsi barons de Clavières, prit donc racine dans cette terre. Il est à croire que le sol y est fertile et que sa qualité en est bonne ; toujours est-il, qu'elle s'y ancra solidement, et que pendant cinq cents ans, elle s'y perpétua de père en fils. A la fin il ne demeura qu'une fille qu'on maria à un seigneur du Limousin qui entra ainsi gendre en cette baronnie. La pauvre enfant mourut, hélas ! à vingt ans, en donnant le jour à un fils bien constitué, fort gentil, que sa grand'mère recueillit.

         On ne connaît pas toujours assez les gendres, quand on les prend ! Notre homme était bien issu de bonne race, baron du château de Cavaignac, près Brive, riche, ayant la réputation d'être un vaillant chevalier, hardi au combat, et avec cela fort bel homme, mais à ce Gabriel de Guiscars, tel était son nom, il ne manquait qu'une qualité, un peu de bon sens ! Il en fournit bientôt les preuves. Tuteur de son fils, son devoir eût été d'administrer sagement tous ses domaines, dont le nombre dépassait la dizaine, et surtout de donner tous ses soins à Clavières, qui ne lui appartenait pas, mais dont la défunte lui avait laissé la jouissance. Il aurait dû y augmenter le cheptel, tout faire prospérer jusqu'à la majorité de l'enfant. Au lieu de suivre cette voie, la seule équitable et bonne, le capitaine de Cavaignac, ainsi l'appelait-on d'habitude, imagina, aussitôt veuf, d'abjurer sa religion et de se faire protestant.

         Sa belle-mère, navrée de ce coup de tête, ne le laissa pas s'accomplir sans protestations. Elle quitta Clavières, avec son petit-fils, pour ne pas assister à cette lamentable débâcle, et se retira  dans un autre de leurs châteaux, à Saint-Cirgues-de-Malbert, près de Saint-Martin-Valmeroux. Elle ne fut pas plutôt partie, que Cavaignac appela ses nouveaux amis, et fit entrer dans Clavières  une garnison huguenote.

         Le lieutenant-général du Roi en Auvergne, dont les fonctions étaient analogues à celles de notre préfet actuel, ne l'entendit pas de cette façon, et prit fort mal la chose. Il convoqua ses troupes, dans le but de forcer le Capitaine et ses estafiers à se retirer de Clavières, d'où ils rayonnaient dans la contrée, épouvantant tout le monde, se risquant même jusque sous les murs de la ville d'Aurillac.

         Le 6 octobre 1575, le Comte de Canillac, au nom du Roi, arriva à la tête de ses troupes devant Clavières.   ̶   Sans risquer inutilement la vie de ses hommes, il fit placer le six canons qu'ils avaient hissés à grand'peine dans les côtes abruptes, sur la plaine de Quié, à l'extrémité de la terre des Issarts, bien qu'en ce moment elle fût ensemencée. De ce point, il pouvait à son aise prendre le château en écharpe sans que rien gênât son tir, puisque seul l'étang séparait les combattants.

         Le seigneur de Clavières, avisé comme il l'était, s'attendait à cette attaque. Dans cette prévision, les portes et les fenêtres, à la seule exception de la plus étroite, avaient été hâtivement bouchées en pierres sèches, les fossés qui environnaient le château curés à fond, et, par surcroît de précautions, au-devant, s'élevait une palissade de neuf pieds de hauteur, dont chaque pieu, pointu comme un aiguillon, constituait une barrière difficile à franchir. Les soldats se tenaient aux créneaux, fusils en mains, l'extrémité du canon passant seule dans d'étroites embrasures ménagées de place en place. Ainsi abrités, ils pouvaient faire tomber comme pièces de gibier les Catholiques téméraires qui s'approchaient de la palissade. Les portes de communications elles-mêmes, dans les murs de refend, avaient été murées, de telle sorte que si Cavaignac et les défenseurs venaient à être délogés d'une partie du manoir, ils pouvaient se retirer dans une autre. En outre, il leur restait encore la suprême ressource de s'abriter dans le donjon, qui, voûté de la cave au grenier, avait assez de provisions pour tout un mois.

         Le Baron de Clavières et Cavaignac était convaincu d'avoir pris toutes les précautions. Les soldats étaient vaillants, prêts à combattre, résolus à la lutte, et on affirmait que son grand ami, le vicomte de Turenne, Henri de la Tour d'Auvergne, un des grands chefs du parti Huguenot et tacticien des plus renommés, était venu s'enfermer dans Clavières, pour porter aide et secours à Cavaignac.

         Malgré tout, Canillac sut être le plus adroit. Il défendit à ses hommes d'abandonner le couvert des canons, leur promettant bien que les six petits monstres de fer leur ouvriraient vite une brèche par où ils pourraient passer sans avoir à baisser la tête. Il fit mettre le feu aux mèches. En six coups, ils endommagèrent de telle façon le pignon du côté de l'étang, que, sans que personne y contribuât, il s'effondra d'un bloc. A peine prenait-on le temps de les charger ; ils vomissaient sans cesse sur le château boulets de pierre et de fer rouge. Par deux fois, avec la moitié de ses hommes, Cavaignac tenta des sorties pour s'emparer des couleuvrines, deux fois il dut reculer sans pouvoir y réussir, obligé de rétrograder à mi-chemin, y laissant ses meilleurs soldats, que les boulets décimaient. Le feu embrasa la toiture, la tour d'Ayrens et l'aile du levant s'abîmèrent. La moitié du château fut éventrée, l'incendie gagnait les bâtiments du côté de Cels. C'est alors seulement que Canillac donna le signal de l'attaque. Les pièces à feu se turent, les Catholiques prirent leur élan, d'un bond arrivèrent au pied des murailles.

         S'aidant d'échelles, s'agrippant aux murs démolis, se hissant de décombres en décombres, ainsi que des écureuils, dédaignant la mousquetterie, la grêle de pierres qui leur tombait des créneaux, ils arrivèrent à la première travée. Là, sous la toiture en flammes, menaçant de s'écrouler d'instant en instant, se déroulèrent les épisodes les plus horribles. Chaque homme en cherchait un autre ; à coups d'épée, avec des massues, ils s'entretuaient, furieux, déments. Au plus épais de cette mêlée sanglante, Cavaignac encourageait ses gens. Les dominant de sa haute taille, ayant près de deux mètres, chaque revers d'épée abattait un homme, aussi facilement qu'une chiquenaude renverse un enfant. Quiconque cherchait à la joindre tombait sous ses coups. Deux compagnons se tenaient à ses côtés sans jamais le quitter. L'un était grand à faire peur, véritable colosse, son bras pesant, lorsqu'il retombait, tuait un adversaire. C'était Trompette, l'homme d'affaires du baron de Clavières en la terre de Saint-Christophe. Depuis qu'un Albars avait épousé l'héritière de cette baronnie, le château bas, dont la petite chapelle domine encore la maronne, avait même seigneur que Clavières. Trompette, dévoué corps et âme à son maître, écoutait ses conseils comme paroles d'évangile. Lorsque Cavaignac s'était fait protestant, il avait agi de même, sans en chercher la cause, en savoir la raison. L'autre assidu aux côtés du baron de Clavières, était un petit homme, nerveux et râblé, leste comme un chat. Une épée courte à la main, il se rasait à terre, bondissait de côté pour parer les coups, se baissait, rapide, et aussi violemment qu'une branche qu'on a ployée et qu'on lâche brusquement, il sautait à la gorge de l'agresseur, lui plantant sa dague au gosier. Personne n'eût reconnu dans ce chat en colère, un prêtre catholique, ancien curé de Teissières, Marc-Antoine, qui, l'année précédente encore, chantait la messe dans son église et administrait les sacrements. Ennuyé sans doute de la solitude de sa couche, il avait laissé là vêpres et complies, quittant la soutane pour embrasser la nouvelle religion. Deux autres hommes encore ne ménageaient pas les coups, faisant place vide autour d'eux ; Perissat, d'Angouste, l'homme de confiance du baron, encore plus fanatique et plus exalté que lui, si possible, et Fargues, le sergent qui commandait la garnison de Clavières en l'absence du seigneur. Ces cinq hommes, brandissant l'épée, étaient vraiment effroyables à voir et semaient l'épouvante. Chacun de leurs coups renversait un ennemi, comme tombe l'herbe mûre sous la faux du moissonneur !

         Plus hardi que les autres, un soldat catholique serrait le capitaine de près, et d'un coup d'épée entailla le pourpoint de Cavaignac. Prompt comme l'éclair, Trompette, d'un coup de hache, fendit l'homme, comme une bûche.

     ̶   « Merci » fit Guiscars.

     ̶   « Continuons, Maître, le tas est assez gros, cria Trompette ; c'est aujourd'hui jour de mangogne ! ».

         Et partout où s'abattait la hache terrible qu'il brandissait à deux mains, tombait un catholique. Il en remarqua un qui s'accrochait à une solive pour gagner le plancher. Il s'élance vers lui, se préparait à lui porter un coup de son arme redoutable, prenait son élan, lorsque la toiture s'effondra, les poutres cédèrent et les deux hommes roulèrent ensemble dans la cour. Un pan de mur, au même instant, s'abattit, les écrasant.

         Il fallait renoncer à la lutte. Les Catholiques arrivaient en masse, à chaque instant plus nombreux, prenant Cavaignac et les défenseurs à revers. Des deux cents hommes que la garnison comptait au début restaient à peine trente Huguenots. Le Capitaine sentit que Clavières était perdu, qu'il lui fallait l'abandonner, s'il ne voulait pas que chacun y laissât ses os jusqu'au dernier.

         Par bonheur pour eux, la toiture en s'effondrant, avait emporté avec elle un mur de refend, ouvrant le passage avec l'autre partie du château. D'un bond, Cavaignac, Marc-Antoine, le prêtre renégat, Périssac et Fargues gagnèrent un couloir voûté dont les arcatures n'avaient pas cédé. Les Catholiques, semblables à des fourmis, lorsqu'on verse l'eau bouillante sur la fourmilière, s'étaient retirés pour ne pas périr dans la fournaise, attendant à l'abri que l'incendie diminuât pour renouveler l'attaque, continuer leurs recherches. Nos hommes profitèrent de ce répit ; à force de bras, s'accrochant aux pierres, écartant les décombres fumants, ils gagnèrent la cave, réussissant à pénétrer dans le caveau, encore existant, d'où partaient les souterrains.

         Trois galeries, au moins s'en détachaient, taillées au pic en plein tuf, vrais chemins de taupes, pour aller déboucher au loin. L'une aboutissait au fond de la prairie, vers Ayrens, l'autre ouvrait dans le ruisselet de Boissières, et la plus longue, à travers tout le plateau, sous les maisons du village de Quié, prenait issue à mi-coteau vis-a-vis l'église de Teissières. Il y a à peine vingt ans quelles furent encore visitées et qu'on en retira une paire de landiers, une chaîne de puits d'une longueur de dix toises, et même un calice d'argent.        

         Lequel des trois chemins prirent-ils ? Nul ne le sait, mais tous s'échappèrent. Le mois suivant, le Baron de Clavières et Cavaignac, marchait en Limousin, à la tête de sa compagnie dans la grande armée des Réformés, que commandait le Roi de Navarre.         

         Canillac laissait l'incendie dévorer le château et ses soldats le livrer au pillage, quand la vieille châtelaine de Clavières arriva, à cheval, son petit-fils en trousse. Bien qu'elle fût déjà fort âgée, à la nouvelle qui lui parvint à St-Cirgues que canon tonnait contre ce manoir, elle partit immédiatement. Son mari, Capitaine Catholique de grand renom avait trouvé la mort, aux côtés de Canillac, son contemporain, en tentant avec lui de reprendre le château de Miremont, près de Mauriac. La pauvre femme lui rappela ce souvenir, le supplia au moins de ne pas s'acharner à tout détruire. Son gendre, ce gredin de Cavaignac n'était pas propriétaire du manoir, et celui qui supportait tout le poids de la faute, qui en souffrait le plus, et le seul, était cet enfant, si innocent pourtant, de l'écervellement de son père. Le pauvre château, jadis si beau, si splendidement meublé, où Canillac avait souventes fois dîné, au temps du précédent seigneur n'était plus à présent qu'une ruine fumante, à moitié démantelé déjà. Néanmoins, en éteignant vivement le feu, sans perte de temps, on pouvait encore préserver bien des choses, puisque les corps de logis orientés vers le midi n'avaient pas trop souffert. Si l'on craignait un retour offensif des protestants, retour bien improbable, elle s'engageait à y entretenir à ses frais, une garnison catholique. Elle présenta si bien sa requête, sut si bien émouvoir Canillac qu'il se laissa fléchir. A grand renfort d'eau, l'étang se trouvait heureusement assez près, l'incendie fut conjuré, et ainsi, grâce à sa châtelaine de château de Clavières échappa à une totale destruction.

           Dernièrement au cours des travaux de nivellement de la terrasse qui s'étend au devant du vieux manoir, l'envie prit au châtelain actuel, d'y défoncer le sol. On reconnut alors,  que du côté de l'étang,  les bâtiments étaient enterrés de dix pieds. Et là, sur le pavé de l'ancienne basse-cour, s'amoncelaient les pierres taillées et sculptées, des poutres, des chevrons, des solives à demi calcinées et pourries ; le sol était parsemé de débris de dallage de briques, et de tuiles. Au milieu des décombres, les terrassiers mirent à jour le squelette d'un homme, d'une taille atteignant près de deux mètres. La cuirasse broyée par un créneau qui lui avait défoncé la poitrine, tomba en poussière dès qu'on le toucha, mais le casque tout bosselé, rongé par la rouille, où restait encore le crâne, put être conservé. Sa forme ne laissait aucun doute sur son origine, il datait certainement de l'époque des guerres de religion et la force des ossements, la place où on, les retrouva, portent à croire que c'était bien là, les restes du colossal Trompette de St-Christophe, l'un des hardis défenseurs de Clavières au siège de 1575.