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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

1832, Un porteur d’eau à Paris, dans la tourmente du choléra

 

Nous abordons ici une page des moins joyeuses qui à toutefois sa part entière dans la petite Histoire de nos cantaliens parisiens.
Nous avons souvent parlé du métier de porteur d’eau anciennement exercé à Paris par nos émigrés dans les quartiers de la Bastille. Il faut savoir sortir des clichés convenus pour mesurer la profondeur de ce métier par son utilité publique. Au-delà du faible niveau social de nos porteurs d’eau cantaliens il faut savoir rapprocher ce dur métier d’une nécessité essentielle pour les parisiens : avoir de l’eau dans les maisons. L’hygiène n'en était pas la seule raison et bien des cas de la vie courante élargissaient cette nécessité. En 1832, un matin de son labeur, Louis CARRIER originaire de Ladinhac et monté à Paris par nécessité, en fut l’un des acteurs
Cet exposé relate des éléments tout à fait authentiques relevés aux Archives de la Police parisienne et à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, nous avons juste pris la main de notre porteur d'eau pour nous servir de fil conducteur.
Oublions vite cette page une fois lue et nous poursuivrons vendredi prochain
 
Un matin qu’il passait à la hauteur du 113 rue de Charonne, devant les époux Gouillard qu’il comptait parmi ses clients, il se fit appeler d’urgence pour leur monter de l’eau. On le pria de se hâter. Il y avait de l’agitation dans l’immeuble et l’inquiétude le gagnait au fur et à mesure qu’il montait l’escalier. Arrivé à l’étage, la porte de l’appartement était ouverte et trois enfants pleuraient. Un médecin s’affairait autour du lit sur lequel était allongée Cécile Boissard épouse Gouillard. On attendait son eau avec impatience.
Elle avait 28 ans et trois enfants dont le dernier qu’elle allaitait. Selon les voisins elle ressentit dès le matin un sentiment d’oppression, d’étouffement et de resserrement du sternum. A huit heures du matin le médecin qu’on avait appelé à la hâte constata un froid glacial du corps et un teint d’ardoise, les yeux étaient enfoncés, cernés de brun et injectés de sang. Le regard était morne et les lèvres violettes asséchées.
Le médecin procéda immédiatement à une saignée, très inquiet devant cet état qui laissait pressentir ce qu’il craignait le plus.
Il demanda à nouveau que l’on fasse venir de l’eau d’urgence par le porteur le plus proche.
Pétrifié par l’état de la femme Gouillard notre cantalien Louis Carrier en oubliait ses seaux à présent vides sur le palier
Le docteur poursuivit son examen tandis que le corps de la malade était parcouru de mouvements incontrôlés pour se débarrasser des couvertures.
Plus de pouls.
Le docteur réclama :
- il lui faut des bains de vapeur !
Les voisins présents écarquillèrent les yeux. Le plus hardi balbutia :
- c'est que nous ne savons pas trop ce que c'est ni comment on procède
Devant tant d’ignorance le médecin s’impatienta et ordonna :
- mettez le traversin au milieu du matelas et posez lui les talons sur le pied du lit
Il recouvrit le corps ainsi plié, fit placer une terrine dans le vide aménagé et réclama qu’on la remplisse avec de l’eau bouillante mêlée de sureau. Il espérait ramollir la contraction des membres.
Au bout d’une heure le médecin entreprit une nouvelle et large saignée afin d’appeler le sang et décongestionner le corps.
Louis détourna le regard…
Mais le sang ne venait plus. Une soif ardente tourmentait la malade, l’asphyxie fit place à une syncope.
- vite, trouvez moi des ventouses !
Louis éloigna les enfants tendis que des femmes fouillaient les armoires pour trouver les ventouses.
Mais le temps de trouver ces instruments le corps se raidit dans une dernière convulsion et il fut impossible de le ramener à la vie.
Le malade venait d’expirer du premier cas de Choléra constaté dans le Faubourg St Antoine à Paris et qui annonçait le début d’une terrible épidémie qui en ce mois de juin 1832 marqua l’histoire de Paris.
Ne pouvant rien faire le médecin partit sans rien révéler pour aviser Monsieur Bouvalier, maire de l’arrondissement.

Le 1er juillet de la même année 1832 un autre cas se déclara au 14 de la rue St Bernard puis de nouveau au 113 rue de Charonne. Ce fut ensuite un cas par jour durant 2 semaines.
Le choléra prit une place importante dans l’imaginaire au même titre que la peste, malgré des effets moins dévastateurs. Les symptômes variaient peu et les seuls soins connus avaient pour but de décongestionner le corps : saignées, bains de vapeur, ventouses, sangsues.
La mort survenait dans la journée même où se déclarait la maladie et on ne disposait que de trois heures pour soigner le malade.
Selon les médecins spécialistes la cause première du Choléra était une asphyxie produite par les gaz dangereux émanant probablement du centre de la terre, à la manière des volcans.
Le Choléra venait d’Asie par l’Empire russe et l’Europe de l’est où il fit son apparition de 1822 à 1824. Le vecteur principal fut probablement la présence militaire avec ses mouvements de troupes, et la pénétration commerciale des Anglais en Inde avec les bateaux commerciaux.
Les apparitions successives faisaient parler de suites d’épidémies alors qu’il s’agissait probablement de recrudescence de la première.
Celle de 1832 frappa tout particulièrement les esprits car pour la première fois elle toucha l’Europe en passant de la mer Caspienne à la Tamise en moins de 2 ans.
Elle fit 5 500 morts en Angleterre et plus de 100 000 morts en France. Elle toucha tout particulièrement le nord est de notre pays tandis que le centre et le sud furent relativement épargnés.
 Il y eut peu de décès dans le Cantal alors qu’il en fut différemment en 1854.
On crut que les plus démunis étaient les plus exposés et la classe ouvrière criait à l’injustice. Des bureaux de secours furent établis dans tous les quartiers et des salles aménagées dans tous les hôpitaux. Mais la vague déferlante submergea très vite ces dispositions. Raillant l’incapacité des services publics des bénévoles se mobilisèrent généreusement pour s’organiser en institutions plus efficaces.
Mais au décès de Casimir Perier, du général Lamarque, de divers députés et illustres personnages, on comprit alors que nul n’était épargné. La fille du comte de Mole succombera en une demi-journée, la marquise de Montcalm ne résistera que deux heures et Champolion lui-même y laissera la vie. 
En allant de maison en maison notre porteur d’eau Louis Carrier prenait un risque considérable de se contaminer et contaminer ainsi les siens mais il lui fallait bien continuer de travailler. S’il en réchappa il est vrai que les porteurs d’eau payèrent un lourd tribu à la maladie.
Un soir il expliqua à sa femme :
« - sais tu que dans la rue de Chaillot on y meurt pas pareil selon qu’on est d’un côté de la    
 rue ou de l’autre ? 41 morts à droite et 5 à gauche.
- pardi, lui répondit elle, ceux du côté du faubourg ne sont que de pauvres gens, les riches sont en face.
- rien du tout ! Un côté de la rue reçoit les eaux salles de la Seine et l’autre les eaux propres du canal de l’Ourcq.
Nous autres porteurs d’eau on le dit bien assez, l’eau c’est comme le vin, tout n’est pas bon à boire. Comment ferait-on sans nous ? » 
Selon la Préfecture de police tout venait de nouvelles mesures confiant à une entreprise l’entretien des rues. Elle priva les chiffonniers de Paris de leur gagne pain et le 1er avril 1832 la police dû intervenir pour réprimer l’émeute de ces pauvres diables traînant hotte, crochet et lanterne. Les prisonniers politiques saisirent l’occasion pour s’insurger dans les prisons insalubres. Des provocateurs opposés au gouvernement prirent en mains les agitations. Le Préfet de police croit en une tentative d’empoisonnement des eaux. Le gouvernement tremble. La famille royale s’émeut aux Tuileries et demande une enquête.
L’Eglise n’est pas en reste. Selon l’archevêque de Sens «  il ne faut pas chercher dans cette épreuve autre chose que la colère de Dieu après les évènements de la Révolution qui ont insulté et outragé le Saint Nom et profané et pillé les églises. »
Pour le milieu médical le Choléra est considéré comme « une matière volatile qui a son instinct, ses mœurs et ses habitudes résidant dans l’enveloppe aérienne et n’étant pas soumises à la pesanteur ». L’emploi d’insecticides éloignerait le Choléra.
Nous sommes à l’approche d’une notion de microbe, de virus…

Le milieu scientifique surenchérit comme de coutume. Pour se protéger du Choléra un environnement sain et aéré est recommandé. Des fumigations de chlore sont préconisées pour assainir l’atmosphère et l’on envisage de placer dans chaque réverbère parisien un récipient chargé de chlore pour purifier l’air de la capitale.

Dans la Gazette médicale Monsieur Tanchon déclare :
«  - j’ai calculé qu’environ 6 000 becs à gaz parisiens éloignés de 60 à 80 pas, dégageraient plus de chlore qu’il n’en faut pour saturer l’espace et couvrir 22 000 000 de pouces de surface.
On pourrait  augmenter la capacité de ce principe en demandant à chaque habitant d’adapter un système à chacune de ses fenêtres.
On pourrait aussi en agrémenter chaque lanterne des fiacres circulant à Paris » 
Louis Carrier rentrait chaque soir un peu plus inquiet et ne cachait pas sa préoccupation à sa femme :
«  - la peur de la contamination fait fuir les parisiens en province ce qui ne fait qu’accentuer le déplacement de la maladie, le commerce, les artisans, l’industrie, sont désorganisés. C’est notre ruine à nous les gagne petit »
L’épidémie passa mais son souvenir hanta l’esprit de notre porteur d’eau et pesa lourd dans sa décision de revenir au pays sur ses terres de Ladinhac
P.S. : il est rappelé que cet exposé repose sur des éléments tout à fait authentiques relevés aux Archives de la Police parisienne et à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. 
Pour en finir avec les porteurs d’eau :
Chaque jour les parisiens étaient obligés de tirer leur eau depuis la Seine. Et quelle eau ! On ne savait pas trop ce que l’on buvait. Lorsque Paris ne s’étendait que sur l’Ile de la Citée puiser de l’eau était une chose facile mais lorsque la ville s’agrandit il devint moins aisé de s’approvisionner dans les quartiers plus éloignés. C’est ainsi qu’apparurent les porteurs d’eau. Aucune corporation ne le régissait et le métier devint  « franc » .
C’est alors qu’il fallut le réglementer par une ordonnance de la Préfecture du police du 24 octobre 1829 dont quelques articles précisent :
-     Dans un soucis de service et d’utilité publique les porteurs d’eau en tonneaux tirés à bras ou à cheval devront faire procéder à un numérotage et un jaugeage des tous les tonneaux destinés au débit de l’eau dans Paris.
-          Afin de prévenir les accidents, les brancards des tonneaux ne pourront saillir en arrière et au-delà des roues de plus d’un pied
-          Les tonneaux devront mentionner sur leur fond leur capacité, leur numéro, le nom de leur propriétaire et son domicile
-          Les porteurs d’eau à tonneaux  les rempliront chaque soir avant de les rentrer et les tiendront remplis toute la nuit
-          Au premier avis d’un incendie les porteurs d’eau à tonneau y conduiront leurs tonneaux pleins sous peine d’être poursuivis (art. 475 du code pénal)
-          Indépendamment du prix de l’eau, il sera accordé une prime aux propriétaires des deux tonneaux qui arriveront les premiers au lieu de l’incendie
-          Les particuliers continueront de puiser aux fontaines publiques avant les porteurs d’eau à bretelle.
 La Préfecture de Police aurait-elle de l'humour ? Les opposants seraient poursuivis par l'administration mais les premiers arrivés le seraient aussi par les suivants ...