Document sans titre

CANTAL-LIENS

 

- reproduction textes et photos soumis à l'accord de Cantal-Liens-

 

association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

Carnets du Docteur Eugène Cottard du 5 septembre au 5 novembre 1914

 

transcription de Françoise et Jean

1914
105° inf. Territoriale 3° bat. 9° Cie.

Mobilisé le 5° jour

Départ d’Annecy 5 heures pour Grenoble, avec tout un train de territoriaux de Hte Savoie. Je reste debout dans le couloir tellement c’est bondé. Après Aix des italiens rapatriés me cèdent une place.
Impossible d’avoir quoique ce soit au buffet qui est assiégé par mille personnes.
Chambéry, une heure d’arrêt où les trains allant sur le front passent ( ??Lyon artillerie)  Des dames de la Croix Rouge vont 3 à 4 porter un joli carton blanc des raisins elles en ont bien 40 chacune, c’est enlevé en une seconde à peine un wagon en a eu, et elles s’en vont dans leur beau costume pour ne plus revenir.
Grenoble 1 heure du matin on me montre la salle des bagages plein de paille et d’hommes qui dorment ; je repère l’hôtel mais tout est pris. Enfin à l’hôtel du Touring Club je trouve un lit.
6 heure Grenoble = pérégrinations  multiples dans le désarroi de tous ce bureaux , l’un veut me renvoyer dans mon foyer, classe 93, l’autre m’expédie au 105°  11° compagnie. J’y séjourne deux jours à attendre qu’on veuille m’habiller, il n’y a plus d’effets à ma taille ni à celle de bien d’autres. Une fois habillé il faut me déshabiller et aller à la 9° compagnie, petit état major où on doit me rhabiller ; c’est long et difficile.
Je me fais faire une vareuse et pantalon chez Moreteau et un bonnet de police. Une pèlerine chez Dagnan, j’ai mon sabre fantaisie et mon képi . Le régiment fourni le reste notamment une cantine N° 24.
Je traîne 8 jours à Grenoble ; rien à faire sauf à 7 heures du matin la visite où des quantités d’hommes se présentent pour se faire envoyer à la réforme ou au dépôt. Il y a bien des  éclopés, mais que de froussards.
J’ai une crise de paludisme , une angine. Je fais venir Alice d’Annecy. Elle se remue en vain pour me faire passer+ au régiment d’Annecy.
16 = Départ pour Leyssens à pied. Couché chez un conseiller à la cour de » Grenoble (martiniquais).
17 = En route pour St Nizier (1.200 mètres d’altitude) . Bonne route de 12 Km. Logé dans l’auberge des Moucherottes , chez Revollet. Je mange avec le Lt Reynaud, Lt Bigarre, Ct Cubagne et Lt du Jeune.
Cuisine excellente, bon air.
Je fais venir Alice et mes enfants.
Grandes difficultés pour loger  et nourrir ma famille qu’on refuse chez Revollet. Ils dînent à l’ordinaire pendant 2 jours puis tout s’arrange, le ravitaillement se fait par Grenoble et on trouve sur place pas mal de choses.
Ct Cubagne pour une note pour savoir si j’ai des aptitudes chirurgicales, et je réponds mais le commandant arrête la lettre , voulant me garder.
15 j’apprends que je serai peut être nommé chef dans hôpital des blessés à Claix, dans un hôtel.
16. Départ subit à 1 heure du matin pour Leyssens où on a pourri la journée. Alice profite de l’auto de Cartier-Million. Je vais quelques heures à Grenoble acheter un sac tyrolien, touche argent, comptons, garde ma part et remets à Alice le reste.
Départ  pour Grenoble à 7 h. soir. Embarquons  à 11 h . . Nous avons tout un wagon de première classe. Nous y restons 48 h. jusqu’à Vitry-le-François, dormant très bien., il fait froid  la nuit, il pleut, mangeant des vagues provisions , achetées aux buffets quand on a le temps.

Départ pour Vitry-le-Brûlé. Logé chez l’habitant, une chambre pour moi et l’adjudant Mougin ; il y a des draps, on n’est pas trop mal. Je mange avec le petit état major (Commandant Brunon, Cap. Gourin, Major Satre, Lieutenant Cruber et moi) dans un ancien café . Les allemands ont pillé, cassé,brûlé, tué tout ce qu’ils ont pu, brûlé des maisons.. L’église a été respectée mais une usine  à côté avec logement de maître a été mise à sac. Rien n’est intact.
Une vieille femme est agonisante. Elle aurait dit avoir été violée et brutalisée par les prussiens.
Le long de la rivière on trouve canards et lapins échappés , lâchés par leurs propriétaires voyant arriver les prussiens.
Visite de prisonniers : ils sont une dizaine dans une grange, l’un d’eux sert d’interprète et se dit alsacien (bien entendu). Ils sont peu intéressants, leur âge varie de 18 à 35 ans.
Les courroies de ma cantine ont cédé ; je cherche un bourrelier, mais le seul de l’endroit a été pillé, quand j’arrive et vient lui aussi de revenir à sa maison, ayant fui devant les prussiens. Il est atterré, hébété devant le fouillis inextricable dans sa boutique. Mais il est assiégé par des soldats qui veulent tous quelque chose. Enfin il se ressaisi un peu, essaye de servir le public militaire qui d’ailleurs se sert tout seul, chacun remuant du pied le fouillis et en tirant ce qui lui convient. On me raccommode ma cantine ; le support du sabre du ceinturon est coupé, on me le change. Enfin j’achète de la toile de bâche marron légèrement imperméable , qui va me servir à entourer la couverture mise sur la cantine  et un autre morceau servira  à me faire un sac tyrolien pour remplacer le mien peu solide comme le modèle de celui du capitaine Gaurin..
Nous mangeons avec le commandant  dans le réduit d’une auberge d’où nous voyons la patronne assiégée par les soldats toute la journée pour avoir du vin ou de l’alcool. ; c’est inouï  ce qu’il s’en boit. Je couche avec l’adjudant  Mougin dans un lit , maison après le pont, contre la rivière.
L’infirmerie est dans la maison d’école où tout est sans dessus dessous , tous les livres de classes, cahiers d’écoliers, tableaux, images etc.. est pêle-mêle  par terre en partie déchiré. Quel fouillis . Il faut 3 hommes pendant plusieurs heures pour déblayer un peu.

Dimanche 20 septembre

Départ de Vitry-le-Brûlé à 6h. noté temps gris , vent frais, pour La Chaussée à 12 Km où va seul le 3ème bataillon ; les autres bataillons battent des secteurs voisins. On suit la route de Châlons puis bientôt des Cies se déplacent à droite et à gauche avec 4 m.entre chaque homme pour fouiller le terrain.
Que de débris sur cette route et dans les champs voisins , une roue ici, l’autre semblable à 100 mètres  plus loin, puis une autre roue, enfin à 300 mètre le corps de la voiture , et les brancards sont encore à 100 mètres plus loin. Un aéroplane calcine à 200 mètres de la route. . Une tête de cochon tournée vers la route. Une auto Decauville en plein champs, orientée vers le nord, toute calcinée, guidon et  toutes tordues.
Les fossés sont pleins de bouteilles vides de toutes marques. Il pleut tout le temps. Suis trop chargé et mets mon sac sur le dos du cheval du Dr Satre.
La Chaussée. A l’entrée est un moulin complètement détruit par l’incendie. Après est un beau parc avec pièce d’eau et jolie villa entourée de bosquets. C’est la maison d’un confrère Dr Joly ayant dit-on une situation scientifique important à Paris. Sa maison a été pillée et mise dans un désordre indescriptible. C’est là où sera la popote des officiers et comme je suis chef de popote je dois tout organiser. Je trouve à acheter un canard  2fr, il y a encore quelques pommes sur les arbres du parc.Nous sommes les premiers à entrer dans la maison ; il y a  les matelas cote à cote dans la salle a manger, les meubles du salon sont pêle-mêle , recouverts de mille détritus de toutes sortes, la bibliothèque a les  livres épars  et une collection de famille a les vitrines brisées, les tiroirs vidés par terre et dans le jardin, des coquillages  y sont écrasés  à coups de talons  de bottes probablement. J’en prends quelques uns.La cuisine est pleine de vaisselle sale, de plats, bouteilles verres, encore à demi pleine d’aliments moisis.
Chambre à coucher et armoire malle sont forcées mais il y a encore les meubles. Vient le domestique qui ,avait fui aussi. Il est stupéfait du désordre et du vol et sous prétexte d’arranger se met en demeure avec sa femme d’emporter chez lui ce que les prussiens n’ont pas pris.
Je découvre dans un bosquet retiré une dizaine de bouteilles de vin bouchées, exquis, oublié là par les allemands ou peut être mis de coté par le domestique qui, nous voyant prendre les bouteilles m’interpelle.
Logé chez Lebon, rue du port.
On arrête un homme du pays qui, pauvre avant la guerre se trouve riche maintenant avec plusieurs vaches et chevaux à l’écurie. Il aurait monté dans une auto allemande, servi d’agent indicateur aux allemands qui lui laisse un papier laissez-passer en raison de ses très bons services.
 Nous fouillons la maison et trouvons pas mal de chevaux, selles, sacs, cartes, armes etc… Tous les habitants qui sont restés ou revenus avant nous sont probablement des maraudeurs, finissant le pillage commencé par les allemands, continué par les français qui ont suivi.
Impossible de trouver une cuillère, une fourchette dans aucune maison. L’huile, la margarine, le beurre, la graisse n’existe plus nulle part. On trouve un morceau de lard qu’un paysan avait caché en l’enterrant.  
21 Lundi : lever 4h ½ à 5 h. Suis au poste de police avec cantine prêt à charger sur voiture. Il y a un désordre indescriptible, tout le monde veut mettre son sac à la voiture qui est bientôt chargée à craquer. Voici 4 hommes malades qui réclament d’être transportés en voiture, on en réquisitionne un et voilà ces 4 h en route avec de nouveaux  pas mal cas (bronchite avec 39°, angine avec  40,  orchite avec 38 ,7, tuberculose pulmonaire avec 38,2)
En route pour Francheville ( à 6 Km) après 2 Km la voiture des malades trop chargée casse ; heureusement  un peu plus loin est une voiture abandonnée, renversée avec une roue qui ne tourne plus. On l’arrange et l’utilise à la place de la première.
On suit la route de Chalons puis on prend une petite route à gauche à 1Km qui est très défoncée, trop étroite pour ce qui y a passé, aussi à droite et à gauche sur plusieurs m. , le terrain des champs est transformé en route. Partout des bivouacs sont dans les petits bois.
Que de bouteilles vides sur les routes.
A droite, à gauche des tumulus.
Deux autos dans les champs, tournées vers le sud, plusieurs cadavres de chevaux sentant mauvais. Voici une carrière de craie avec des quantités de tas de craie de bloc tout préparés. Les bâtiments sont intacte ; ils étaient dit-on la propriété d’un allemand. Le canon tonne en rafales depuis une heure.
Francheville : arrivé à 7 h. ; j’attends deux heures sur un tas de pierres à coté d’un commandant du service d’approvisionnements qui lui est ici depuis huit jours. C’est bien long à avoir une chambre désignée par le maire. Enfin voilà,chez un ouvrier une pièce au rez-de-chaussée tout y est moisi, le dallage est humide, les fenêtre et volets fermes (n’ont pas été ouvert depuis le passage des prussiens. Il y a des monceaux de choses cassées et un tas de linge de toutes sortes, un lit avec matelas de plume et deux draps très sales, le lit est tout défait, tel que l’a laissé le dernier occupant allemand. Je retourne les draps et me résigne.
Mais voici qu’on m’a trouvé une très bonne chambre chez la meunière où est logé le commandant et le Dr Cabre et où est notre popote. Chambre aérée, draps propres, électricité, pot à eau et cuvette. On ne dirait jamais que les allemands ont passés là. La femme est bavarde, l’homme grand blond devrait être soldat, il est taciturne. Sur la porte les prussiens avaient écrit :braves gens à ménager. Ils nous paraissent très suspects quand tout le monde a été pillé.
Je vois les armoires pleines de linge blanc et propre. On y a des provisions, des vaches, chevaux, lapins. Elle me vend du savon
 22 :je fais laver mon linge mais il pleut tout le jour ; impossible de faire sécher la chemise et le mouchoir.
Il y a une machine à coudre que j’utilise pour piquer des poches et de sacs à vivres ou a bibelots mais surtout pour piquer mon sac tyrolien. Et la journée et une partie de la nuit n’ suffisent pas.
Le canon tonne toute la nuit jusqu’à 5 h . du matin puis tout s’est tu. ;Ce sont les français qui bombardaient un fort de occupé par les allemands.
Le soir le canon tonne en avant et à gauche.
23 : en route pour Marson .
Village tout détruit à 2/3 brûlé ; l’église est tout démolie et 2/ 3 brûlée, les maisons ont les traces des  des obus. 1 obus de 75 entré d’un mur par petit trou, éclate à l’intérieur, démoli la cheminée, le plafond, le plancher et va tout ravager dans la cave.
Une vieille me raconte avoir assisté à la fuite éperdue des allemands  filant ventre à terre.
Loge dans la partie où tout est démoli, n’ai qu’un sommier comme lit. Dans le jardin il y a deux draps sales et mouillés où ont couché les allemands ; j’en prends un et le découpe pour en faire un sac à puce après l’avoir fait laver par mon ordonnance. J’ai la diarrhée , ça dure deux jours et passe. A 2 Km  parc d’aérostation , 30 appareils, 50 voitures, (un aéro allemand tombé) . On entend le canon toute la journée puis toute la nuit.
25 - Courtisols ; 8 Km de Marson, route dans des forêts de pins où les allemands ont campé. Le clairières sont pleines de paille, bouteilles vides, débris de dîner, ensuite au milieu d’un bois, des chevaux morts, quelques tumulus de soldats morts et enterrés, Air frais mais beau temps.
Courtisols a été épargné, le maire a fui le 1er avec le curé. C’est l’adjoint qui étant resté a protégé la ville en prélevant une contribution de guerre de 25.000 qu’il a remis aux allemands. Ceux-ci n’ont pillé que les maison abandonnées et encore ils ont payé leurs consommations. Sur une maison habitée par une femme et trois petits enfants ils écrivent «  à épargner » et en effet on ne leur a rien pris. Sur une autre « déjà tout pillé » et pourtant rien n’a été pris, personne n’est entré.
Je loge chez le maire, des draps frais et propres, qu’elle bonne nuit je vais passer ! Mais pour aller me coucher il faut croiser un parc d’artillerie (pièces +- démolie en Belgique et n’ayant  plus de chevaux) . je suis arrêté mené aux postes et enfin accompagné à mon gîte. Bonne nuit mais dés 11h. du soir les vitres tremblent tellement le canon tonne fort. Il y a un vacarme ininterrompu . Il est 5h. ça continue avec fureur. Depuis une hauteur à 8 Km en avant on voit la fumée des canons. Des aéroplanes français ( biplans) survolent notre campement ( un parc de 25 aéros est tout près d’ici) Ils volent bien. Mais voici une fusillade retenti derrière nous à gauche vers Chalons : c’est un aéro allemand salué par une salve sans l’atteindre, il lâche une bombe qui ne fait pas grand mal me dit-on ensuite. Je vois dix autobus transformés en voiture à viande qui tournent. et partent dans la direction de Chalons.
Un convoi d’artillerie  surtout munitions suit ; les chevaux ont l’air éreintés et maigre, les hommes sont tous sales, ils vont au feu. Notre pain non arrivé hier n’est pas arrivé aujourd’hui a été requis pour le front. Nous ici on se serre le ventre, la viande est abondante.
La canonnade ne cesse pas, on parle d’une très grande bataille livrée en Argonne et devant nous à 30 Km (75 Rimaillo). Ce sont des roulement continus, à 8 h du soir ça tonne encore. On dit que 2 tranchées en béton et ciment ont été prises, il y a 2000 morts allemands. Un corps d’artillerie embourbé aurait été massacré par les nôtres qui tirent à 500 m., à la fin les canons sont restés à nos mains ? ?
C’est ici l’abattoir. On vient de tuer 100 bêtes, le sang coule à flots. Des morceaux de peaux sont pliés en tas dans un coin. Dix autobus stationnent le soir sur la route et sont remplis de 1500 kg chacun de viande  pour partir le matin entre 6 et 7 . Il y a une poussière et une boue inouïe sur la voiture et les hommes dont les uniformes ne sont plus de couleur nette.
Derrière sur la route, voici toute une série de pièces de 75 avec caissons qui vont au feu ; les pauvre chevaux paraissant étiques, éreintés, beaucoup ont des plaies ou on se rend compte qu’ils doivent tirer jusqu’à la mort.
Plus loin enfin dans les  prés on vient chercher les pièces d’artillerie, (peut être 200), avec caissons qui faute de chevaux stationnent là, les unes en bon état d’autres pas mal démolies, des éclats d’obus ont perforé les grosses tôles qui supportent les canons , ont enlevé des copeaux  au  canon le menu, le chapeau de la culasse au dessus d’un canon est arraché, on voit le pou de vill. Des plaques protectrices sont criblées de trous, l’un a un gros trou au milieu, le moyeu d’une roue partie qui donne en dehors a été fendu en deux comme une goupille et écarté.
Dimanche 27 sept 1914 Courtisols.
Départ 7 h. Dés 6 h hier soir les cantines étaient chargées sur les voiture, en cas d’alerte de nuit ( avis di colonel à être prêt à partir d’un moment à l’autre. On part pour la Croix en Champagne (16 k). Apres 1 k on reçoit d’un cycliste ordre du colonel de ne pas aller plus avant. Retour à Courtisols.
10 h. matin=  sur la route de Chalons à Ste Menehould viennent pour aller vers le front, cuirassiers, chasseurs à cheval, il en défile pendant 1 h.
Des aéros biplans évoluent dans le ciel (4) venant probablement du parc voisin d’ici.
2 h. on entend toujours le canon qui fait rage mais par intervalle sont plus gros mais plus espacés.
5 h. ; les cuirassiers et chasseurs repassent  on n‘a pas eu besoin d’eux ; derrière défilent 800 prisonniers allemands, reste d’un régiment.
6 h ; On me rapporte de Chalons (où le sergent Labonnardière est allé) du sucre, huile, saindoux, papier à lettres ,thé,  gants , chocolat, sardines, cartes postales ) pour  moi      la popote  du petit état major, dont j’ai à m’occuper.

Lundi 28 sept 1914

 Courtisols . = départ 7 h route de Ste Menehould pour aboutir à Bussy St Rémy, brume, un moulin à vent à g. (cf Valmy qui est pris) la route est très bonne malgré ce qui a dû passer ; il est vrai que les allemands  sont passés à travers champs, fuyant vers le nord du reste  on voit les traces. 4 k Camp d’aviation 2eme Oholo F 4.1/8  que de voitures sur la route , une forge      Une mitrailleuse pour aéro est  en couvercle de voiture ; Plus loin un parc du train  nous faisons la 2ème  halte. Quelle canonnade en roulement continu du reste au nord et au nord-est. Que de débris sur les côtés de la route , chevaux morts, 1 vache morte, débris de harnachements, capote de prussien  et des bouteilles et  boites de conserves vides. 
Tillois-Bellay . 9 h on croise le 17 du train et des artilleurs campés (18. 57. 23. 9.) embranchement vers St Rémy (5 k).Tous les arbres ici longeant la route sont coupés et les talus sont couverts de tumulus , à côté un sac de français .Tout le long débris d’équipement ( gamelles, courroies, fusils cassés etc..) dans la  après 3 k dans un champs en creux des trous (d’obus) tous les 2 mètres en quinconce. + loin des tranchées en ½ cercle (regardant le sud est ( probablement d’allemands) - 4 k en vue de St Rémy le canon tonne toujours en roulade. Sur un front très étendu on voit la fumée qui s’élève au dessus des batteries, le bruit est plus fort. Beau soleil au frais.-10 h ½ arrêt à 1 k pour attendre de faire les cantonnements. Je dors sur une toile 1/2 h.
11h Bussy St Rémy.  Logé chez de braves paysans qui après avoir fui étaient revenus jeudi, mais samedi les nôtres reculant de 3 Km ; l’ambulance qui était installée ici attelé aux voitures était prête à filer, on dit aux gars de refaire leurs paquets puis les allemands reculent de 8 Km et ils restent . Là où est la popote, maison comme il faut sur la route, quel désordre, quel fouillis, c’est inimaginable , tout est pèle mêle par terre, tiroirs vidés et laissés là. Dans la chambre à côté de la salle à manger il y a le matelas à terre, des bouteilles de champagne vides et des verres à champagne , d’autres où il y a eu du café, il reste beaucoup de sucre, les vases sont pleins et cassent !! Les WC sont remplacés par des oreillers !!
Les autres pièces, la cuisine surtout, sont dans un fouillis indescriptible , c’est tellement bouleversé ici comme ailleurs qu’on se demande si les allemands sont les seuls à avoir fouillé là, les français qui  venaient , puis les écumeurs du champs de bataille ont probablement plus fait que les allemands. Tous ces gens qui suivent les armées sont  quelques uns de pauvres émigrés regagnant leur gîte abandonné mais beaucoup sont des bandits.
29 septembre 1914 Mardi 
 La nuit une canonnade terrible avec comme le bruit de la fusillade se rapprochant, des hommes se lèvent, le commandant est inquiet de n’avoir pas fait charger les cantines le soir ; un marchand de  vin qui devait aller acheter du vin à Chalons se ravise ne voulant en apporter peut être pour les allemands.
Le matin un prisonnier allemand est amené, il a été  blessé cette nuit  dans une contre attaque des français répondant à une attaque de nuit des allemands. Il a une fracture des 2 os avant bras droit, c’est un prussien ouvrier des environs de Cologne. Il était mêlé à d’autres corps, il semble que divers unités étaient pèle mêle et chargeaient ensemble. Tous ceux qui sont de nuit ont un brassard blanc qu’ils mettent la nuit. L’un d’eux rencontre des infirmiers français qui relèvent des blessés, se joint à eux, les aide, se faisant passer pour infirmier et est ramené dans nos lignes où il est prisonnier.
Dans l’attaque allemande de nuit 2 français sont pris par 3 allemands dans une grange. Une contre attaque française reprend le terrain, tous les 5 se cachent dans le foin, 2 allemands viennent s’y terrer encore , les français passent en avant et alors les allemands disent aux français  eh bien maintenant c’est nous qui sommes vos prisonniers, conduisez nous au poste, ce qui fut fait.
En reconnaissance on va jusqu’à Suippes où est l’État Major du 17ème corps ( ceux qui ont reculé dans un désordre fou en Belgique, ils ont été surpris en colonne par 4 chantant la Marseillaise, on a fait une hécatombe) ils n’ont pu se ressaisir depuis lors. Corps mal côté non seulement par les militaires mais par la population civile, qui les craint + que les allemands. Ils pillent tout . Le capitaine Gourin qui va voir l’Etat Major le trouve superbement installé, lumière électrique (fabriquée sur place ) deux machines à écrire, des autos, des tentes, ils ont à profusion vin, cognac . Le capitaine est reçu sur un ton arrogant , très haut  par tous les officiers qui ont l’air de sauteurs. Le ss chef d’État Major, lui dit «  allez dire à votre maître que votre place serait ailleurs, nous avons 3000 cadavres à enfouir et c’est votre besogne ».
30 : visite du médecin 4 galons, (infanterie coloniale) qui dirige un hôpital de campagne pour contagieux, il a 250 malades, il y a 12 médecins et 30 infirmiers, quantité de voitures. Il prétend être trop près de la ligne de feu, toujours sur le qui vive, devant peut être d’une minute à l’autre emporter les malades plus en arrière, les malades ne dorment pas, avec cette canonnade ininterrompue.
31 : départ pour patrouiller ; relever des étuis de 75 (on en a découvert 3000 non loin) et des équipements. Les hommes font 1 Km puis retour, contre ordre, il faut partir définitivement.
Mardi 31 septembre 1914 -  Départ pour Louvain Suippes 8 heures du matin. On passe dans des routes toutes défoncées pleines de boue sèche,  d’ornières énormes, des routes mouillées sont faites   on imagine tout ce qui est passé là, dans la boue, chevaux, camions, hommes. On traverse un pays légèrement vallonné, toujours cette route crayeuse qui colle aux pieds, c’est très difficile de marcher.
Que de sacs, vides bien entendu, sans courroie, sont démolis, de fusils brisés, des cartouches, des objets divers, tout le long de la route et dans les bois de pin, et pourtant pas de tombes, sauf par endroit probablement un tumulus pour cheval.
Des aéroplanes biplans voici le 3ème venant de l’avant, évoluant vers nous, allant à l’arrière et revenant. En voici un qui a coupé l’allumage et descend brusquement, fait 2 à 3 virages, on dirait le looping puis va atterrir à 500 m. dans un champ tout contre un détachement de cavalerie à notre droite. Dix minutes après nous sommes à 200 mètres de lui, il se lève et repart vers l’avant. En voilà d’autres dont le ronflement des moteurs est continu.
11 heures : la canonnade s’entend toujours par intervalle toutes les minutes, on voit très net la fumée blanche du coup qui part, les batteries sont derrière un petit mamelon à 6 K de nous peut être. Ce sont des gros canons.
Nous devons être maintenant rattachés au 1er corps et avons devant nous (non le17°) un des  Je rencontre des restes du 157° corps . Voici les voitures du 19°  qui reviennent. 
11 ¼   Nous voilà près du village où nous cantonnerons. Halte. Voici une voie ferrée, un train qui marche avec 11 et 12° je vais à Laval avec Lambinet, Cazau et Sayeta, nous faisons partie du 33  sous les ordres du commandant Guy. Nos cantines suivront quand les voitures seront déchargées.
En route pour Laval,( 7 Km.) ; Après  1 Km , pause, on mange, je me mets avec les ss-off de la 12ème , mon café chaud est très apprécié, on continue dans une route en fondrière, il n’y a que de la boue et pas de pierres ( c’est la marne) à droite et à gauche il y a une autre .
1er  octobre jeudi : nous avons couché à Laval , moi à l’infirmerie, maison abandonnée, de 2 pièces celle derrière à un lit avec une paillasse et un édredon. Dans mon sac à puces je me suis mis déshabillé et ait bien dormi, le canon ne s’est pas fait entendre, mais un roulement de voitures continuel. C’est la nuit qu’on fait le rechange et le ravitaillement.
Ici sont les hommes qui viennent du front ( 1ère  ligne) pour céder la place à d’autre reposés . Certains sont loin le jour et rentrent tous les soirs pour se mettre à l’abri pour dormir, nous craignons être peut-être  délogés seulement par de plus galonnés que nous arrivant du front. Je vois un soldat d’infanterie qui, dans la retraite de F samedi n’a pas été averti à temps et voyant les allemands tout près, est resté dans sa tranchée caché sous la paille. Le allemands ont marché sur lui, d’autres y on séjourné 4 heures sans se douter de la présence du Fr, qui est resté ainsi un jour et une nuit, puis les français ont repris les tranchées et entendant parler français , il s’est montré. Samedi les nôtres se sont laissés surprendre       ( sentinelle, petite, pertes, endormis) si bien que les allemands ont pu contourner les tranchées françaises et tirer les nôtres dans le dos avant qu’ils aient pu se mettre en garde, les morts sont trouvés sans leur fourniment, beaucoup avaient quitté leurs souliers pour dormir.
En face il y a le 12,17,21ème  corps formant l’armée qui a l’ordre de ne pas avancer mais de tenir pendant que les autres essayent le mouvement enveloppant pour faire reculer les  allemands vers Verdun.
9 heures matin : depuis 2 h. je vois défiler des artilleurs, 75 et 155 court long (17ème , 57ème ) (2ème art. lourde Versailles) qui reviennent du feu se reposer, ayant cédé la place à ceux qui ont  grimpé la côte avant notre cantonnement cette nuit.
Sommes ici sous les ordres du Cdt Guy qui dit n’avoir pas besoin de nous , il a déjà refusé des territoriaux artilleurs, aussi a-t-il renvoyé la 11° compagnie et ce matin on nous renvoie , départ à 11 heures pour Sommes Tourbes . Puis contre ordre,  nous restons.
Laval :  2 octobre . Nous voilà installés tant bien que mal  les sous-off sur une route de Laval à Wargemoulin, maison ad au début de la côte( ancienne cure, car c’est plein de tableaux et livres de piété : c’est dans un désordre inouï , pillé par les allemands puis les français puis occupé par divers régiments  à tour de rôle . On nettoie et y a 4 lits , sans draps ni couverture, 2 cuisines.

Nouvelle adresse = De Langle de Corg>. Bureau Central militaire Bordeaux

Aliments du soldat en campagne : pain 750  viande 500         =100           =20      
       =32        =24  vin=250cc alcool= 6 centilitres, bougie, allumettes, savon, tabac

L’infirmier et moi logeons plus bas à 100 mètres, 2pièces que devait habiter le serrurier ou forgeron du village car à côté est la forge dont il reste l’enclume, des tiroirs de clous, visse, épars des tarauds semés dans la paille dont où ont couché déjà Dieu sait combien d’hommes. Derrière est le reste d’un jardin où est une vieille table, un fourneau, une marmite et divers ustensiles et vaisselle déposés dans l’herbe. A 200 m + loin derrière des bosquets, la Tourbe, boueuse et où pas mal d’hommes et aussi de chevaux morts croupissent. Entre la maison et la rivière coin un peu à l’écart, il y a tous les pas des matières fécales par milliers, on ne sait où marcher. C’est infecte.
Laval 3 octobre. Samedi. Nous n’avons dormi que d’un œil, une attaque allemande étant attendue pour la nuit et en cas de recul des Fr il faudrait être sur pied, sac au dos, en 10 minutes pour la retraite. Mais notre Cdt n’a ni voiture ni cheval, comment emmener cantine et provisions ? Nos hommes ont remmené trois chevaux errants ( 2Fr et 1A), l’un d’eux  meurt dans l’écurie peu après  l’arrivée, l’allemand est tellement boiteux qu’on n’en pourra rien faire, l’autre est sec comme un clou et a les babines en sang. Je le désinfecte à l a teinture d’iode , régularise ses plaies et peut-être fera-t-il l’affaire. D’autres hommes cherchent une voiture mais tout a été réquisitionné, enfin on trouve la voiture des pompiers( qui devait porter de tuyaux), on l’emporte, un volet comble le vide du milieu. Des harnais, un collier, un ailette, sont dénichés à d. et à g.  et le cordonnier travaille à rajuster tout cet attirail disparate, deux grandes courroies de sac font les guides.  Et nous voilà prêt.
La nuit s’est passée sans alerte , mais quel charroi sur cette route, caissons et pièces d’artillerie (75) voitures d’approvisionnement, ambulances, automobiles, chasseurs à cheval, 26ème de ligne, il en passe toute la nuit, d’abord allant au front remplacer ceux qui y sont et qui au matin reviennent au cantonnement.
Les hommes qui ont passé 2 nuits en 1ère ligne passent la 2ème ligne puis enfin reviennent au cantonnement pendant que ceux qui étaient au cantonnement vont occuper les tranchées.
Je vois passer des voitures avec des blessés allemands ceux-ci, depuis l’attaque de nuit de samedi, n’ont pu être relevés étant entre les tranchées allemandes et françaises. Ils sont restés 5 jours sur le champ de bataille blessés, sans rien à manger ni à boire. Ils ont de graves blessures , l’un d’eux expire en arrivant à l’hôpital.
A St Jean-sur-Tourbe (2 Km au sud de Laval) est un hôpital militaire pour blessés non évacuables. Le sergent qui l’a vu me dit avoir noté 5 français n’ayant en tout que quatre jambes. L’un a eu deux cuisses amputées et se porte bien.
Voici des blessés allemands logés dans l’église. Ils sont très malades , fiévreux, un pharmacien, un ingénieur parlant très bien français( genou fracassé). Dans une autre maison des français grelottant pieds nus et n’ayant comme toute couverture  que leur capote. Dans une grange isolée on a déposé ceux qui sont trop mal, à demi morts, ils sont à tous les vents, attendant la mort ( l’un a une cuisse enlevée et le dos tout labouré, c’est plein de gangrène) , un tétanique ( )  est isolé dans un autre local.
Nos hommes vont enterrer les chevaux ( près d’un abreuvoir 5 chevaux et 3 hommes les montant ont été tués par un obus). Plus loin on enterre  5 allemands, sentant déjà horriblement mauvais, dans les tranchées allemandes. Ces tranchées sont paraît-il merveilleusement bien faites, profondes, remplies de paille, avec des rigoles, des contreforts en creux pour s’asseoir et un autre en face pour mettre les jambes. Des butoirs tous les 20 m. protègent les hommes contre un feu en enfilade. Des escaliers pour accéder et des souterrains faisant communiquer les tranchées entre elles et avec un bois voisin .
Laval 4 octobre - Dimanche- Voilà le 20ème de ligne qui revient des tranchées et va se reposer et se nettoyer. J’ai toutes les peines du monde à protéger l’infirmerie de l’envahissement des cette horde de gens tout couverts de terre, sale, dépenaillés, les traits tirés, les joues creuses,. A les regarder on sent que ce sont des gens qui ont souffert.
Je rencontre un médecin à 4 galons qui dirige la 35ème division. Il est très aimable, me donne les indications pour toucher quelques médicaments à Somme Suippes au groupe brancardier du 17ème corps dont nous dépendons. J’envoie un cycliste qui me rapporte ¼ de ce que j’ai demandé. C’est déjà bien beau.
Notre cuisinier Bouchez est malade. 2 autres sergents et pas mal d’hommes. La diarrhée14 avec coliques sévit beaucoup. Début par sensation de froid, frisson puis sensation  d’indigestion, nausée, vomissements, céphalée, enfin colique et diarrhée, allant très rapidement jusqu’au sang ( 10,15 cuillères en 24 heures) une bonne langue, bon pouls, bon état général, ça dure 2 ou 3 jours et passe, surtout si on observe la diète sévère. Quelques uns cependant sont plus atteints , notre cuisinier est de ceux là, ni l’opium, ni le bismuth, ni l’eau de riz ne le calme.
Voici notre répartition actuelle pour le 105. (2ème Bat. à Valmy) avec le colonel 3ème  bataillon = 9 et 10 à Somme Suippes avec le Cdt faisant partie de la 32ème division, la 11ème à Somme Tourbe pour garder la gare, décharger les approvisionnements, le village est tout brûlé, ils couchent sous la tente, la 12ème à Laval où je suis. Notre lieutenant Peyron vient d’être nommé capitaine,  lieutenant Reynaud, d’autres ont été passés de la Territoriale dans la Réserve de l’armée active ( au 140ème).
Quelques soldats ont reçu des lettres, l’un d’eux un colis par la poste, moi rien.
5 reçu lettre maman envoyée à St Nizier et une carte d’Alice réclamant plus de nouvelles.
Ho militaire de campagne de St Jean-sur-Tourbe  à  2 Km au sud où je vais me promener.
Laval 9 octobre – vendredi . départ pour La Neuville-le-Pont à 6 Km au nord de Ste Menehould. Nous passons  du 17ème corps au 2ème corps, lâchant les gens du midi , vraiment bien bruyants et surtout bien sales, pour nous joindre à des picards . Au départ un homme voulant descendre de son cantonnement prend la fenêtre pour la porte et tombe de 30 mètres, commotion cérébrale, j’arrive et trouve un soldat infirmier avec le crucifix sur la poitrine et donnant l’extrême onction, le soldat est couché sur la paille d’une écurie entre 2 chevaux , il est revenu à lui , vomit, répond en bredouillant. Je lui fait un billet d’hôpital pris de son livret, on le met sur un brancard, parle à l’infirmerie d’artilleurs voisins, et de là il va à l’Hô. de St Jean-sur-Tourbe.
7 ½  . nous croisons 2 bataillons du 109ème  (Lyon- Vienne) qui nous remplacera au 17ème corps ( il y a 10 voitures à 1 bataillon et 11 à l’autre).
7 ¾  . St Jean-sur-Tourbe , gare où la 11ème compagnie campait sous la tente et des abris en paille pour décharger les approvisionnements des troupes. La ville, la gare, tout est en cendres. Photo, à 8 heures du matin, avec l’église au fond ( croix en bois indique tombe capitaine et lieutenant-colonel) la 12ème compagnie et l’adjudant Valentin ( prof d’italien).
8 heures ; nous sommes sur la route à attendre les autres compagnies venant de Suippe. Il passe le 4ème d’artillerie ( Rochefort) avec 4 batterie de 120 long ( portant à 10 Km, le 220 allemand porte à 10.19 Km tandis que notre 155 « aimaillade » ne porte qu’à 7 Km) allant à Laval rejoindre la batterie que j’ai vue passer avant hier, artilleurs venant de La Rochelle et dont la batterie était à Laval dans un bois artificiel.
9 heures . Réunion de tout le bataillon en route
11 heures croisons à Hans le 2ème et 23ème colonial , le 3ème spahi campés tous là depuis 27 jours.
1 heure grande halte, les hommes ont fait plus de 20 Km depuis 7 heures du matin, sans avoir encore rien mangé.
2 h ½  La Neuville-au-Pont réunion avec le 1er et le 2ème bataillon . Tout le régiment est réuni ce qui ne nous était pas arrivé depuis Vitry-le-François. Défilé mais pas fusil sur l’épaule sous l’œil du colonel ( qui aurait à maintes reprises demandé à faire aller  ses hommes au feu, ce qui lui vaut une mauvaise presse ici).
J’apprend que les allemands ont reculé de 50 Km après Arras-Marchenne, les F. R. B. auraient fait leur jonction et coupé les A. de leur base ?
Ici la ville est intacte, les gens l’habitent, on entre dans des maisons meublées, habitées par des civils. C’est un spectacle que je n’avais pas vu depuis 3 semaines au moins. À la popote on nous donne des poires et des pommes, des petits beurres (je n’avais  pas vu de fruits depuis un mois ).
Logé 23, rue des Juifs . j’ai un lit , des draps, couverture, quel luxe !! C’est un peu une cave humide mais je dors bien. Troie mon ordonnance est au pied du lit avec de la paille et a comme édredon un matelas de plumes.
Samedi 10 octobre 1914 . La Neuville-au-Pont
Lever  5h ½ . à 6h part le 2ème bataillon qui va à Ste Menehould et environs nous restons ici pour refaire la voie ferrée. En effet les français en se retirant avaient fait sauter le pont  du chemin de fer sur la rivière à 500 m. de la gare et on veut faire un raccordement par déviation. Mais les aéros allemands lancent des bombes sur les travailleurs aussi une Cie est postée au cimetière pour tirer sur les aéros.
Visite au ballon captif , boule jaune dans un pré à la lisière d’un bois, avec autour les huttes en branchages des gardiens. Sur la route sont les voitures qui traînent le matériel, tubes à hydrogène, treuil etc.. Ce ballon s’élève à 600 m. avec 2 hommes dont un capitaine d’artillerie qui est relié par téléphone à sa batterie d’artillerie, il fait tirer à 5h. du soir une salve , note le point de chute, rectifie le tir et alors la nuit  toute la zone repérée est aspergée. Ce ballon rend de grands services.
La Neuville qui n’a subit les allemands que 48 heures ; comme ailleurs ils ont pillé les maisons inhabitées et respecté partout où il y avait des habitants, le matériel en coupe réglée mais sans exactions inutiles.
C’est une petite ville avec une jolie église ancienne aux parties romanes puis gothiques peu gothique flamboyant , à l’intérieur un autel style renaissance ; un beau candélabre en fer forgé, des gargouilles bizarres, un portail de statues en bois, la Vierge a la figure des femmes du pays , yeux saillants, joues tombantes. Les maisons sont intactes , beaucoup sont habitées, les jardins et vergers encore garnis. Aussi nous régalons nous de carottes, haricots, des poireaux dans le bouillon, une crème au chocolat au lait , une tarte aux pommes. Vu le Dr Château qui était à Florent, en forêt d’Argonne, région très boisée, touffu, terrain mou où les roues de canons s’embourbent. C’est là ou l’on craignait la poussée des allemands aussi tout y est bardé de tranchées, fil de fer, batteries d’artillerie sur toutes les positions. Si les allemands s’aventuraient ils seraient écrabouillés .
Aussi reculent-ils dit un officier revenant des tranchées, de plusieurs kilomètres cette nuit. C’est la suite de notre victoire au bois de Lachalade ( à côté de Florent) et sont sur notre aile gauche où les allemands auraient reculé sur la ligne Arras-Marchienne de 60 Km devant les alliés ayant fait leur jonction (Fr +B+R)

Marchandage d’une bicyclette  ( 120f / 200f)

Truc d’artilleur pour dissimiler une batterie et tromper l’ennemi : les canons sont enterrés dans des ceux et par dessus on met un plancher, de la terre et par dessus une forêt artificielle, seul un trou laisse passer la bouche du canon. En même temps pour donner le change, à 1 Km de là est une batterie en bois , canons en bois, le tout peint bronzé et bien dissimulé. Les aéros repèrent cette batterie factice et négligent la vraie qui continue à les canarder.
Je lave et repasse un tricot et une ceinture de flanelle. Je recouds des boutons. Mon pantalon est tout décousu sur la rainure intermédiaire, je le recouds. Je fais une ceinture de flanelle avec un morceau de drap de vêtement du curé pris à Laval. Je trouve des anneaux de tente d’allemands pour mon sac tyrolien. Que découdre ? Je ne fais que cela depuis un mois. C’est inouï, tout mon temps y passe.
Dimanche 11 octobre 1914 ; Je reçois le bulletin des armées du 7. Les russes parlent de la victoire d’Augustov en Russie, près du Niemen, quelle pelle les allemands ont dû leur donner pour les refouler de la ligne de l’Oder jusqu’au Niemen !!. Et voilà qu’on annonce la prise d’Anvers, voilà de quoi ravitailler l’armée allemande pendant longtemps, la Belgique est allemande.
Mardi 13 – Hier soir , à la popote, on me répète pour la 20ème fois que je ne suis qu’un adjudant, tous ces petits bourgeois idiots sont tout heureux de prendre leur revanche  sur qui dans la vie civile les dépasse. Discussion avec le commandant qui , quand je suis sorti, dit que je suis un imbécile et tous les courtisant de jeter sa pierre jardin.  Sartes, Bigarre, Cecher , qui me font bonne figure par devant, bavent sur mon compte quand j’ai le dos tourné.
Mercredi 14 – J’achète une bicyclette 100 fr. mais sans accessoires aucun, ni garde boue. C’est un vieux clou, assez solide sans marque, frein Barden. Je me procure des garde boue chez le garde champêtre  où je suis logé (       fr.) , une pompe chez un autre  qui avait entre autre un pot ( 200 g.) de dissolution et des cales pieds. Je raccourcis la chaîne, règle la roue arrière, redresse les deux pédales faussées. Peu à peu j’arriverai à me tirer d’affaire . Pourvu que le commandant m’autorise à m’en servir !!
On a reçu ici quelques lettres qui traînaient dans un sac à la poste depuis 8 jours et qui avaient séjourné par mégarde plus d’une semaine au 1er bataillon. Quel désordre et quelle insouciance !!! Moi je n’ai rien reçu .
On dit que les allemands ont reculé devant nous  et que l’État Major qui est ici va se porter en avant. Rencontré le R.P. Dicisier , aumônier militaire du 2ème corps à Ravière où est un hôpital où plus de mille dysentriques sont logés n’importe où, sans couvertures et mourant comme des mouches. Ce Père est de Sévrier, il connaît le R.P. Emonnet qui est aux armées aumônier aussi et connaît aussi beaucoup de Pères de Beyrouth.
14 – Été me promener au ballon captif qui sert à régler les tirs d’artillerie. L’officier qui monte le ballon a reconnu en aéroplane la position des batteries ennemies et vient ensuite du haut du ballon régler le tir de ses canons avec lesquels il est relié par téléphone.
Vu passer une batterie d’artillerie de montagne qui sont, me dit-on, formés de savoyards et arrivent de Briançon. La nuit suivante ils ont réussi à prendre Hutoire des Ranner( ) creusant une tranchée avec leur quart, leur cuillère, leur baïonnette, leur mains et avec une activité fébrile sans pareil sous la mitraille.
15 – fait accouchement de fille 4 Km chez gens très pauvres et très sales. Je donne 20 fr à la petite .
16 – le colonel part à Moiremont.
19 – Envoyé avec la 9ème compagnie à Ste Menehould , la décision est communiquée à 11 h. pour partir à 12h. Je me presse pour remonter ma bécane toute démontée pour être vernie, ce que j’avais fait le matin même. Ma cantine est longue à faire,         j’y puis placer ma canne à pêche , la hache d’artillerie divers outils et accessoires de  Je mets mes 2 sacs prussiens dans le sac à distribution, avec  la casserole pour faire le thé. On charge le tout sur la voiture .
Mais mon sac n’est pas fini et tout n’est pas attaché sur ma bécane , ni ma pèlerine, ni ma capote, ni mon sabre.
Je suis mis en retard par tout cela et ne suis prêt à partir qu’à 12 h.½ . Je rattraperai vite , à bécane, . Mais voici le vaguemestre  avec un télégramme pour moi. C’est un ordre officiel  de démobilisation  pour rentrer à Beyrouth reprendre mes cours.

“Of Grenoble- Bordeaux  1960  40  7  21h.10       Affaires étrangères à Dr Cottard, médecin auxiliaire 105 régiment territorial infanterie Grenoble ni de locomotives , peut être 20 en tout.
               Mr le Ministre de la Guerre ayant sur ma demande décidé votre libération immédiate, veuillez prendre vos dispositions pour rentrer de suite à Beyrouth pour réouverture des cours »
Grand est mon étonnement. Je suis ennuyé de quitter le front car c’était très intéressant.
Le commandant Buisson avisé est très ennuyé, il prétend que ce télégramme m’est personnel et qu’il doit attendre que ce soit ses supérieurs qui lui donnent des ordres. Il ne veut pas me lâcher tant il a peur d’être malade et non soigné.
Enfin il se ravise , me conduit au colonel qui est étonné du temps qu’a mis cette dépêche, il me fait une feuille de route  et m’expédie de suite.
En route pour Ste Menehould non sans avoir échangé mon étuis revolver avec Bouchet( 12ème) , donné mon sac tyrolien à l’adjudant Jugy etc.. etc.. On me charge de lettres.
La route est très grasse, une boue collante qu’il faut à tout moment enlever entre le garde crotte et  la roue qui est ainsi calée.
Ste Menehould = Je vois le capitaine Caurin, lui annonce mon changement. Là encore on me charge de lettres pour Grenoble. Je donne à mon ordonnance Troye toutes sortes de choses, de linge etc… Je le charge de faire porter au sergent Gand de la 10ème compagnie 6 douzaines de plaques etc… etc…
Suis logé dans un hôtel  où je vais me coucher. Je suis avec le R.P. Decisier qui est aumônier au 2ème corps. Il me parle d’un hôpital  où il y a 1000 dysentériques qui meurent comme des mouches.
A 17h ½ je monte dans un train, avec ma bécane, ma cantine et mon sac, sans compter musette, revolver, bidon, thermos, sabre, canne, pèlerine, capote.
9 h soir Revigny = arrêt jusqu’à 2h. du matin. J’ai vu les ponts que les gens travaillant jour et nuit essayent de refaire sur pilotis, éclairés la nuit à l’acétylène. Je sors de la gare et trouve 2 cafés ouverts, avec des soldats, des civils, le café est , il y a du , des servantes à tablier bleu ; voilà ce que je n’avais plus vu depuis 1 mois ½ .
On le sert à dîner ( 1,7f)  un très bon repas avec dessert fruits, quel régal, et fromage exquis. Je rempli mon bidon de vin, mon thermos de café, ma musette de pain et fromage et vais écrire dans l’autre café des cartes postales.
Mais c’est long cette attente,envie de promenade dans le ville noire  qu’on me dit toute démolie mais après ½ heure de marche , me trouvant toujours entre des maisons, je reviens à la gare où je fais les cents pas.
20 – St Dizier ; nouvel arrêt, très long
        Chaumont Je n’ai jamais tant vu de trains garés, ni de locomotives, peut-être 20 en tout.
        Culmon Chalendry Me voilà revenu à la gare où avant la guerre, je me trouvais avec Alice et mes deux enfants et nounou fuyant de St Michel vers Annecy et où j’avais perdu de vue mes malles.
On s’étonne que je n’aie pas de billets de bagages ni de fiches pour mes colis.
        Is-sur-Tille Je passe du réseau de l’Est à celui du P.L.M.
        Dijon  3h.  soir. Je mets à la consigne mes colis et sors avec ma bicyclette vais retenir une chambre à l’hôtel à l’angle près de la gare à droite. Je   etc.. et en route pour voir Jérôme qui est au fort d’Hauteville.
Ça monte beaucoup . Arrivé au fort il est occupé par des coloniaux qui ont remplacé le 125ème qui est à Fontaner.
À Fontaner où m’a envoyé à Thé, le reste du 2ème bataillon , le 1er est ailleurs. Je reviens prendre dans une route boueuse à travers champs, il commence à faire nuit.
Arrivé au 1er bataillon on me dit que la 4ème compagnie où a passé Jérôme est à Plombière. Route accidentée, inconnu, ça monte et descend ; Il fait nuit noire, 6h. du soir passé. Rencontre un paysan qui me met sur le chemin.
Enfin voici Plombières . Je m’adresse à divers endroits, notamment vois le soldat infirmier Raux ( père Constantin   de Beyrouth) et enfin Jérôme qui tombe du ciel en me voyant. Je dîne avec lui, vais à sa chambre  et convient rendez vous pour demain matin à Roy où ils vont en marche. Rentre à Dijon à 10h. soir, tout en nage.
21 – Dijon = vais à Roy il faut passer des sentinelles au voisinage du fort  d’Hauteville. Je passe en disant : service. Peu après le 1er bataillon apparaît campé dans un champ . Jérôme m’attend, me présente à des officiers, majors etc.. Je le recommande chaudement. Il revient avec moi à, Dijon où nous déjeunons ensemble. Je lui passe 150fr. , mon thermos, couteau, médicaments, mes 2 chaînes, lui donne des conseils. Fais des courses avec lui, vais au café écrire des cartes . Enfin il me quitte à 4h.
Je dîne à 6h. et vais au train.
7h. soir Dijon= départ pour Grenoble.
11h . Lyon = 4 h. d’arrêt  au buffet où  je suis bien et consomme du café au lait et du chocolat , lis les journaux et somnole un peu.

  • St André de Gaz. Voiron

 11h. Grenoble . Je vais à l’hôtel du Touring Club puis déjeuner à notre brasserie où je revois la dame au long nez.
L’après midi je vais remettre  quelques lettres. Vu Mr Peyron 3 place Victor-Hugo puis pour trouver Mme Bernon à Fontaine ville Favre après le pont du Drac où je vois aussi le lieutenant du Génie Chomet.
J’avais été à la caserne où on m’a donné 2h. de permission pour aller prendre ma malle à Annecy. Couché hôtel T.C.F. après avoir pris un bain ( le 1er depuis le départ de Grenoble).
 23 . 5h.  matin départ de Grenoble pour arriver à Chambéry à 8h. mais y attendre jusqu’à 5h. du soir. Je vais déjeuner chez les Vaubert qui me font faire un repas exquis.
5h. soir – départ pour Annecy où j’arrive à 8h. soir, la maison est noire, pas une lumière pour mener à la mienne . Je monte, personne. J’ouvre la maison mais toutes les autres portes sont fermées. Je trouve la clef  de l’appartement en face où il y a un lit sans draps ni couvertures.
Je fais pour la dernière fois mon lit de camp, mon sac à puces, recouvert  de la couverture et de la pèlerine, avec le sac tyrolien comme oreiller. Je dors très bien.

  • Annecy = Maman est à St Eustache avec auto-taxi (conduit par un chauffeur de La Magne) m’y conduit. J’y arrive à 5 h. après avoir passé à la poste de St Jorioz donner des instructions pour la correspondance.

9 h. St Eustache = l’auto s’arrête devant le portail. Dans la cour je vois la cave sous la cuisine ouverte , quatre hommes y font tourner la machine à broyer les pommes pour faire du cidre.
Je monte l’escalier et entre dans la cuisine par la porte grande ouverte, maman fourgonne le feu du fourneau ; elle se relève et reste interdite de me voir, elle n’en croit pas ses yeux, moi qu’elle croyait au front avec toutes les craintes que cela représente et qui suis  là sain et sauf devant elle.
Quelle minute d’émotion, quelle étreinte elle me donne , elle me palpe longtemps pour bien se persuader qu’elle me tient . Quelle joie de me retrouver et quelle surprise. En quel honneur es-tu de retour ? La guerre n’est pas finie pourtant ?
Je reste deux heures à causer, nous allons déjeuner chez le curé, raconter des histoires de guerre puis je fais le tour du village, voir notre grange , me promener à Molnas, aux Cheneviers . Reverrais-je jamais tout cela, moi qui vais chez les turcs germanophiles ?
Et Mme Gilet, cette allemande de Cologne qui a fait un voyage en Allemagne juste avant la mobilisation, elle est toujours là, et même assez insolente. Elle a réussi à capter la confiance du parquet d’Annecy. Et je suis certain que notre fiche est faite en Allemagne par elle, et qu’elle sait combien nous devrons fournir de foin aux chevaux allemands. Si je restais à St Eustache je la ferais coffrer.
Enfin un dernier coup d’œil, au jardin, vers l’église, la mairie que je contourne. Maman m’accompagne le plus loin que ses vieilles jambes peuvent le faire et enfin au 2ème contour dans le bois de Layat elle m’embrasse et me serre encore. Et me voila en route pour la Turquie.
Je descends à pied à St Jorioz ( gare) le temps est légèrement pluvieux, il y a un peu de brume sur le lac et accrochée aux montagnes. Le reste du paysage qui m’entoure est clair. Il fait frais et je marche avec plaisir pour me réchauffer. Tout autour de moi les arbres ont pris ces teintes si variées que leur donne l’automne., doré, jaune, brun où tranchent les sapins restés verts. C’est superbe. Il y a  six ans que je n’ai plus revu l’automne  de mon pays. Je l’avais presque oublié et voilà que je le retrouve merveilleux plein de charme prenant  et de poésie. Je ne me lasse pas de regarder et d’être ému, comme c’est beau. Je communie avec cette nature dont on m’a détaché pour m’envoyer en Orient et que je retrouve telle que je l’avais toujours connue.
Je m’imbibe le plus possible de tout ce que je vois en faisant ainsi comme l’ultime provision Je regarde comme pour la dernière fois ces vergers, ces pommiers car je sens déjà pluie et en face la Tournette et les Dents de Lanfont qui se dégagent de la brume qui recouvre encore le lac.
4h.1/2 Voici le train ; mon beau pays, te reverrais-je jamais ?
5h. soir Annecy ; Je traverse la ville et rentre à la maison, non sans avoir été reconnu par diverses personnes qui s’étonnent  de me voir , me croyant au front.
Je trouve la clef dans la chambre cachée derrière le montant du porte manteaux où je l’avais vainement cherchée la veille.
Voici ma chambre , un lit tout prêt où je vais bien dormir dans des draps frais et propres.

  •  Je défais ma cantine et refais ma malle de civil. Cela me fait quelque chose de disperser toutes ces petites choses accumulées, arrangées, groupées et si souvent manipulées pendant ma courte campagne. Tout était prévu pour durer toute la campagne, surtout pour l’hiver. Enfin rentrons tout cela, mes effets militaires, sabre, revolver, capote etc.. tout cela est renfermé.

         Avant je m’habille à nouveau avec mes divers équipements et je fais divers photos au verascope avec bonnette à 3 mètres   dans la salle à manger où il fait plus clair, il faut poser beaucoup ( 10 secondes).
Je rencontre J. Favre qui me donne rendez-vous au restaurant de la gare pour déjeuner avec Crochet B. et J. Charnand.
Voici Charles Levron en simple soldat de territoriale, son régiment est parti que fait-il ici encore ? Il  me dit qu’il a réussi à se faire mettre dans les services auxiliaires. Faure rencontré après me dit qu’il ne vivait plus depuis la déclaration de guerre  et qu’il avait réussi à sa faire réformer ( réforme N°2) , sans avoir été examiné me dit-il.
Déjeuner avec  B. Crochet plus vu depuis 10 ans. Il habitait Charleroi avec sa femme et 3 enfants. Sa femme et ses enfants y sont encore, soignant à l’infirmerie de l’usine des blessés allemands.
J. Charnand, contrôleur des contributions, que je n’avais pas revu depuis peut être 25 ans. Ils geignent d’être obligés de pirouetter dans une caserne sans utilité immédiate pour la défense nationale.
Quel état d’esprit différent entre le front et le reste du pays. A Dijon, à Grenoble, à Annecy c’est partout la même chose , mêmes récriminations parce qu’on n’a pas  toutes ses aises comme avant, même impatience à lire sur le communiqué officiel «  situation inchangée » , il faudrait avaler des  sur les allemands pour que ces gens  de villes puissent avaler leur café au lait comme  il font le matin en lisant au coin du feu leur journal. Et puis c’est à qui se défilera, on ne parle et ne voit que des embusqués. Il y en a de quoi faire des corps d’armée !
Enfin 4h soir départ pour Grenoble, cette fois avec une malle de cabine et une petite valise à main, sur le dos  de laquelle j’ai ficelé  un chapeau melon. On regarde passer ce militaire qui porte à la main une valise et un melon.
A minuit je suis à Grenoble et vais de nouveau goûter le bon lit de l’hôtel T.C.F.
26 . Grenoble ; Vais au recrutement , on me donne billet et feuille de route pour Marseille et Beyrouth. Vais déjeuner au restaurent Lafayette et trouver là le vétérinaire avec lequel je mangerai mon couscous . Le Dr qui était également avec nous est envoyé dans un camp de prisonniers je crois.
L’après-midi la mère et la sœur de Jay l’infirmier de la 10ème viennent me voir. Enfin je quitte Grenoble pour Tarascon vers 6h. du soir.
10h. soir Valence =  4 h. d’arrêt que je passe à l’ambulance où il fait chaud( trop chaud même) et où une dame de la Croix rouge me sert du chocolat vers minuit. Il y a là divers blessés, notamment un arabe d’Algérie, turco depuis 8 ans et blessé à la jambe. Il dit que les allemands tuent tout homme blessé et que lui  aussi était sans pitié. Mais la guerre  c’est bien dur et pour arriver à la retraite  il lui faut encore 8 ans  de services. C’est trop long il va rentrer dans ses foyers et faire autre chose. Pour le moment il est dirigé sur Aix .
27 . Tarascon – 5h. matin . Alice et Jeanne sont là qui m’attendent , elles ont reçu mes dépêches contrairement à  Maman qui n’avait rien reçu quand je me suis présenté.
Alice est ravie. La voilà à nouveau avec son mari qu’elle ne veut plus quitter. Elle ira avec moi à Beyrouth. J’essaye vainement de la dissuader.
Enfin nous en recauserons. Nous voici à la rue Lubron, avec tante Honorine qui nous sert un déjeuner et m’avait préparé un lit. Mais je n’ai pas sommeil quoique toutes mes voisines avaient les yeux pleins de sommeil de s’être levé si matin.
9h. place Condamine . Voici ma belle-mère Margot, mon beau père qui va me        et enfin en dernier mes deux petits, André et Robert et nounou.
André est interloqué de revoir son papa il le croyait à la guerre pour longtemps. Tous deux se portent à merveille.
On a reçu des nouvelles de Georges qui est en gare du Trayon, enfoui dans une chambre  creusée dans la terre il joue au bridge et dit se bien porter.
D’ailleurs tout le monde est satisfait de ma bonne mine. Je me porte à merveille. Cette vie au grand air et d’exercice m’a fait un bien immense. Je vais très bien, suis endurci au froid, ne m’enrhume plus, porte mon sac pendant 20 kilomètres sans transpirer. Je dors n’importe où, du meilleur sommeil.
Bref la compagne m’a tellement bien réussi qu’on me taquine en disant qu’avec cette mine je ne peux leur faire croire que je viens du front.
Nous allons nous promener sur le pont et à Beaucaire ( photo)  il fait une chaleur étouffante contre ce mur le long du canal. Voici un goum marocain, sur leurs petits chevaux fringants et avec leur vaste pèlerine rouge. Quel uniforme voyant pour la guerre !
Après un déjeuner qui me change de ceux que je faisais en campagne, nous ressortons avec les enfants sur la chaussée. Toute la famille y traîne, je les photographie en divers poses.
Le soir je couche avec Alice rue Lebure dans la belle chambre bleue……
28. Mauvais temps, nous devions aller au mas neuf ; Bonnet est venu avec la voiture mais il pleut, tant pis je ne verrai pas ce coin là. Visite à Mme Bonnet.
29. Départ à midi pour Marseille. Il faut absolument prendre le paquebot du 30 . une nouvelle dépêche officielle du ministère me l’ordonne.
“Off. Grenoble. Bordeaux  2947  51  24  13h.40 Affaires Étrangères à Dr Cottard médecin auxiliaire 105 territorial infanterie  3ème bataillon Grenoble :
«  Le ministre de la Guerre m’a avisé le 4 octobre qu’il donnait l’ordre de vous libérer, cet ordre vient d’être renouvelé , il est nécessaire que vous rentriez à Beyrouth par bateau partant le 30 octobre »
Nouvelle conversation sur l’opportunité du départ d’Alice qui veut absolument m’accompagner ; elle laisserait ses enfants à sa famille mais considère que c’est comme une fuite, un dérobement de ne pas m’accompagner. Le matin Le Petit Marseillais a publié une note disant que les anglais ont fait partir tous leurs nationaux , que les chrétiens ont fui au Liban et que voyant cela les musulmans servant les turcs ont fui à Damas avec les archives craignant un bombardement de Beyrouth. La ville est déserte.
Je m’efforce de convaincre Alice et ensuite de persuader ma belle mère de garder sa fille. Peu à peu les résistances se font moindre. Cependant tout le monde fait ses malles. Je pars à midi, Alice prendra le train de 5h.
5h. Marseille . Le train a du retard. Il est passé l’heure d’aller au recrutement. Je vais aux Messageries Maritimes on me dit que tous les français partis à Beyrouth y sont allés seuls sans leurs familles. De Peyrelongue qui doit partir avec moi part seul.
Je télégraphie au Ministère à Tarascon et voici la réponse que je trouve chez Yvonne :
« Off Bordeaux   3272  30  29°  13h.45 Affaires Étrangères à Dr Cottard  9 rue Noaille  Marseille = notre Consul Général à Beyrouth ne m’a rien signalé qui soit de nature à vous empêcher d’emmener votre famille »
Mon opinion est faite : je n’emmènerai pas Alice ni les enfants . Ce sera dur de leur faire accepter.
Je dîne avec Yvonne lui donne des nouvelles de Jérôme vu à Dijon.
Le 115ème me dit Yvonne doit partir samedi tout entier sur le front.. Tant mieux, c’est préférable à ces départs par petits paquets , envoyés  dans des unités différentes dans la réserve de l’active où on arrive inconnu et pour aller de suite occuper une tranchée.
Coucher Hôtel Beauveau, rue Beauveau . Alice est venue à 19h. soir ( 1h 36 de retard) Nouvelle conversation sur la nécessité de rester en France. Enfin j’arrive à avoir gain de cause non sans quelques larmes.
V .30 Marseille – Départ pour Beyrouth à 4h.. Déjeuner avec les Millioz, Yvonne, Jeanne , Margot à la brasserie de Strasbourg ( 6 ??) J’ai peu de temps d’aller chercher mes colis à la gare. Chez Jérôme à l’hôtel Beauveau et me voila au quai des Messageries où les  m’attendent. Il fait un vent glacial on gèle sur le ponton. Je fais vite retirer mes enfants  et tout le monde . Seule ma femme et le cousin Millioz  restent jusqu’au départ.
Je pars sur « l’Ispahan » , petit cargo de la Mer Noire. A bord sont deux profs de Droit allant faire passer des examens au Caire et peut être à Beyrouth, de Peyrelongue, Eymard et moi et passagers d’Egypte peu nombreux.
Mon bateau lève l’ancre et je suis pendant longtemps les mouchoirs agités. Robert tout blanc qui   et André dont le manteau bleu se détache sur la robe d’Alice. Il agite son chapeau de paille, Odette en robe claire est la plus visible.
Puis tout cela s’estompe, le bateau tourne et je ne vois plus rien des miens. Mes regards se portent vers Marseille et tombent sur la promenade du phare, j’y cherche le banc où nous devisions avec Alice , demoiselle, en voyant s’éloigner les paquebots pour d’autres continents.
J’aurais dans ce voyage depuis le front repassé toutes les étapes  éventuelles de ma vie, revu tous les miens  et tous les coins de terre qui me sont chers jusqu’à ce phare où m’attachent  de si chers souvenirs.
Voici maintenant la mer qui s’enfle à mesure que nous gagnons le large. Il va faire mauvais, surtout avec cette coquille de noix qu’est « l’Ispahan ».
Décidément le repas de la brasserie de Strasbourg me pèse  et je pense qu’il sera mieux accepté par les poissons. Après ce soulagement je vais m’étendre tout habillé et y dors jusqu’au matin.
S. 31–En pleine mer, à gauche sont les côtes de la Sardaigne car nous évitons les bouches de Bonifacio pour nous diriger sur la Tunisie dont nous allons d’ailleurs longer les côtes pendant une journée jusqu’au Cap Bon (Bizerte) pour filer sur Malte.
Les langues se délient .  que le commandant du bord et l’ex Ct Courbin qui va à Alexandrie et enfin C.Eymard . On apprend qu’en Syrie la situation est très tendue. Tous les hommes sont seuls restés. Ceux qui avaient emmené leur femme les ont envoyé au Liban.
Marteau s’est établi à Djounié avec son remorqueur sous pression. Un paquebot des Messageries ayant voulu à Djounié se présenter pour embarquer  tous les grecs et autres chrétiens d’Egypte, un remorqueur turc est venu à Djounié empêcher toute embarcation de prendre la mer.
Mr Brani dit-on fort malmené par les turcs  a dû fermer son bureau du port et le transporter ce qu’il en reste au consulat etc…etc…
Nous convenons alors de laisser nos malles en dépôt à Alexandrie et notre correspondance sera adressée de France à un correspondant à Alexandrie ( pour moi Ct Courbin) qui s’ingéniera à nous les faire parvenir en Syrie par contrebande.
D. 1er novembre ; mer calme mais beaucoup de brise.
L. 2 novembre 1914 . Arrivée à Malte à 8h. du matin ; on y apprend la tension entre la Turquie et les Alliés, le raid du Hamidié allant bombarder Odessa, la déclaration de guerre de l’Angleterre à la Turquie, enfin le consul de France  nous dit que les relations diplomatiques entre F. et T. sont rompues. Qu ’allons-nous devenir ?
Malte = grand port superbe , point de ravitaillement de l’escadre anglo-française. Soleil superbe . On arrête à bord deux sujets ottomans passagers. Nous descendons à terre : ville très grande, bâtie à l’italienne, intermédiaire entre les villes d’Italie du sud et l’Orient. ; femmes voilées de noir comme les musulmanes mais la figure découverte et la tête auréolée d’un large cerceau  soutenant une sorte de capuchon noir. Type italo-oriental, langage se rapprochant de l’italien. Allons boire du pale-ale au club militaire anglais. Plusieurs photos.
Départ à 4h. soir.
M-3; M-4; J-5 en mer calme , brise légère brise, je me mets en pantalon blanc. Avec Arène,de Peyrelongue, les deux professeurs de Droit et Eymard  nous faisons des parties de bridge interminables . Le reste du temps se passe à bavarder sur ce qu’on pu devenir les français de Beyrouth, sur la tournure probable de la situation et sur notre sort qui nous l’espérons sera prévu au consulat d’Alexandrie.
On parle de la guerre, Mr Eymard et Percerou sont pessimistes sur les résultats, les misères qui vont suivre et si nous arrivons sur le Rhin  , l’impossibilité d’aller plus loin. Surtout Eymard trouve que en Allemagne on paye mieux qu’en France qu’ils ont plus d’argent que nous , que les affaires marchent tandis qu’il ne peut vendre ses soierie. A la fin je le mets à sa place  ce qu’avait déjà fait le Dr du bord ; bientôt chacun sort ce qu’il sait sur lui et ça n’en finit plus.
J’écris à Maman et à Alice.
V.6 Alexandrie 8h. du matin ;

 

Inventaire

Musette :
Quart, cuillère, fourchette,petite cuillère,
Rhum, sucre, thé, chocolat, seviette
Allumettes, bougie, savon,
Teinture d’iode, quumt, antepyrm, opium, onolor,paquet pansement
Carnet, journal, cartes postales,papier
Carte France et Europe, Théâtre guerre
Livret militaire, carnet famille
Stylo, crayon n. et bl, cureough, brosse à dents
Paquet
Pain, 2 biscuits

Sac toile contenant :
Nécessaire couture,  réguler et une aiguille, dé, ciseau
épingle ordinaire et nourrice noires
fil n, bl, r, coton à broder
laine grise et coton  ……..
mètre
Glace, Gillette + 3 lames, bouton apt,
Lacets cuir et ficelle et 2 crevelleres
Lunettes

Poches :
Porte feuille et argent
Stylo, crayon, thermomètre
Couteau , chaîne, porte or chaîne, ¨porte monnaie
Allumettes, queue de rat, savon, épingles
2 mouchoirs
1 p gants rouge

Revolver, Sabre
Musette
Thermos
Verascope
Canne

Sac tyrolien:
Couverture en dehors
Sac à puce + chemise nuit, flanelle tricot coton
Do essuie main = chandail  4 mouchoirs, 2 faux cols, caleçon et tricot laine, caleçon coton, gants, chaussettes laine.
Foulard, bonnet de police , pantoufles
Souliers de repos
Lampe à alcool + thé, et sucre + verre
Vareuse
Sac pour oenema, lavette, brosse à ongle
Sac pour : chocolat 4 barres, 2 petits et 1 grand biscuit, sucre, 1 potage comprimé, 1 boite à sardines
Sac pour lorgnon, blaireau,2 courroies, bouchon, allumettes, bougies, cure dents
Paquet pansement , Boite à graine Boites à cirage, blaireau
Essuie mains
Formulaire
1 boite de plaques

Cantine :
Sac à vivres = riz, haricots, café, Sucre, thé, boites conserve 4, sardines, chocolat, bougies, allumettes, savon, lampe à alcool le reste + garde
Cartes, papier blanc, papier à lettres, enveloppes, cartes de visite, cartes de guerre, carnets de réquisition canne à pèche, 2 lignes, Hache, 2 leures.
Médicaments, quinine, aulypen, opium colonial, grande vals, iode, encolique, émulsion de brey, eau et pâte dentifrice
Brosse habit, brosse chaussures double à reluire à gr…., peigne, bretelles, gants peau, 4 lorgnons, 4 courroies, ficelle.
Pantalon rouge, vert, noir.
Chemise pour 1 nuit, 1, flanelle 2
Faux cols 12 dont 4 cellulo, Manchettes cellulo + boutons
Chaussettes coton 3p laine 3p.
Flanelles 2
Mouchoirs 6
Sac= aiguille, fil, lame de rasoir, bouton, épingle, bouchon

Bicyclette
Pneu                  13
Chambre à air     8
Chaîne                 9
Guidon                4
Cocquen              1,5
Outils                 10
Garde boue         2,5
                          49

Sacoche : clef anglaise, 1 pompe, démonte pneus, tourne vis, lime A, pince universelle.
Boite à réparations : 1 chambre à air de rechange

Sur la bicyclette je mets : canne et sabre, sac d’allemand à l’avant et pele »rine sur genoux, capote à l’arrière, le long du cadre de roue arrière.

Vêtements sur moi :
Capote + courroie, pantalon, ( 1 gilet gris) képi, molletières, gros souliers, chemise, tricot flanelle coton, chandail…… flanelle
Pèlerine noir + courroie