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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

1843, Le Cantal voit le bout du tunnel... du Lioran

 

Il nous faut raconter l’épopée du percement du tunnel du Lioran. Tous les éléments reproduits ici sont exacts et grappillés à droite et à gauche dans divers documents. Comme vous aimez les histoires c’est juste un peu aménagé dans un récit de veillée authentique puisque vous ne pourrez prouver qu'il n'a pas eu lieu;

En 1854, un soir d’hiver, au hameau de La Penderie à Leucamp on veillait chez les Trin en compagnie du maître d’école.
Celui-ci rentrait d’un voyage à St Flour et émergeait à peine de l’émerveillement de son passage sous la montagne par le tunnel du Lioran. Il déclarait :
«  - il y avait seulement quinze ans on n’accordait que peu d’importance à cette barrière montagneuse qui séparait le département d’Est en Ouest, on se contentait de franchir la montagne par les cols les plus praticables.
Et encore, jamais l’hiver !
Malheur à l’imprudent qui se laissait surprendre par la tourmente et la nuit sur les cimes glacées, en vain frapperait-il la montagne des échos de ses appels ; pas une âme à la ronde, tout était muet dans ce désert de neige sauf les sinistres mugissements des arbres dénudés. On ne pouvait pas faire un pas sans risquer de rouler dans l’abîme et on ne pouvait non plus attendre le jour sans risquer de périr glacé. Contre l’assoupissement, les gelures et les angoisses il fallait marcher coûte que coûte »
Le maître marqua un silence pour mieux mesurer l’effet de son récit, la petite Marie s’était réfugiée sur les genoux de sa mère, ses frères oubliaient leurs grimaces et le père se perdait dans la contemplation du fond de son verre
Il  continua son discours :
«  - Aurillac souffre seulement de l’éloignement de son évêché implanté à St Flour. Le Cantal vit à deux têtes, l’une à St Flour tournée vers Lyon et la vallée du Rhône, l’autre à Aurillac tournée vers Toulouse et Bordeaux et le bassin d’Aquitaine.
Pour la collecte des impôts on se contentait seulement d’entretenir la route royale, St Flour conservait son tribunal et tous les ans en février, on déplaçait jurés, témoins, experts et avocats pour y rendre la justice. Ils devaient alors traverser le département au risque de leur vie. Parfois les amas de neige rendaient la route impraticable et provoquaient des renvois de sessions ralentissant l’action de la justice » 
L’esprit enseignant gardant le dessus le maître d’école poursuivit :
«  - le passage du Lioran préoccupait depuis longtemps les ingénieurs et le 4 avril 1839 le Préfet du Cantal fut informé qu’une décision avait été arrêtée sur le percement d’un tunnel. Les discours officiels multipliaient les envolées lyriques, le Lioran devenait « les colonnes d’Hercule » « grâce à sa percée le commerce du Nord viendra tendre la main à celui du Midi », «  le Cantal va changer et la pose de la première pierre sera le baptême de sa prospèrité ». Enfin, plagiant Napoléon à Austerlitz : « les ouvriers qui auront travaillé à la réalisation de ce grand ouvrage pourront dire avec orgueil qu’ils ont œuvré au percement du Lioran »  
Les « Annales des Ponts et Chaussées » accordèrent une grande place à ces travaux qualifiés de monument grandiose et hardi » et cette technique cantalienne enrichira l’expérience nécessaire à la multiplication de nombreux autres tunnels, notamment celui des Alpes.
Edouard Delamarre, Préfet du Cantal, se montra beaucoup dans les salons et les buffets demandant ça et là au Ministre des Travaux publics quelles inscriptions il devrait porter sur la plaque commémorative et les médailles à l’effigie de l’auguste Empereur. Son empressement finit par fatiguer son entourage et il fut muté à Mont de Marsan le 11 juin 1840. 
Impossible de s’imaginer les difficultés rencontrées à cette époque : pas d’électricité, pas de marteaux piqueurs, pas de dynamite, pas de ventilation, des moyens rudimentaires pour évacuer les déblais, une alimentation difficile, une vie rude et isolée, un hiver de six mois. 
La plupart des ouvriers étaient allemands, suisses ou italiens ; Quelques locaux se joignaient à eux lorsqu’ils se libéraient des travaux agricoles mais malgré les hauts salaires il était difficile de les garder au printemps tant le travail était dur, les éboulements mortels et la fièvre typhoïde ravageuse 
Encouragé par l’attention de son entourage notre maître d’école poursuivit :
"  - on avait prévu un tunnel de 6m50 de large mais il fallut pousser jusqu’à 7m car un revêtement maçonné réduisait le passage (*) Les pauvres ouvriers gagnaient la nourriture de leur famille dans la fumée des lampes à huile, l’air fétide, l’eau giclant des roches et sous la menace des blocs se détachant sans prévenir.
D’un côté du tunnel en montée il fallut installer des pompes à feu tous les 170m pour évacuer 100 litres d’eau à la minute.
L’aération causait bien des soucis aux ingénieurs. Par vent du Nord sec et froid la circulation opérait et les galeries étaient claires mais par vent d’Ouest et temps de pluie une épaisse fumée remplissait le boyau et ressortait en rasant le sol.
Parfois la lumière des lampes ne s’apercevait pas à deux mètres et il fallait marcher à tâton. Au bout de 130m de galerie les ouvriers souffrirent de maux de gorge et d’estomac et il fallut installer des ventilateurs au dehors actionnés à la manivelle par des hommes de l’extérieur.
On progressait en moyenne de 325m par an mais les crédits se faisaient attendre. On parlait d’interrompre le percement mais avec beaucoup d’à-propos les ingénieurs rappelèrent aux politiciens que ce tunnel avait un retentissement considérable à l’étranger et que son interruption aurait un plus mauvais effet.
Les ouvriers se voyaient délivrer un carnet à l’embauche sur lequel étaient consignées les appréciations de l’ingénieur en chef. On y lisait à l’article 12 :
Afin que le logement des ouvriers soit constamment propre, chacun à son tour sera tenu de balayer à midi, sous peine d’une amende d’ 1 franc. Chaque jour le logement des ouvriers sera visité pour s’assurer qu’il est tenu proprement
Et à l’article 14 :
Il est fait défense aux cantinières de donner à boire aux ouvriers hors des heures de repas si ce ne sont les dimanches et fêtes jusqu’à 8 heures du soir.
Les baraques étaient formées de deux cloisons en planches clouées sur des poteaux en bois enfoncés dans le sol et dont les intervalles étaient remplis de terre battue. Le toit était constitué d’une mince couche d’argile mêlée à de la paille et de la mousse pour garantir du froid et de l’humidité.
L’ingénieur habitait un petit chalet surplombant le chantier mais on lui reprochait de préférer le séjour à Aurillac…
En 1834 le Préfet de Bantel écrivait :
«  les fatigues et les périls n’ont pas manqué aux ouvriers. Si les morts accidentelles ont été peu nombreuses il y eu des blessures. Les cas de maladies ont été très fréquents. Des éboulements considérables et presque continuels se sont manifestés. Pour éviter la désertion des chantiers il a fallu toute l’influence de l’ingénieur et surtout mettre en jeu l’attachement et l’amour-propre que certains ouvriers portaient à ne pas quitter le chantier sans l’avoir terminé 
164 000 journées d’ouvriers furent nécessaires pour une dépense totale de 1 114 185 francs, mais cette somme représenta le double du devis initial car les ingénieurs avaient sous-estimé la solidité du vieux volcan.
Le 22 novembre 1843 fut le grand jour ! Les deux galeries totalisent 1385m et le tunnel devait en totaliser 1387. On enfonce la barre à mine de 3m : rien, pas de jour. L’anxiété gagne, l’ingénieur se prend à douter. Il se fait tard. On va se coucher.
Le lendemain le travail reprend, sans succès. A 2h de l’après midi on décide d’une explosion massive et d’un coup la jonction est établie, on se parle par le trou de la sonde, on y verse du vin bleu et les visages fatigués s’illuminent, on ne compte plus les bouteilles sur le champ de bataille »
Mais une fête plus solennelle attendait les ouvriers : la sainte Barbe patronne des mineurs. Le 4 décembre un cortège de 18 voitures se forma emmenant 90 ouvriers, leurs chefs et les tâcherons, à Aurillac où la municipalité leur offrit un repas grâce à une gratification ministérielle de 700 francs. A deux kilomètres d’Aurillac le cortège s’arrête, les hommes se regroupent et termine la route en un long défilé, drapeaux en tête, sous les acclamations de la foule accourue.
Salve d’artillerie, réception par le Préfet, le Maire, un Général en costume, et pour finir messe en musique à l’église de St Géraud.
Un repas eut lieu rue du collège, dans la salle électorale. On avait dressé sur une table des instruments à l’usage des mineurs. Un gâteau gigantesque dominait le tout, on l’avait voulu aux proportions de la montagne du Lioran.. Des toasts nombreux furent portés comme il se doit et la Revue du Cantal souligna les applaudissements frénétiques des travailleurs." 
L’audience de notre maître d’école, qui s’identifiait à présent à ces ouvriers eut un soupir d’aise tandis que le feu lui-même couvait pour ne pas briser l’atmosphère du récit … 
(*) étrangement une même rectification, mais sur la hauteur, à la mise en circulation du tunnel actuel, à du être faite une fois constaté que les hauts camions de transport de paille et ceux de transport d’automobiles, à deux étages, ne passaient qu’en circulation centrale

Une fois la percée effectuée quatre ans seront encore nécessaires pour parfaire l’ouvrage. Maçonnerie, chaussée et trottoirs terminés, restait l’éclairage : gaz de houille ou huile ? On opta pour l’huile. Des réverbères sont loués fort cher à Clermont Ferrand et ils sont mal disposés. Au mois de février 1848 le tunnel est ouvert et le Préfet écrit au ministre pour lui demander encore de l’argent afin de parfaire les aménagements.
 
C’est un passage dangereux et les chevaux hésitent et se cabrent avant d’entrer dans le trou noir si chichement éclairé. Les piétons et les cavaliers n’y voient qu’à grand peine et risquent sans cesse de se faire accrocher par les voitures. Les cochers doivent descendre de leur siège, saisir les animaux par la bride et marcher à côté d’eux en leur parlant pour les rassurer. Lors des croisements les voyageurs quittent la voiture car les accrochages sont dangereux et les accidents souvent graves. (*)
Pour éclairer 1400 mètres 25 réverbères à huile seulement, dont 6 restant allumés toute la nuit ; on consommait plus de 2 tonnes d’huile par an.
 
Une grande inauguration officielle fut prévue le 30 octobre 1848 et dès le 16 du même mois, dans un lyrisme de bon ton pour son époque le « Courrier du Cantal » écrivait :
« Nous pouvons annoncer, d’après les renseignements recueillis de bonne source, que l’inauguration de la percée du Lioran aura lieu le 30 courant. Habitants du Cantal réjouissez-vous ! Vous aussi désormais vous aurez votre merveille à montrer à l’étranger. Le touriste qui viendra admirer les gigantesques proportions de nos montagnes s’étonnera des travaux plus gigantesques encore dont l’art a doté votre pays ! Et vous, hommes positifs, soyez heureux aussi, votre patrie est sortie de l’oubli, de grands centres de populations viendront communiquer entre eux et visiter vos cités »
Sans oublier le couplet final à « l’administrateur distingué qui présida l’œuvre grandiose » :
            « Reçois nos remerciements Ô Delamarre, ton nom, joint à celui des hommes qui te secondèrent, vivra toujours dans nos cœurs reconnaissants »
 
Mais la crise économique sévissait à la veille de la révolution de 1848, une succession de mauvaises récoltes plongeait le peuple dans la misère, le cœur n’était pas aux réjouissances et l’inauguration n’eut pas lieu. L’ouverture du tunnel à la circulation, au cours de l’hiver, passa à peu près inaperçue … 
 
«  - bon, s’écria le maître d’école pour réveiller son auditoire qui s’assoupissait, il se fait tard et le vent s’est calmé, c’est le moment de rentrer. »
On se hâta d’allumer sa lanterne, il enfila sa pelisse avec regret et referma très vite la porte sur lui. On le regarda partir par la fenêtre à la lueur de la bougie qu’il balançait au bout de son bras.
 
 
Petites extensions à cet exposé :
-          le chemin de fer tendait déjà à supplanter la route et l’on songeait à une voie reliant Clermont Ferrand à Brive. Si l’on considérait l’utilité et l’usage réel du tunnel, et ce que l’imagination de l’époque laissait espérer, on était en droit de se demander si la montagne n’avait pas accouché d’une souris…
-          la percée du Lioran n’a pas changé la face du Cantal, elle n’a pas réuni l’Est à l’Ouest mais a contribué à rapprocher quelque peu Aurillac à St Flour, donnant un peu de cohérence à notre département. Elle facilita aussi les communications avec Clermont Ferrand et Paris.
-          c’est à la suite du dramatique accident du tunnel du Mont Blanc qu’il fut décidé que le plus vieux tunnel de France, celui du Lioran, déjà estimé dangereux par rapport à la circulation, serait reconstruit aux normes actuelles aux côtés de l’ancien. L’ancien tunnel réformé se visite parfois mais il est également partiellement utilisé en cave d’affinage pour les fromages de Cantal

(*) il y a peu de temps encore on s’engouffrait en voiture dans cet ancien tunnel, en rentrant instinctivement la tête dans les épaules sur le volant et l'appel à St Christophe ne suffisait pas à nous rassurer.