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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

Désespoir maternel et intransigeance administrative, une histoire d'abandon

 

 

Cette histoire n’est sans doute pas un cas exceptionnel pour son époque mais je voudrais faire connaître combien s'est battue mon aïeule Marie Antoinette Clotilde PRUGNAUD, pour élever ses 3 enfants et son échec, plutôt qu'abandon de son dernier né Georges Léon.

Certes, c’est une façon de lui rendre hommage mais c’est aussi l’illustration douloureuse d’une époque où la misère sociale était terrible, particulièrement en ville où (presque) rien n'était fait pour les miséreux, accentuée par de sévères principes moraux et religieux.

Marie-Antoinette n'était pas indigente, couturière-pantalonnière, elle travaillait mais ses revenus étaient bien insuffisants pour nourrir toute une famille ! Et double peine pour les mères célibataires (ce que Marie Antoinette n'a subi que parce que son compagnon l'avait abandonnée !), car les jugements étaient redoutables, définitifs comme la guillotine du temps (vous le verrez avec celui du 2e "enquêteur" de l'Assistance).  

On trouvera ici quelques-unes des lettres absolument déchirantes de Marie Antoinette qui explique -encore une fois- sa situation qui ne fait que s'aggraver (les lettres les plus intimes et poignantes ne pouvant être reproduites) et également des reprises de courriers administratifs dans leur froideur d’apparence, atténuée toutefois par les observations de l’enquêteur, quand il avait assez de cœur et d'humanité...

C’est aussi un appel à tous les généalogistes amateurs : ne vous contentez pas de remplir les cases d’un arbre pré-imprimé, derrière tous vos ancêtres il y a une histoire et celle-ci vaut tout autant à transmettre que nos constructions arborisées. Soyez-en curieux et assurez votre devoir de transmission…  

On retrouve la trame généalogique et les acteurs sur mon site Geneanet, à partir de cette page : http://gw.geneanet.org/climpens?lang=fr;pz=christian;nz=limpens;ocz=0;p=marie+antoinette+clotilde;n=prugnaud+prugneaud

Christian Limpens
kerizan56@hotmail.fr  

"Administration générale de l'Assistance publique à Paris
Service des enfants assistés
Enfants secourus.
Enquête n°6
Demande du 5 juin 1879 - Paris 20e  

Nom et prénoms de la mère : PRUGNAUD, Marie Antoinette (25 ans).
Nom et prénoms de l'enfant : PRUGNAUD, Georges Léon. Né le 11 juin 1878.
Domicile lors de l'accouchement : 4 rue de Terre Neuve, 20e.
Sage-femme à ses frais (10 francs).
L'enfant a-t-il été reconnu : oui, par la mère.
La mère le nourrit-elle : oui, au sein.
Que demande-t-elle : Secours.
La mère a-t-elle d'autres enfants : Oui, deux (Armandine : 5 ans et Augustine : 2 ans et demi). 
Sont-ils du même père : Dit oui. 
Si la mère a été mariée, qu'est devenu le mari : Célibataire, vit seule (se dit abandonnée depuis 18 mois).
Gain et profession de la mère : Pantalonnière (1,50 francs - 12 francs par mois). 
L'abandon est-il à craindre : Oui, toujours sans aide (misère).
La mère a-t-elle été soutenue par l'administration : Oui, derniers secours, 15 francs par mois.
Renseignements complémentaires :
"Je rencontre une des plus grandes misères que j'ai vues dans le quartier de Charonne.
Une femme, trois petits enfants couchés sur de la paille avec quelques haillons pour couverture.
Pas l'ombre de quelque mobilier, pas de vêtements.
La mère peut gagner 1,50 francs.
J'estime qu'il y a lieu de continuer les secours.

N. Garnier"  

Visitée le 3 janvier 1879, le même enquêteur avait écrit :
"La déclarante est toujours dans une position des plus misérables avec ses trois enfants couverts de haillons.
Son travail qui lui rapporte 1,50 francs est bien insuffisant pour élever cette petite famille dont elle a vraiment soin.
Pour prévenir un abandon, il y a lieu de continuer les secours.
Vu sa position, une allocation de 20 francs pendant trois mois."
 

Mais le 11 septembre 1879, visitée par un autre enquêteur, M. Escallier : ...

Renseignements complémentaires :
"La fille Prugnaud n'habite plus la rue des Haies, n°2, où elle vivait maritalement avec un nommé BISSY Arthur.
Ils sont partis sans laisser leur nouvelle adresse.
Ménage irrégulier.
Escallier." 

Décision :
"Secours ajourné."  

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ABANDON DE L'ENFANT :  

"Préfecture de police - 1re section
Bulletin de renseignements sur l'enfant abandonné :  

1°) Nom et prénoms : PRUGNAUD Georges Léon
2°) Lieu et date de naissance : Paris, le 11 juin 1878...
...12°) Circonstances détaillées de l'abandon de l'enfant :
"La dame Prugnaud est mère de 3 enfants dont l'aînée à 7 ans.
Elle ne peut exercer sa profession de modiste, étant obligée d'avoir soin de ses enfants pendant le jour.
Le matin, quand ils dorment, elle va ramasser des chiffons, mais elle gagne à peine à ce métier (0,75 francs par jour).
Elle se voit obligée de faire l'abandon du plus jeune enfant."
...
17°) Quels sont ses ressources, son gain habituel et ses charges ?
"Aucune ressource que son travail.
Lorsqu'elle a de l'ouvrage, elle peut gagner 3,50 francs par jour.
A trois enfants à sa charge."
18°) A-t-elle encore ses père et mère ? : Non
19°) En cas de décès, nom, date et lieu : Père : Prugnaud, André Joseph, décédé à Paris 12e le 13 octobre 1877.
Mère : Chalain, Eugénie Pauline, décédée à Paris 11e le 4 mars 1871.
...
21°) A-t-elle abandonné des enfants auparavant : Non.
...
24°) Les secours lui ont-ils été refusés : Oui.
25°) Lui a-t-on dit que l'admission de son enfant à l'Hospice des Enfants-Assistés ne constituait pas un placement temporaire, mais bien un abandon et que les conséquences de cet abandon étaient les suivantes :
- ignorance absolue des lieux où l'enfant sera mis en nourrice ou placé,
- absence de toute communication même indirecte avec l'enfant,
- nouvelles de l'enfant données tous les 3 mois seulement et ne répondant qu'à la question de l'existence ou du décès ?
Réponse (écrit en plus gros) : Oui.
...
Au dessous des signatures du Commissaire de police, du directeur de l'Hospice des enfants assistés, et de Marie Antoinette, ce commentaire :
"L'enfant a été secouru pendant plusieurs mois et la mère, ne voulant pas solliciter de nouveaux secours, en fait abandon."  


Pour finir, une copie de 2 lettres adressées par la mère en détresse, à l'Assistance.

La première du 21 mars 1879 :
"Monsieur le Directeur,
Je me recommande à votre grande bonté.
Voici 15 jours que je suis retenue au lit par une fluxion de poitrine.
Je suis sans ressource car il faut que je déménage au 8 avril et ne travaillant pas.
Je ne sais pas où je pourrais trouver ce qu'il me faut pour me nourrir, moi et mes enfants.
Recevez, Monsieur, le respect de votre très humble servante.
A. Prugnaud"  

La seconde du 30 juillet 1879
Monsieur le Directeur,
Je vous écris pour la cinquième fois, espérant que vous me répondrez cette fois.
Si vous voyiez, Monsieur, ma misère, certes pour mes enfants vous auriez pitié de moi.
Voici 5 nuits que mes enfants et moi, nous couchons sur un carré.
Mes deux derniers y ont attrapé une bronchite.
Monsieur, je vous en prie, si vous ne voulez pas me venir en aide, je vous demande de grâce, placez-moi mes enfants car c'est triste pour une mère de voir ses enfants manquer de tout après s'être sacrifiée pour les élever jusque là.
Recevez les respects de votre très humble servante.
A. Prugnaud."