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CANTAL-LIENS

 

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association de liaison pour la généalogie et l'histoire populaire du Cantal

...La généalogie autrement

 

 

 

 

 

Le feu crépitait dans la grande cheminée, faisant danser sur les murs des ombres de légendes. La nuit était tombée très vite sur cette soirée d’hiver 1872, et la faible lueur de la lampe à pétrole entretenait une pénombre de veillée déjà bien engagée.
Les enfants dormaient à moitié, les bras repliés sur la table, les plus grands écoutaient ce qui se disait, sans toujours bien comprendre. Autour de la table, les femmes écossaient les haricots du lendemain tandis que les hommes s’interrompaient parfois sur une gorgée de vin.
Les visages étaient empreints de sollicitude et de gravité au récit de Barthélemy qui avait été enrôlé dans la Garde Mobile deux ans auparavant et avait dû partir se battre à Orléans et au Mans, contre l’invasion prussienne. Son récit était chargé de bravoure encore amplifiée par l’imagination de son auditoire…
Napoléon III avait eu l’idée, pour suppléer à l’infériorité numérique de l’armée active, de la renforcer d’une garde mobile d’un million d’hommes de réserve, constituée de ceux qui avaient échappé à la conscription par le triage des bons numéros, les exemptés et les remplacés.
Comme tous les autres départements, le Cantal avait dû fournir son contingent d’hommes pour la défense de la patrie envahie, jusqu’au nord de la Loire, par les armées prussiennes et allemandes.
Ils étaient 4000 qui partirent d’Aurillac le 22 septembre 1870, pour Auxerre où une formation sommaire leur fut donnée, et qui rejoignirent Le Mans où se posa très vite le problème d’armement et d’effets militaires.
On leur distribua des chassepots (fusils à aiguille d’inspiration allemande) le 29 novembre 1870 et des effets militaires, seulement le 8 janvier 1871.
Les deux bataillons du Cantal n’avaient pour tout uniforme qu’un képi, une blouse blanche et un pantalon de treillis.
Apprenant ce manque de vêtements, la sollicitude s’organisa dans le département et l’on put lire dans Le Moniteur du Cantal :
« L’élan est donné, nous avons maintenant l’intime confiance, par ce qui nous arrive des campagnes, que nos soldats, qui se dévouent à la défense de la patrie, recevront bientôt les chemises et les chaussettes qui leur font tant défaut. »
Des convois de couvertures, de vêtements, de chaussures, d’objets divers s’organisent.
Barthélemy poursuit son récit :
« Depuis Châteaudun, que nous avons quitté le 26 novembre, on s’est rendu à pied, à marche forcée, jusqu’à Coulmier où se livra la bataille qui nous permit de nous rendre maître d’Orléans. De là, le 1er décembre, on se rendit à Saint Sigismond, toujours à pied. Sans perdre de temps, on nous disposa en batille et l’on attendit le combat. Celui-ci dura deux jours et notre armée, qui souffrait beaucoup et dont les pertes étaient grandes, reçut quelques renforts, tandis que nous, la réserve, ne reçûmes aucun ordre pour intervenir dans l’affrontement.
Puis on nous ordonna de nous rendre dans les plaines de Patay, au cœur même de la bataille. Après avoir marché tout le jour et rencontré une quantité de blessés, on y arriva à 9 heures du soir. On campa dans une plaine où le vent et le froid nous faisaient terriblement souffrir. Tard dans la nuit, on apercevait encore le feu des canons et les obus qui sillonnaient l’horizon.
Le lendemain, dès 7 heures, le canon reprit et l’armée régulière repartit au combat, tandis que nous restions, de nouveau, sur la réserve.
Plus de 60000 hommes se trouvaient engagés dans l’infanterie, l’artillerie, la cavalerie. La cartouchière sur le ventre, on était tous prêts à ouvrir le feu. La canonnade était terrible. La plaine était couverte d’hommes. Nous formions le corps de réserve et on ne comprenait pas pourquoi on nous laissait immobiles.
On suivit la canonnade toute la journée. Elle redoubla de vigueur à 4 heures du soir. On apercevait le feu de nos batteries, sans interruption. La bataille fut sanglante. Le général de Sonis eut la cuisse fracassée, le colonel de Charrette fut blessé et fait prisonnier. Le commandant Jaubet, qui commandait le dépôt d’Aurillac, fut tué à la tête de ses troupes.
Les zouaves pontificaux, arrivés à 300 pour enlever, à la baïonnette, le village de Loigny, ne furent plus que 60 à l’issue du combat. Le reste fut massacré.
Le soir venu, l’ennemi n’avait pas reculé et nous étions restés à attendre sur nos positions. Le lendemain la bataille reprit toute la journée et toute la nuit, toujours sans ordre d’intervenir. Puis nous battîmes en retraite jusqu’à Beaugency.
« Pourquoi sommes-nous restés l’arme au pied ? Si la réserve avait reçu l’ordre de prendre part au combat, nos 80 pièces d’artillerie et nos 60000 hommes auraient écrasé l’ennemi dès le 1er jour ».
Les notes du général de Sonis confirmaient les faits. Il ne connaissait ni l’emplacement, ni l’effectif de ses unités. Il était sans cartes et mal relié au commandement. Le ministère de la guerre, à Tours, ne cessa de lui envoyer des ordres contradictoires.
On alla chercher une autre bouteille à la cave. Barthélemy attendit que son verre soit à nouveau rempli pour le vider à nouveau et poursuivre son récit :
« Le 7 décembre 1870, on arrive et on s’installe à Beaugency. L’après-midi, ordre est donné aux deux bataillons du Cantal de partir en reconnaissance en avant de la ville. Les balles sifflent et l’aumônier s’écrie : “ Mes amis, à genoux, je vous bénis. ”
On partit vaillamment au combat qui prit fin, néanmoins, par la victoire des Prussiens qui occupèrent Beaugency.
Le 10 janvier 1871 le régiment est à la Milèse où nous nous préparons à participer à la bataille du Mans.
Hâves et déguenillés, nous avons campé en petit nombre, faute de place, dans les fossés de la route et les champs avoisinants. On touche enfin un habillement : képi, capote et pantalon. On nous donne des chaussures. Quatorze cartouches sont distribuées à chaque homme et l’ordre du départ est donné.
Le froid était cruel et nous avions de grandes difficultés à replier nos tentes, tellement le froid les avait raidies. Les routes étaient verglacées et la marche glissante était pénible.
Les effectifs s’étaient réduits sous l’effet de la fièvre typhoïde et de la variole.
Le 11 janvier, le général Chauzy nous rendit visite au cantonnement des Mobiles du Cantal. Il avait le képi sur l’oreille et l’on devinait à son air de « deux airs », comme on dit chez nous, qu’il méditait quelque coup. Il s’écria :
« Braves Mobiles du Cantal, c’est à votre tour de marcher et je suis sûr que vous ferez honneur à l’Auvergne comme au drapeau français !
Je vous ai amené un exemplaire du Moniteur du Cantal du 16 janvier 1871 où l’on parle de nous, je vous le lis :
“ Nos Mobiles se sont battus pendant trois jours. Ils n’ont perdu aucune de leurs positions qu’ils ont vaillamment défendues et se sont élancés plusieurs fois sur l’ennemi avec un entrain irrésistible, lui faisant subir des pertes sérieuses. Le général Chauzy, émerveillé du courage de nos Mobiles, demanda quel était ce régiment. Quand il apprit qu’il s’agissait des Mobiles du Cantal, il ajouta : ‘ Je n’en suis pas étonné ’, puis, tirant son épée, il les invita à s’élancer sur l’ennemi. Enthousiasmés, nos Mobiles firent une brillante charge à la baïonnette, forçant l’ennemi à reculer. Ils firent de nombreux prisonniers. Chacun fit glorieusement son devoir et les Mobiles du Cantal, par leur courage, ont mérité d’être parmi les meilleures troupes de l’armée de la Loire. À la suite de ces combats, les Mobiles furent cités à l’ordre du jour de l’armée et leur drapeau fut décoré ”.
Barthélemy arrêta un instant son récit pour apprécier les hochements de tête approbateurs de son auditoire, puis poursuivit :
« Nos 20 000 hommes engagés dans le combat résistèrent pendant six heures à toue l’armée du Prince Frédéric Charles, forte de 120 000 hommes. Nous sommes retournés à Aurillac après les préliminaires de paix en mars 1871.
Je me souviens que le colonel de Cambefort s’était adressé à nous en disant :
“ Officiers, sous-officiers et soldats, après une des plus rudes campagnes de nos temps modernes, vous allez rentrer dans vos familles. Là vous oublierez bien vite vos fatigues, vos privations et les dangers que vous avez courus. Conservez néanmoins les principes  d’ordre, de discipline et d’abnégation que vous avez contractés. Ne néglige pas non plus votre instruction militaire, faites vos efforts pour la propager, car il faut que la France se militarise avant de faire un nouvel appel à votre courage et à votre patriotisme. Réservez aussi un bon souvenir à vos chefs et à vos camarades, afin que, le jour, qui ne peut être bien éloigné, où vous entendrez de nouveau sonner la marche du régiment, vous vous retrouviez tous dans vos rangs avec enthousiasme. Si vous n’avez pas pu sauver la Patrie en arrêtant l’invasion, vous avez, du moins, contribué à sauver son honneur. “
La garde fut dissoute la même année, les familles et la terre auvergnate retrouvèrent leurs enfants. Leurs exploits, ainsi que leur courage exemplaire, furent très vite oubliés.
Reste aujourd’hui un monument érigé à leur gloire, place de la Préfecture à Aurillac, au pied duquel des gens pressés passent sans en connaître la signification.

(Marcel Andrieu)