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...La généalogie autrement

 

Mémoire instructif de l’évêque de Saint Flour contre Joseph Guintrandi Prévôt de Montsalvy (1730)


 

Mémoire instructif de l’évêque de Saint Flour contre frère Joseph Guintrandi appelant d’une sentence de l’official d’Arpajon, le sieur Delzons

Ce n’est qu’à regret que l’évêque de Saint Flour se voit réduit à la triste nécessité, d’exposer aux yeux de la cour, la conduite scandaleuse d’un religieux revêtu de l’auguste caractère de prêtre, qui, oubliant la sainteté de ces deux états, en ternit l’éclat par une vie toute profane. Dieu qui est dans le fond de son cœur, sait qu’animé des sentiments du prince des apôtres, il souhaiterait que son ministère lui permit de jeter sur les égarements de frère Joseph Guintrandi, prévôt de Montsalvy, ce voile de charité qui couvre une multitude de péchés et qu’il peut devenir l’apologiste de celui dont il est obligé de poursuivre le châtiment, mais proposé de veiller sur les désordres qui se répandent dans son diocèse, se pourrait-il, sans prévarications, dissimuler ceux d’un chef de communauté religieuse qui, bien loin de porter ses inférieurs à la pratique de la piété, semble n’avoir acquis le droit de les conduire dans la voie du salut, que pour les en détourner que par les mauvais exemples qu’il leur donne ?

Quel reproche n’aurait-il pas à se faire en voyant l’approbation et l’abomination dans le sanctuaire et ne tâchait pas d’en arrêter le cours, élevant la voix contre un impie, un indigne, un impudique, un blasphémateur, un séditieux, un faussaire, qui viole audacieusement tout ce que la religion à de plus auguste, tout ce que le sacerdoce, l’état monastique, l’équité, la justice, la pudeur, les bonnes mœurs, ont de plus respectable, ne trahirait-il pas les devoirs de l’épiscopat, si par un coupable silence il avait le malheur d’être mis au rang de ces chiens muets dont parle l’écriture, qui voyant un loup furieux au milieu du troupeau, n’ont pas la force d’aboyer, tous ceux qui s’apercevraient d’une si criminelle insolence ne le croiraient-ils pas le complice ou le fauteurs des vices qu’il n’aurait pas le courage de réprimer par la sainte sévérité de la discipline ecclésiastique dont la providence lui a confié le sacré dépôt, et ne serait-il pas en droit de lui appliquer ces foudroyantes paroles de l’apôtre Saint Paul « Et bien qu'ils connaissent le jugement de Dieu déclarant dignes de mort ceux qui commettent de telles choses, non seulement ils les font, mais encore ils approuvent ceux qui les font. »

C’est donc pour éviter des reproches si injurieux à un évêque que celui de Saint Flour se trouve si indispensablement obligé de faire le portrait odieux du prévôt de Montsalvy, quelques fleurissantes que soient les couleurs dont il se servira pour le peindre aux yeux de la cour, elles ne le seront pas encore assez, les traits du sujets sont trop hideux, trop difformes, pour être représentés tels qu’ils sont.
De peur que ceux qui liront ce mémoire n’accusent l’évêque de St Flour d’avoir trop chargé le tableau, il supplie la cour de considérer que l’illustre et intègre magistrat qui préside à la tête de cet auguste Sénat, dans un plaidoyer qu’il fit étant avocat général, établit pour principe incontestable que la justice serait sans force si elle était sans liberté, qu’il est une sainte hardiesse et une noble véhémence, qui fait partie du ministère des avocats,, qu’il y a des causes que l’on ne saurait défendre sans déshonorer la partie, expliquer les faits sans se servir de termes durs capables de les faire sentir et représenter aux yeux des juges et que lorsqu’ils sont exempts de calomnie ils sont la cause même bien loin de n’en être que les dehors. Sur les maximes de ce grave et équitable Magistrat, qu’il soit donc permis à l’évêque de St Flour d’entrer dans un détail circonstancié de la vie débordée du Prévôt de Montsalvy, protestant qu’il n’avancera rien qui ne soit prouvé au procès, sur lequel la cour doit prononcer, ou qui ne sert de notoriété publique.

Ce qu’il y a de moins flétrissant en la personne de frère Guintrandi, c’est la bassesse et l’obscurité de son extraction, quoique fils d’un paysan il pourrait avoir les sentiments d’un honnête homme, mais l’astre qui présida à sa naissance répandit sur lui de si malignes influences que la vertu la plus commune n’a jamais pu se frayer un sentier pour s’insinuer dans son cœur, le vice s’en empara dès le sein de sa mère, et y jeta de si profonde racines que rien n’a été capable de l’arracher ; la dissolutions fit l’assortiment de son enfance, dominé par les passions les plus emportées et les plus brutales, ses premières années s’écoulèrent dans un cercle malheureux de crimes ; aucune digue ne fut assez forte pour arrêter le cours semblable à une mer irritée, dont les flots s’élèvent au dessus des bords pour inonder les campagnes, ses mouvements impétueux ont toujours été dans une continuelle agitation, si quelquefois il a fait trêve avec l’incontinence ce n’a été que pour se plonger dans l’ivrognerie ; quand il a cessé de blasphémer le saint nom de Dieu il n’a ouvert la bouche que pour déchirer la réputation de son prochain par de sanglantes satyres et par des libelles diffamatoires dont il a inondé plusieurs fois le Comtat d’Avignon et les contrées circonvoisines, disons le avec une liberté d’esprit toute entière et sans crainte d’outrer la matière. Guintrandi a mérité d’être mis dans sa plus tendre jeunesse au rang de ces jeunes pervers, de ces scélérats du premier ordre qui selon le langage de l’apôtre St Paul, changent la vérité en mensonge, qui adorent la créature plutôt que le créateur, que Dieu livre aux plus honteuses passions, qu’il abandonne à un sens réprouvé par lequel ils commettent des actions contre tout ordre et contre toute raison, qui ont le cœur rempli d’iniquité, de malice, d’impureté , d’avarice, de méchanceté, d’envie, de contestation, semeurs de zizanie , ennemis de Dieu, outrageux, superbes, orgueilleux, calomniateurs, indociles, insensés, sans humanité, sans miséricorde.
Avec des inclinations si dépravées et dispositions si diamétralement opposées à l’esprit du sacerdoce, l’impie Guintrandi se précipite effrontément dans l’état ecclésiastique, pour le malheur de l’Eglise, il n’a pas plutôt reçu l’ordre de prêtrise, qu’il est destiné pour distribuer le pain des anges aux fidèles, dans le diocèse de Nîmes en qualité de vicaire, mais hélas, à peine est-il chargé de la conduite des âmes qu’il souille la sienne par tant de crimes que le promoteur est obligé de porter plainte contre lui, et les faits dont on l’accuse sont si énormes qu’il est décrété par l’official que pour détourner l’orage qui gronde sur sa tête criminelle il ne leurs reste aucune ressource que celle de s’évader clandestinement et de se retirer en toute diligence dans le comtat d’Avignon, sa patrie.

Un homme moins déterminé que lui au mal aurait expié par une salutaire pénitence. Les désordres qui venaient de le diffamer dans le diocèse d’où il avait été contraint de s’enfuir honteusement, mais il était écrit dans le livre des destinées que le vice l’accompagnerait partout où il porterait ses pas et qu’il serait éternellement l’objet de la vigilance et des poursuites des promoteurs sans purger le décret qui a été décerné contre lui par l’official de Nîmes, sans se faire relever des censures ecclésiastiques, non seulement il a eu l’audace de s’approcher des saints autels, mais encore il se fait approuver pour administrer les sacrements dans une paroisse où il n’est pas longtemps sans donner des marques éclatantes de sa férocité ; possédé du démon il porte les mains sacrilèges sur son curé et lui fait trois plaies dangereuses à la tête, pour raison de quoi il est décrété de prise de corps ; mais il évite la prison par une fuite précipitée.

N’étant pas en sureté sur les bords du Rhône il veut éprouver si ceux de la Seine lui sont plus favorables, il se rend à Paris où à la faveur de quelques remèdes dont il a escamoté la composition il s’érige en médecin empirique et trouve le funeste secret de rendre dangereusement malade plusieurs personnes qui n’avaient que de légères incommodités avant qu’elles eussent le malheur de tomber entre ses mains.
L’histoire porte que le vigilant Mr d’Argenson instruit qu’il était aussi mauvais médecin que mauvais prêtre et qu’il ruinait les corps par la méchanceté de ses remèdes et les âmes par la vie scandaleuse qu’il menait, ce qui le fit enfermer à Bicêtre d’où il trouva le moyen de s’échapper furtivement et de s’enfuir en Provence où le démon d’impureté l’attendait pour lui faire jouer une scène si impie, si sacrilège, que l’évêque de St Flour désespérait de la rendre vraisemblable s’il n’en apportait pas la preuve au procès.

Appelé dans la ville de Grasse pour la célébration d’un mariage il solennisa la noce par une débauche si outrée qu’animée par l’ivresse et par le malheureux penchant qu’il a eu toute sa vie pour le sexe, il poussa la brutalité si loin qu’il voulait coucher à toute force avec la servante du logis dans le lit des nouveaux mariés, lesquels furent si scandalisés d’un tel attentat qu’ils le chassèrent comme un infâme ; tout autre que lui se serait dérobé pour toujours à la vue des témoins de sa turpitude mais comme tout sentiment de pudeur est étouffé en lui, le lendemain il se rend de grand matin à la porte des nouveaux mariés armé de deux pistolets pour tirer vengeance de l’insulte qu’il dit lui avoir été faite la nuit précédente. L’éclat que fit un tel évènement si monstrueux et les suites funestes dépendantes de son ordre qui pour de l’argent signent concurremment avec son grand vicaire, un acte de profession.

Le premier usage qu’il fait d’une autorité qu’il vient d’usurper, c’est de refuser aux religieux le paiement de leur pension afin de leur tenir la parole qu’il leur a donnée de les faire mourir de faim, ce qui les jeta dans un profond labyrinthe de procédure qui les constitue à des dépenses considérables pour obtenir une sentence portant saisie d’une malle appartenant à ce cruel chicaneur, dans laquelle il a tout son argent et plusieurs actes qui prouvent ses injustices criantes, comme il sera justifié dans la suite.
La malle étant saisie elle fut commise sans être scellée, à la garde d’un cabaretier de la ville qui, la nuit, dans une chambre où il l’a cru d’autant plus en sûreté que le juge et le procureur s’y campèrent pour la garder à vue de nuit et de jour, mais dons le fond n’avaient d’autre dessein que de faciliter à Guintrandie qui en avait la clef, le moyen d’en tirer tout l’argent, et plusieurs seings en blanc de trois huissiers d’Aurillac dont il les avait eu pour de l’argent dans le but de s’en servir pour souffler ses assignations sous la cheminée, ainsi qu’il est prouvé par les sentences de l’official et du baillage que le coupable en devait craindre l’obligeait à prendre la fuite et à se réfugier pour la seconde fois à Paris où l’élévation de Mr d’Argenson à la charge de Garde des sceaux semblait lui promettre l’impunité de ses forfaits.

Ce voyage lui réussit mieux que le premier, instruit que la cour devait envoyer des médecins à Aix où la peste faisait un ravage épouvantable, tout ignorant qu’il est dans la médecine il se présente effrontément pour aller l’exercer sur les habitants de cette ville affligée, et a le bonheur de s’y être envoyé en qualité de médecin à 1000 livres d’appointements par mois. La contagion ayant cessé Guintrandi revient à Paris et comme s’il avait sauvé la vie à un million de pestiférés, il fait sonner si haut des services qu’il n’a certainement pas rendus, qu’il obtient pour récompense la prévôté de Montsalvy, bénéfice régulier de l’ordre des chanoines réguliers de St Augustin qui oblige celui qui en est pourvu à se lier par des vœux solennelles. Tout homme qui aurait eu la conscience timorée aurait été saisi d’une sainte horreur à la vue des engagements que Guintrandi allait contracter, chef d’une communauté religieuse, d’une quantité de bénéfices simples et à charge d’âmes ; de quelle vertu, de quelle capacité, de quelle sagesse celui qui occupe ce poste imminent ne doit-il pas être doué ? Comment un homme qui est à la tête d’un chapitre régulier inspirera-t-il de la piété à ses religieux s’il est un impie, un scandaleux. Comment les conduira-t-il dans la voie du salut s’il est dans une ignorance profonde des premiers éléments de la religion et de la morale chrétienne ? Comment les corrigera-t-il s’ils ont le malheur de tomber dans le désordre si sa conduite est plus scandaleuse que la leur ? Comment entretiendra-t-il parmi eux la paix, l’union, la Concorde, s’il est un violent, un emporté, un séditieux, un perturbateur du repos public ? Comment remplira-t-il les bénéfices vacants de bons sujets s’il a une haine implacable pour les gens de bien ? Comment observera-t-il dans les nominations ce désintéressement si recommandé par les saints canons si la simonie n’a rien d’assez effrayant pour l’empêcher de tomber dans le cas de ces avares qui, selon le langage de St Bernard font un infâme commerce des choses célestes avec les choses temporelles ?

Quel malheur pour une communauté qui bien loin de trouver dans son chef, des vertus à imiter, n’y trouve que des vices et des crimes à détester. Tel est le triste sort du Chapitre de Montsalvy ; pour preuve de cette affligeante vérité suivons frère Guintrandi dans sa prise de possession, dans son noviciat, dans sa profession, dans l’usage qu’il fait de la puissance spirituelle que la Providence lui a confiée, dans la distribution qu’il fait des bénéfices à sa nomination, en un mot dans le genre de vie qu’il mène depuis qu’il est le Prévôt de Montsalvy, et nous trouverons qu’il était plus propre à être le chef d’une compagnie de bandits que d’un chapitre de chanoines réguliers.
Il n’y a personne qui ne se figure que Guintrandi devant occuper une prélature régulière, va se présenter à son chapitre en habits ecclésiastiques conformément aux lois canoniques, mais qu’on sache qu’un si saint usage n’a pas été établi pour un homme de son espèce, il n’a pas été fait prévôt de Montsalvy pour édifier sa communauté, tant ce qui est en lui doit respirer un air profane, quels spectacle pour ces bons religieux devoir arriver avec un juste au corps de pourpre à boutons d’or, non avec le bâton pastoral à la main mais avec deux bons pistolets bien chargés, sous les bras, et escorté d’une troupe de coupe-jarret, comme s’il eut voulu s’emparer du Monastère à main armée, tellement que si les religieux n’eussent pas été avertis de son arrivée, ils l’auraient plutôt pris pour un prévôt de maréchaussée escorté de ses archers, plutôt que pour celui de son chapitre, cela est si vrai que Mr Delagrandville, intendant d’Auvergne, instruit par la voix publique du cortège guerrier avec lequel il s’était installé dans le monastère, lui écrivit une lettre dont l’adresse était conçue en ces termes : A Monsieur Guintrandi prévôt de la maréchaussée de Montsalvy.
Dans une posture si indécente Guintrandi prend possession de sa prévôté au grand scandale de tout le chapitre et de toute la ville, il entre un tel phénomène qu’il pouvait préjuger des évènements sinistres ; aussi peut-on dire que jamais noviciat ne se passa si irrégulièrement ; tout le temps qu’il dura ne fut qu’une circulation, qu’un flux et reflux d’impiété, de profanation, de débauches, d’excès et de crimes. Ce n’est qu’en frémissant et en s’affligeant que l’évêque de St Flour se voit forcé d’en faire le récit.

Tandis que les religieux sont au chœur pour chanter les sacrés cantiques, leur prévôt fait retentir les rues et les places publiques de la ville des chants profanes de l’impie Babylone.
Il insulte le Seigneur par des blasphèmes exécrables. Tandis que les religieux invoquent le ciel pour la conversion des pêcheurs leur prévôt suscite l’enfer contre les justes, par des calomnies atroces. Tandis qu’ils sont au pied des autels pour y adorer le très saint sacrement le jour qu’un pieux usage en permet l’exposition dans leur église. On trouve leur prévôt étendu à la porte d’un cabaret ou dans un bourbier où il se vautre dans un excès d’ivresse qui lui ôte l’usage de la parole et de la raison. Tandis qu’ils sont recueillis dans leur monastère, leur prévôt court les rues comme un bandit en robe de chambre et bonnet de nuit, avec deux pistolets sous les bras, menaçant de casser la tête à quiconque ne voudra pas encenser ses désordres ou refusera d’exécuter ses ordres tyranniques. Tandis qu’ils sont en chapitre pour y délibérer, tant sur les affaires spirituelles que sur les temporelles de leur communauté, leur prévôt se présente en spectacle dans les cercles de femmes qu’il scandalise par des discours obscènes et dissolus. Toujours déplacés, toujours hors de son centre, on le trouve continuellement dans les endroits où il ne devrait jamais paraître, et jamais dans les endroits où son devoir l’appelle,. L’évêque de St Flour se soumet à faire réparation publique à Guintrandi, mais si on n’y en trouve point, qu’il lui soit permis de représenter à la Cour que le prévôt de Montsalvy mérite un châtiment exemplaire.
L’année du noviciat du frère Guintrandi s’étant exécutée bien plus irreligieusement qu’on vient de le dire, il se présente au chapitre avec cette effronterie qu’inspire l’irréligion et demande à être reçu à profession.
Les religieux ne pouvant se résoudre à donner leurs suffrages à un homme qui a déshonoré son état par des crimes de tout genre et de toute espèce, lui déclarent unanimement que leur conscience ne leur permet pas de le recevoir, qu’il n’ait réparé le scandale qu’il a causé non seulement dans tout le chapitre et dans toute la ville, mais encore dans toute la Haute Auvergne, sur son refus Guintrandi imite la conduite de cet homme dont parle Horace, c'est-à-dire qu’il prie, flatte, caresse les religieux, mais voyant cela inutile il s’emporte, s’irrite et les traite de coquins, de fripons, de scélérats, et les menace de les faire mourir de faim, de les faire pendre et rouer.
Cependant les religieux persistent dans leur refus, un seul dont les mœurs sympathisent avec les siennes et qui pour cette raison avait mérité d’être décoré du titre de son grand vicaire ; mais cela ne suffit pas, il faut la pluralité des voix.
Dans une situation si embarrassante Guintrandi se flatte qu’à force de prières il pourra surprendre la religion de l’ouvrier qui est la seconde dignité du chapitre et que par là il entamera les suffrages de tous les autres religieux pleins de confiance ; il va dans la chambre où il était malade depuis longtemps mais quel fut son étonnement lorsqu’à ses puissantes instances ce bon religieux répandit avec cette fermeté qu’inspire les vertus, qu’il ne pouvait en honneur ni en conscience faire ce qu’il exigeait de lui. Le prévôt aurait bien voulu user envers l’ouvrier, des mêmes menaces dont il avait usé envers les autres religieux, mais il en fut empêché par des amis de l’ouvrier qui l’étaient allé voir et qui par discrétion se mirent à l’écart pour lui laisser la liberté de parler, mais qui ne s’éloignèrent pas si fort qu’ils ne fussent à porter d’aller promptement au secours de leur ami en cas de voie de fait. Deux heures après, Guintrandi fit prier l’ouvrier, par son grand vicaire, de lui accorder une audience, à quoi l’ouvrier consentit, mais il eut la précaution d’ordonner à son valet de ne pas s’éloigner beaucoup afin d’être en état de venir à son secours en cas de besoin. Cette précaution n’empêcha pour tant pas que Guintrandi ne se porta à un excès digne du plus sévère châtiment. Après s’être présenté dans la posture d’un suppliant et avoir employé inutilement tout ce que les caresses et la flatterie ont de plus persuasif et de plus séduisant, il met les deux mains dans les poches où l’on sait qu’il porte toujours des pistolets et, transporté de fureur et de rage, il va comme un forcené au lit de l’ouvrier, lequel fut saisi d’une si grande frayeur, et poussa un cri si aigue, qu’il fut entendu des religieux qui étaient au chœur, de même que de plusieurs habitants de la ville. A ce cri ils accoururent promptement à la chambre du malade, à leur aspect Guintrandi, tout qu’il est, fut saisi à son tour de frayeur et prend la fuite en disant : « - j’ai manqué mon coup mais je ne le manquerais pas une autre fois. »
Guintrandi, désespérant d’être admis à la profession par le chapitre, achète les suffrages de quelques malheureux religieux répandus dans les paroisses d’Aurillac. Guintrandi, pour exécuter le projet qu’il a formé de conseil avec son juge et son procureur, de tirer son argent et ses papiers de la malle, propose au cabaretier de l’ouvrir clandestinement, et lui offre de partager avec lui tout l’argent qui s’y trouvera, mais soit que ce bon homme craignit les suites d’une telle connivence, soit que sa conscience répugnât à une action si opposée aux lois de l’équité, il rejette courageusement la proposition du prévôt et ses papiers. Ce refus aurait déconcerté tout autre que Guintrandi, mais il est trop fécond en expédient pour désespérer de ravoir son argent. Pour y réussir il affecte un air consterné, dit confidemment au cabaretier que la nuit suivante il doit être assassiné dans son lit par les religieux et le conjure de lui prêter un recoin de sa maison pour y mettre sa vie en sureté. Le cabaretier qui ne se défiait en aucune manière de l’intelligence qu’il y avait entre le prévôt, son juge et son procureur d’office, lui offre de le faire coucher dans la salle où était la malle. A peine y est-il entré qu’il ordonne au cabaretier d’aller apprêter à souper et après qu’il soit sorti iol tire la clef de la malle, l’ouvre et en tire l’argent et les papiers, mais avec tant de précipitation qu’il laisse tomber quelques espèces et divers papiers qu’il a soin de ramasser promptement, à la réserve de 3 seings en blanc sur du papier timbré, du nommé Loquet huissier d’Aurillac, que le juge et le procureur d’office mirent dans leurs poches tandis que le prévôt cachait les autres sous la couverture du lit, en disant «  - pour le coup je tiens mes moines ».
Sur de son expédition il fait procéder par sentence à l’ouverture de la malle, et comme il ne s’y trouve ni argent ni papiers il pousse le scélératissisme jusqu’à porter plainte au Lieutenant criminel d’Aurillac contre le frère Pacot, à la requête duquel la saisie de la malle a été faite, l’accusant méchamment de lui avoir volé son argent et ses papiers, mais comme il ne fut pas en son pouvoir de susciter de faux témoins pour convaincre le syndic d’un vol dont lui seul était coupable, et que d’ailleurs le juge et le procureur d’office ne surent pas se dispenser de porter témoignage de tout ce qui s’était passé sous leurs yeux, la plainte du prévôt ne produisit d’autre effet que de le faire passer pour un scélérat qui voulait faire porter à l’innocent syndic, la peine du crime que lui-même avait commis pour frustrer les religieux du droit qu’ils avaient sur l’argent qui était dans la malle et pour dérober aux juges la connaissance du mauvais usage qu’il fait des seings en blanc.
Voici un vol d’une espèce singulière fait contre le droit public et contre la liberté du commerce.
Le 11 d’avril il se tient une foire célèbre à Montsalvy, où il se débite une grande quantité de toiles, et comme il faut beaucoup de temps pour les reconnaître et les mesurer on les y transporte 4 ou 5 jours d’avance. C’est un usage bien établi d’un temps immémorial, tant pour la commodité des vendeurs que pour la sureté des acheteurs qui sont présents au mesurage. L’vide Guintrandi forme le coupable dessein d’intervertir cet usage pour établir un monopole sur les toiles. Pour cet effet il fait donner une sentence par son juge, portant inhibition et défense de débiter des toiles avant le 11 d’avril, jour destiné pour la foire, sous peine de 20 livres d’amende tant contre les vendeurs que contre les habitants de Montsalvy dans les maisons desquels la vente des toiles se ferait, et recommande expressément au juge, au procureur d’office, au greffier et à son valet, de tenir la main à l’exécution de cette sentence tortionnaire, injuste et tyrannique. Jamais ordre n’a été exécuté avec tant d’exactitude et de cruauté que celui de Guintrandi.
Le juge, le procureur d’office, le greffier et le valet, fidèles ministres des concussions du tyran, sans le ministère d’aucun huissier, procèdent à la saisie de quantité de pièces de toile qu’il font porter dans la chambre du prévôt, sans attendre même que les vendeurs et les acheteurs soient entrés en marché. Ils en saisissent même sur des particuliers du voisinage qui les ont vendues dans leurs propres maisons, à condition qu’ils les fassent porter à Montsalvy pour être déposées dans les magasins qui leur sont indiqués. Chaque pièce de toile est rachetée par les marchands au prix qu’il plait au prévôt de leur prescrire, et à l’égard des habitants de Montsalvy dans les maisons desquels les toiles ont été saisies, ils sont tous mis à contribution. Pas un n’est exempt d’une amende, l’un paye 20 livres, l’autre moins selon le caprice du cruel exécuteur qui, par là, trouve le secret de se faire un fond de 3000 livres. Ces concussions furent suivies d’une autre dont l’objet n’est pas de fort grande conséquence mais qui ne marque pas moins la noirceur d’âme de Guintrandi. Un marchand forain ayant payé une pièce de toile en vieux Louis d’or, le prévôt n’est pas plutôt averti du fait, qu’il se nantit de 2 de ces vieux Louis, fait saisir le magasin du marchand, lequel après avoir remplacé le paiement de la toile qu’il a achetée, en nouvelles espèces, ne put arracher des mains du cruel prévôt, les 2 Louis dont il s’était nanti sans lui donner 4 Louis de rançon. Il faut demeurer d’accord que toutes ces concussions crient vengeance et que celui qui en est coupable ne saurait être trop sévèrement puni. Mais quelles punitions ne méritent pas celles qu’(il a exercée sur les religieux de son ordre ? Elles sont fondées sur l’impiété, l’irréligion, sur la simonie, aucun novice n’est admis à la profession qu’il n’ait payée au prévôt en argent comptant ou en quittance, le prix de la pension monacale pour une année. Les fermiers ne sont pas moins vexés que les religieux ; ils ne sont pas quittes en lui payant l’entier prix de leurs baux, il exige d’eux une pistole pour chaque quittance sous seing privé. Depuis la profession simoniaque de Guintrandi, cet impie a violé sacrilègement tous les règlements et tous les statuts de son chapitre qui veulent que les novices soient reçues solennellement à profession, par le concours de tous les religieux, bien que Guintrandi n’en ait reçu aucun que clandestinement et pendant les ténèbres de la nuit. Ce n’est pas tout, il conduit les novices au pied de l’autel, les armes à la main, et accompagné d’une troupe de scélérats armés comme lui, avec ordre à ses satellites de casser la tête à ces religieux s’ils sont assez téméraires pour paraître. C’est ainsi qu’il parle de ces pieux religieux, et comment parlerait-il d’eux avantageusement puisqu’il attaque la Majesté divine au pied de l’autel même, par des blasphèmes exécrables et par des paroles que la pudeur ne permet pas de coucher sur le papier et que l’apôtre défend expressément de prononcer. Il y a trop grande complication de crimes dans la vie de Guintrandi pour en pouvoir faire le récit sans ennuyer ceux qui liront ce mémoire, on ne dira donc pas que ce malheureux, pour multiplier ses injustices et ses concussions, se fit un magasin et comme une espèce de corps de réserve de seings en blanc sur du papier timbré des nommés Loquet, Domergues et Mauvigne, huissiers d’Aurillac, à la faveur desquels il a fait plusieurs assignations qui ont formées autant de procès tant en matière civile que criminelle, que pour mettre à contribution tout le voisinage de Montsalvy il a suscité divers faux témoins par argent et par menace. Mais peut-on passer sous silence la scène scandaleuse qu’il joua dans le monastère des religieuses de St Projet ? Fondé sur quelques mémoires apocryphes, il se mit en tête qu’il avait droit de juridiction sur ce monastère, et sur cette présentation chimérique il s’y transporta pour en faire la visite. Mais les religieuses, qui n’ont jamais reconnu le prévôt de Montsalvy pour leur supérieur, et qui d’ailleurs étaient pleinement instruites de la vie scandaleuse du Guintrandi, refusèrent de lui rendre une obéissance qu’elles ne lui doivent point.

Sur ce refus, il s’emporte, s’irrite, les traite de putains, de garces, de saintes filles qui par leur piété édifient toute la province, il menace l’abbesse de la faire mourir. On n’a pas de preuve certaine qu’il ai exécuté ce détestable dessein mais ce qu’il y a de certain c’est que l’abbesse mourut peu de jours après, non sans de violents soupçons d’avoir été empoisonné, et comme il a dit publiquement plusieurs fois «  - j’ai fait mourir celle-ci, je ferai bientôt mourir les autres » ce discours a fait une si forte impression sur l’esprit des peuples, qu’ils le regardent comme l’auteur de la mort de cette religieuse, un médecin empirique qui se familiarise avec le poison, et qui d’ailleurs passe pour un scélérat , est moins à l’abri d’un tel soupçon qu’un autre

 

Ce mémoire que j’ai copié sur un manuscrit appartenant à Mr de Cambefort de Mazic, est sans signature ni sans date. Le sieur Guintrandi fut nommé à la prévôté de Montsalvy le 1er octobre 1724. Il arriva dans cette ville à la fin de janvier 1725. Il parait, d’après une consultation de Mr Delaverdi pour Mr l’évêque de St Flour, en date du 30 octobre 1730, que le sieur Guintrandi était décrété de prise de corps depuis 1727. Il y a dans les prisons d’Aurillac une chambre qui porte encore le nom de « chambre de l’abbé de Montsalvy  J’ai un mémoire du dit sieur Guintrandi à Mr le cardinal de Fleury, contenant un projet de réforme pour le dit monastère, ainsi que pour celui des religieuses chanoinesses de St Projet, avec l’histoire abrégée du dit monastère et la moitié de ce mémoire est écrit de sa main. Curieux A Aurillac le 11 janvier 1811 Signé J.B.Lakairie …