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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

La fraternisation des soldats ennemis de la Grande Guerre

Dans son livre de mémoires « Les ders des ders » Benoît Hopquin témoigne de nombreux cas de fraternisations sur le front franco-allemand, il relate les propos de Louis Cazenave poilu décédé en 2008 : «  les Allemands on les retrouvait quand on allait chercher de l’eau au puits. On discutait. Ils étaient comme nous, ils en avaient assez … »
Ces élans de rapprochement ne passèrent pas inaperçus aux commandements militaires au point qu’un Ordre du général Pétain du 12 septembre 1916 prévint que « Tout contact avec le front ennemi est considéré comme un acte d'intelligence passible de la peine de mort en conseil de guerre»
Il faut admettre que de tels rapprochements étaient à peine imaginables et les autorités penchaient plutôt pour une manipulation allemande.
Louis Cazenave témoigna encore : « Nous avions fraternisé mais quand c'est arrivé aux oreilles de l'État-major, il a ordonné une attaque».

Si ces mouvements de fraternisations se rencontrèrent durant tout le conflit et sur tous les fronts, ceux de Noël 1914 marquèrent plus fortement les esprits.
Ce jour là, à Frelinghien où s’opposaient Anglais et Allemands le souffle de Noël flottait sur les tranchées des deux camps. Une trêve s’engagea spontanément. Selon le Daily Telegraph « … les Allemands sont sortis de leurs tranchées et ont entonné leur Stille nacht Heilige nacht, applaudis par les soldats adverses qui grimpèrent sur les remblais de leurs tranchées pour répondre à leur approche. Sans y réfléchir davantage ils se sentirent alors tous les mêmes : des hommes avec leurs souffrances et leur désespoir par l’éloignement de leurs familles
Suivirent des échanges de bouteilles, de cigarettes, de chocolat, de tabac; quelques accolades se sont même vues, et une rencontre de football fut improvisée. » On peut lire aussi  dans les Mémoires de Wyn Griffith : «Des hommes ont surgi des deux camps, avec des boîtes de corned-beef, des biscuits, et d'autres choses à échanger » 
Au-delà même de toute espérance un match de foot s’organisa alors spontanément entre les soldats des deux camps.
Des soldats français témoignèrent aussi à leur manière des approches hésitantes et tout d’abord  méfiantes des deux camps puis les pas accélérés des uns vers les autres, pour finir en accolades. De maigres cadeaux s’échangèrent  et des chants de Noël étaient repris par tous dans leurs propres langues. Des photos maladroites furent prises qui permirent hélas aux deux commandements de reconnaître les participants à ces « trahisons » et organiser des fusillades pour l’exemple …

  
Fraternisation                                    Fraternisation
(Imperial war museum)                      (Imperial war museum)


Fraternisation
(Imperial war museum)

Peu de courriers de soldats témoignaient de ces évènements sur le front car une censure postale fut instaurée afin d’éviter que les faits ne soient relatés par les poilus. Pour l’opinion nationale, pour les troupes, mais aussi pour l’ennemi qui aurait pu les intercepter, il ne fallait en aucun cas que ces témoignages passent le front. Cependant on peut retrouver.au Service historique de l’armée de terre (réf. 16 N 1394) de rares lettres intégralement conservée par cette censure. On y lit :
«  nous causons tous les jours avec les boches, nous échangeons journaux et cigarettes sans tirer un coup de fusil. »
«  Les boches ne sont pas méchants et jour et les sentinelles se disent bonjour sans que personne ne se tire dessus. »
« on monte sur les remblais des tranchées, on se fait des signes, on se touche parfois la main mais pas quand il y a des officiers car c’est défendu. »
«  ils disent comme nous qu’ils en ont marre, que ce sont les grosses têtes qui font la guerre et qu’il n’en faut plus »
On dit que Fernand Tailhades, soldat du 343ème régiment d’infanterie fut blessé dans sa tranchée. Répondant aux consignes un soldat allemand tenta de l’achever mais un autre arrêta son geste et tous deux l’emmenèrent à l’abri en l’appelant « camarade »
Sur les champs de bataille près d’Armentières, au lendemain des combats du 18 décembre, une trêve de Noël fut convenue entre soldats des deux camps pour enterrer les corps des soldats morts durant les combats.
Des deux côtés des tranchées chacun savait qu’ils vivaient dans les mêmes conditions de peur, de faim, de froid, des obus qui pleuvaient et des rats qui couraient dans les eaux boueuses. Pour eux le conflit n’avait plus de sens humain…

 

Hélas, Noël resta une magie,  et même si ces trêves spontanées eurent aussi lieu en dehors de fêtes religieuses elles restèrent locales et vite réprimées et le conflit se poursuivit dans toute son horreur…

Il fallut attendre tant et tant d’années pour qu’en 2005 le film de Christian Carion « Joyeux Noël » rendit enfin hommage à ces soldats anonymes qui démontrèrent à leur manière qu’ils étaient avant tout des êtres humains, avec leurs peurs et leurs faiblesses mais aussi leur courage et leur humanité et sortir (enfin !) nos grands parents de leur rang d’anonymes à celui de témoins.

Beaucoup de documents furent détruits par la censure mais parmi ceux restant un carnet du caporal Louis Barthas témoigne : « … qui sait, peut-être un jour, sur ce coin de l’Artois, on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient horreur de la guerre et qu’on obligea à s’entretuer malgré leur volonté »
Ce sujet fut  longuement censuré et étouffé par les autorités et il fallut attendre 90 ans après l’armistice pour voir se dresser enfin cette stèle à Frelinghien

Il faut dissocier ces mouvements spontanés des trêves officielles décrétées pour évacuer les morts et les blessés qui se distinguaient des précédents par leurs gémissements.

Pourtant ces hommes ne pensaient qu’à une chose : rentrer chez eux pour vivre en paix…

                             

                                            Dans les tranchées (Musée de la guerre)